Si l’on enlève les sujets récurrents tournicotant, tels les prix, le terroir, et les fraudes, les rendez-vous saisonniers incontournables, tels les bilans de campagne et les foires au vin, que reste-t-il de tout ce qui s’est écrit en 2010 sur la vigne et le vin ?
De quoi cette année a-t-elle finalement été faite ? A la relecture, on retiendra qu’à n’en pas douter, la prédiction d’Alain Peyrefitte est advenue : réveillés, les Chinois partent à la conquête du vin. Entre la menace du réchauffement climatique, le débat sur les vignes transgéniques, la montée du vin bio dans les rayons et l’échec de la réglementation européenne, l’environnement est sorti de son ghetto écolo pour devenir, à l’aube du XXIème siècle une véritable obsession. A l’autre bout de la chaîne, la table reprend aussi ses droits. Tandis que le « repas gastronomique français » est entré au patrimoine de l’Unesco, les voix sont de plus nombreuses pour dénoncer le sort fait au vin au restaurant, cette institution française née au XIXème siècle . Les scientifiques ont levé le mystère du « french paradox ». Bonne année 2011.
Catherine Bernard
Que faire avec les Chinois ?
L’année a commencé sur un bémol. Journalistes à l’agence Reuters, Gilles Guillaume et Julien Ponthus s’interrogent en janvier sur la ruée vers le vin des Chinois, entrés depuis un an déjà au palmarès des dix pays les plus gros consommateurs. Dans une dépêche reprise par de nombreux journaux, ils écrivent : « L'ouverture du marché chinois reste faible en raison d'une "tendance à l'auto approvisionnement ». Comme en réponse à cette interrogation, grâce à une habile opération de communication, la presse découvre une Chine productrice de vin. Les bloggeurs de Findawine consacrent une série de chroniques à l’empire du milieu et s’interrogent sur la passion locale pour le copié-collé : « Pourquoi pas imaginer un Château d’Yquem made in Chengdu, grande ville agricole chinoise ». Même la BBC se joint au concert avec la diffusion d’un reportage photo montrant des chais à barrique, des chinoises triant le raisin.
En mars, il n’échappe pas au quotidien les Echos que « la Chine participe pour la première fois cette année au marché des primeurs des vins de Bordeaux, une campagne de dégustation ». En juillet, pas ingrats, les Chinois font flamber les prix du millésime 2010 des grands vins de Bordeaux. Dans Libération, Laure Espieu rapporte les propos de Thomas Jullien, correspondant du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) à Hongkong : « Il y a beaucoup de liquidités, d’argent disponible en Chine. Ils recherchent les secteurs spéculatifs, ils ont remonté la filière et ont compris comment elle fonctionne». En octobre, les Bourguignons profitent à leur tour de la 150ème vente aux enchères pour draguer les Chinois. « Anticipant la 150ème vente aux enchères des Hospices de Beaune, ces derniers et Christies ont ajouté Pekin, Hong Kong, Shangaï et Taipei à la liste des villes invitées à des dégustations avant la vente le 21 novembre », rapporte Decanter. Le but affiché est de séduire les Chinois, comme Bordeaux a su le faire. « Dans cette optique, une dégustation des vins de la vente est organisée cette année en Chine, et un acteur chinois, Liu Ye, sera parrain de l’une des deux associations bénéficiant de la vente de charité », ajoute Vitisphere. L’année finit comme elle a commencé sur un bémol. Dans son blog, Olivier Lebaron diffuse des photos prises en octobre dernier au salon du vin de Jinan dans la province de Jandong. On y voit entre autres un « Chatreal Cheval Blanc Languedoc ».
Le flop du vin bio européen
Alors que l’environnement devient une préoccupation majeure, l’année 2010 restera celle du flop de la réglementation européenne régissant le vin bio. En février, deux conceptions se dessinent. Tandis que Viti-net diffuse le nouveau logo bio européen, une feuille verte étoilée, les détracteurs de la nouvelle réglementation se lèvent. La critique est venue de là où on ne l’attendait pas forcément.
L’UFC Que Choisir de Carcassonne dans l’Aude a envoyé « un courriel » à la rédaction de Midi Libre. « Un règlement européen sur le vin bio : a priori, ce devait être une bonne nouvelle. Eh bien, c'est raté : le nouveau label risque en effet d'introduire un peu plus de confusion dans l'esprit des consommateurs », rapporte le quotidien Midi Libre. Président des Vignerons Indépendants, Michel Issaly monte au créneau : « On va réduire à néant tous les efforts réalisés dans le vignoble pour préserver la naturalité du sol et les matières vivantes du raisin. Ce dernier dénonce « le lobbying du négoce et des coopératives qui veulent investir en masse ce créneau porteur. »
En juin, à quelques jours de l’adoption du règlement européen, la polémique enfle. Tandis que Rayon Boisson annonce que les vins bio représentent 0,9% des ventes de vins tranquilles dans les hypers et supermarchés, Bernard Burtschy, dénonce dans le Figaro « la pasteurisation des vins bios ». Il résume ainsi le débat : « Ce n'est qu'un nouvel épisode de celui qui traverse l'agriculture française en général, avec d'un côté les partisans de la tradition et des vins de haute qualité à forte personnalité, mais un peu plus chers, et de l'autre les tenants de la production de masse avec des produits standards mais à bas coûts ». En juin toujours, dans une interview à Vitisphere, Michel Issaly revient à la charge et développe : « La volonté de la France actuellement est claire : tout accepter pour avoir un règlement pour la prochaine vendange, parce qu’il y a volonté de massifier les volumes pour répondre aux demandes de la grande distribution. Mais quand on aura massifié, n’y aura-t-il pas volonté de la commission d’aller plus loin, soit en rendant le cahier des charges de la production encore plus laxiste, soit en acceptant l’importation de moûts de pays tiers ? ». Les journalistes de la revue belge In Vino Veritas lancent dans leur newsletter un avertissement : « Que l’Europe prenne garde : si elle cède aux pressions du moins disant biologique, les vrais bio trouveront un autre nom, fonderont d’autres labels pour satisfaire ceux qui veulent voir dans le bio plus qu’un sigle ou un logo, une réalité, un message d’espoir pour la santé humaine et l’environnement ». A la fin du mois de juin, la commission européenne remisait son règlement régissant le vin bio. Explication de Dacian Celios, commissaire européen de l’Agriculture et du développement rural, reprise par le site food and drink : « De telles règles ne convenant pas à la majorité des Etats membres, les conditions n’étaient pas réunies. Je ne veux pas d’un compromis sur les standards du bio, ce serait envoyer un mauvais signal aux consommateurs attachés en la matière à une politique de qualité ». Que réserve l’année 2011 ?
Le vin Ă table
La baisse de la TVA n’a rien changé. La vente de vin au restaurant reste une épine dans le pied des vignerons. Néanmoins, un vent nouveau souffle sur le sort réservé au vin dans les restaurants. En janvier, tandis que la revue belge In Vino Veritas introduit dans sa nouvelle formule une rubrique des restaurants qui aiment le vin, Vitisphere livre une longue et intéressante interview de Louis Privat, propriétaire à Narbonne de l’établissement Les grands buffets, « 250 000 à 300 000 couverts par an, sept jours sur sept ». Ce dernier « a décidé de vendre les vins de sa carte au prix auquel peut les acheter le particulier directement au domaine». Et ça marche : « Le client boit un peu plus et il boit aussi mieux, ce qui accroît notre marge, parce qu’il n’hésite plus à aller sur les jolis vins. En plus, avec le vin au verre, on a 1/5ème de bouteille au prix du producteur, c’est l’occasion ou jamais pour goûter tel ou tel vin ». En juin, un grand chef, Alain Senderens, raconte avec verve dans une interview video au site bourgognelive.com comment le vin a changé sa cuisine. Dans le même temps, de l’autre côté de la Manche, Jancis Robinson, la journaliste du Financial Times, se fait l’écho dans son blog, d’une initiative qui dit en creux les lacunes de la restauration : « Un couple londonien d’amateurs de vins, Christopher and Khadine Rose, crée le « BYO Wine Club » afin de « ne plus boire de mauvais vins au restaurant ». « Les membres paient une cotisation de 75£ par an pour avoir le privilège de venir dîner au restaurant avec leurs bouteilles de vin». En novembre, le « repas gastonomique française » entre au patrimoine mondial de l’Unesco. Le géographe et essayiste Jean-Robert Pitte, l’un des artisans de ce classement, explique dans le quotidien qui distingue la cuisine française des autres : « Ses rituels, ses pratiques, ses traditions vivantes et une certaine manière d’être à table. Une façon de dresser la table, de s’y installer, de goûter des saveurs particulières qui ont une personnalité, de valoriser les différences d’une région à l’autre. Associer certains vins à certains plats est une invention française. De même que le déroulé qui va des entrées au dessert et impose le pain, le vin et le fromage ». Perrico Legasse, le journaliste gastronomique de Marianne, pointe : « La nouvelle est de taille, considérable, historique. D’abord parce que, au moment où le chef de l’Etat prend des distances avec le concept d’identité nationale, la plus humaniste des instances internationales sacralise ce qui symbolise le mieux l’identité nationale française, sa gastronomie ». L’année qui s’annonce sera-t-elle celle de la réconciliation de la restauration avec le vin ?
Le « french paradox » n’est plus un mystère
Pourquoi boire du vin rouge réduit le risque de maladies cardiovasculaires ? Des nombreuses découvertes scientifiques relatives à la vigne et au vin, on retiendra la levée du mystère du « french paradox ». En janvier, l’Agence France Presse, reprise par beaucoup de journaux et sites, rapporte que « des chercheurs français viennent d’expliquer le mécanisme moléculaire de cette protection provenant des polyphénols du vin. (…) L'équipe de chercheurs de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm- université d'Angers) a découvert que les polyphénols du vin rouge conduisent les cellules des parois artérielles à produire du monoxyde d'azote (NO), un vasodilatateur ». Les travaux des chercheurs ont été publiés dans la revue scientifique américaine, PLoS One. Journaliste à Libération, Sylvestre Huet développe dans son blog. « Le mécanisme élucidé passe par l'un des récepteurs des oestrogènes des cellules des parois, auxquels se lient les molécules de delphinidine (un polyphénol) ce qui déclenche la production de monoxyde d'azote ». Le paradox n’est plus seulement french.
Source : http://www.vitisphere.com/dossier.php?i ... sier=50489