La scène se déroule chez un caviste chic du centre-ville . Votre serviteur hèle poliment un vendeur, qui le toise avec un sourire glacé . «Bonjour Monsieur, auriez-vous par hasard du cidre genevois ?» Le bonhomme nous coule un regard plein de pitié . «Nous avons du cidre fribourgeois et du cidre normand . C’est tout . Sachez que personne ne produit de cidre à Genève .» Ah , la bonne blague . On en étouffe un éclat de rire intérieur . Avant de remercier l’employé - toujours poliment - et de filer vers l’est du canton à la recherche du cidre autochtone .
Car il existe . Même qu’il pétille joliment . Qu’il fleure bon la pomme . Qu’il dessoiffe , égaye et délie les langues . Nous voilà donc à la Cidrerie de Meinier, ouverte il y a cinq ans par trois arboriculteurs du cru : Alexis Corthay, Gérald Fonjallaz et Claude Ménétrey . «Disons qu’on vendait nos surplus de pommes à un gros producteur de cidre alémanique qui nous payait à coups de lance-pierre .» D’où l’idée : pourquoi ne pas bricoler ça nous-mêmes ? «Voilà comment on a commencé à presser nos jus , puis nos cidres .»
La boisson des paysans
Car le jus de pommes demeure le gros de la production du trio . Le cidre ne représente pour l’heure que trois mille topettes annuelles . «Les gens d’ici en ont un peu perdu l’habitude», explique Gérald Fonjallaz . «A l’apéro , on est plutôt chasselas . Autrefois pourtant , toutes les fermes faisaient leur cidre . Le jus était mis en bouteille et partait naturellement en fermentation . C’était la boisson des travailleurs des champs .»
Notez que la technique du brelan de Meinier , elle , ne laisse plus rien au hasard . «C’est la méthode champenoise , traditionnelle», aime à préciser Claude Ménétrey . Résumons presto le processus . A la cueillette , les pommes sont triées , puis broyées et pressées . Le jus file en cuve pour une première fermentation . Il est filtré , avant d’être mis en bouteille , levuré et additionné d’un «pied de cuve» (moût de jus de pommes concentré). Refermentation . Et donc petites bulles . Nombreuses et élégantes , les bulles .
Vin de pommes
A partir de là , la maison tricote deux cidres distincts . Treize francs la bouteille et huit degrés d’alcool . Un brut d’abord , tout sec et droit dans ses bottes , précis et aromatique , zébré d’une fine acidité désaltérante . Un demi-doux aussi , tamisé d’une discrète larme de sucre qui arrondit l’attaque et laisse un sillage cajoleur en bouche . «Les dames préfèrent le second», glissent les compères . Refrain connu . Les dames , toujours elles , devraient donc raffoler de «Séduction pomme», un vin de dessert tendre mais vif, obtenu par nos trois pomologues par concentration du jus initial . Le résultat , élégamment gourmand , évoque les «cidres des glaces» chers aux Québécois .
Pas de bon cidre sans bonnes pommes dedans , bien sûr. «Il faut des fruits sains parvenus à maturité . Et encore pas n’importe lesquels .» Tiens , justement, quelles sont les variétés utilisées par le trio ? La question gêne nos gaillards . Ils tergiversent . Parlementent . Invoquent le secret professionnel . Voire le mystère de la création . On insiste . Ils finissent par lâcher le morceau (de pomme). «On a opté pour deux nouvelles variétés , la tentation et la jazz , qui combinent douceur et acidité .» Ben voilà ! La jazz pour le swing , la tentation pour le câlin . Oui, il y a du cidre à Genève . Et du bon .
Cidrerie de Meinier. Les deux cidres et le vin de pommes sont en vente au Pommier Garni , route de Gy , 31bis , Ă Meinier .
Quiconque a un faible pour le cidre serait bien inspiré un jour ou l’autre de goûter l’une des merveilleuses cuvées d’Eric Bordelet . L’homme était durant des années sommelier à l’Arpège à Paris . Trois étoiles au Michelin. En 1992, il rend pourtant son tablier pour reprendre le verger familial en Mayenne. Il y a là un terroir et une histoire: des pommiers et poiriers parfois centenaires; une vingtaine de variétés anciennes et micro-locales.
Bordelet devient «sidriculteur, pommologue et poirologue», en pratiquant une «pomologie sensitive». Le domaine est cultivé en bio et biodynamie , chaque cuvée étant élaborée avec un soin maniaque . Résultats mirobolants . Ses «sydres» et poirés offrent une aveuglante clarté aromatique , une grande finesse de bulle et une vraie persistance en bouche . Du jamais bu ! Sous nos cieux , Lavinia , le Cave SA et le Passeur de vins distribuent ces précieux flacons .
JEST
Jérôme Estèbe
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