En Bordelais comme à Cognac, en Armagnac ou en Champagne, les chiffres de commercialisation sont en fort recul. L'exportation est en panne
Dans le monde viticole français, 2009 restera une année noire. Le premier producteur mondial, exportateur et consommateur de vin est tombé dans le fossé dès la fin de 2008, avec l'explosion de la crise financière et économique mondiale. Le relais de croissance représenté par l'exportation est tombé en panne, entraînant tous les chiffres dans le rouge.
Sachant que 95 % du business de Cognac et près de la moitié de celui du Bordelais ou de la Champagne se font hors Hexagone, on imagine les dégâts collatéraux dans les campagnes, même si le monde viticole - et agricole - développe souvent une grande capacité de résistance fasse aux aléas des marchés.
« Pour la première fois, on note une moindre envie des viticulteurs bordelais de transmettre à leurs enfants », observe-t-on à la direction régionale du Crédit agricole, principal financeur de la viticulture. Mais le monde du vin est loin d'être homogène. « En Bordelais - la Gironde est le plus grand département viticole français -, il se concentre même vers les extrêmes : les pauvres s'appauvrissent, et les riches s'enrichissent », assure un expert. Il y aurait la moitié des exploitations courbant l'échine, un quart affichant un sourire mesuré et autant vraiment dans le rouge. « Au-delà de la crise mondiale, qui est aussi un révélateur, la filière subit à marche forcée une extraordinaire mutation, comme les mondes du lait ou de la viande il y a vingt ans. Certains produisent encore du vin en touristes, et les marchés ne l'acceptent plus », ajoute un responsable.
Sans une qualité minimale, impossible de trouver un débouché, pour le monde des AOC comme pour les autres. Et encore faut-il tenir les prix, alors que la filière australienne, à genoux (surproduction, sécheresse...), fait du dumping sur l'immense marché anglais et que nos voisins espagnols et italiens sortent des qualités de plus en plus impressionnantes à moins de 20 euros la bouteille.
Autant dire que la bataille est à couteaux tirés sur les marchés d'Europe, d'Amérique ou d'Asie. Et ce au moment où les portefeuilles se sont refermés à Wall Street, à la City de Londres ou chez les nouveaux riches d'Europe de l'Est. L'exemple caricatural venant de Moscou, où depuis un an les acheteurs, autrefois très présents au pied de nos ceps de vigne, ont disparu des écrans radars.
Dangers du « trou noir »
Et tous les vignobles sont touchés. Du Midi, encore récemment dans la rue, à la Champagne, le plus prospère de tous. Même si ponctuellement, à Jurançon ou Madiran, en Médoc ou à Monbazillac, suivant les types de vins, les marchés et les prix pratiqués, certains s'en sortent mieux, à la production comme au négoce.
« J'observe parfois une glissade vers le "trou noir". En Dordogne, beaucoup courbent l'échine depuis des années, avec des coûts de production tirés et des marges faibles. L'investissement dévisse, la femme reprend un travail à l'extérieur, et le commerce local travaille moins », explique François Gérardin, président de l'interprofession bergeracoise. Heureusement, ici comme ailleurs, le producteur habite parfois dans la propriété (pas de loyer) et, pour peu que la voiture ou la note d'électricité passent dans les comptes de la société, le niveau de vie réel peut être moins affecté.
Le mirage chinois
L'enrayement de la machine exportatrice met aussi en relief le fait que la clientèle française a peut-être été négligée par des opérateurs, alors que de plus en plus d'amateurs s'intéressent au vin (lire interview ci-contre). « Et la Chine, sur laquelle tout le monde fantasme, est sûrement la future bulle qui explosera. C'est le seul marché qui reste en croissance, mais ce pays est comme une grande surface où les rayons se remplissent sans savoir si des clients y pousseront demain leur chariot ! » indique un important négociant bordelais, spécialiste des grands vins, qui confesse - 30 % pour son business en 2009. Il est vrai, après des années fastes.
Et 2010 ne s'annonce pas mieux. D'une part, sur ce marché spécifique des Rolls girondines, c'est surtout le 2007 - millésime peu coté - qui sera expédié et facturé. D'autre part, c'est la campagne de vente en primeur du millésime 2009 qui s'annonce délicate ce printemps. « Le marché n'est mûr pour aucune hausse », d'autant que l'indice de confiance de la marque Bordeaux « s'est dégradé ces dernières années », ajoute-t-on.
Peut-être une chance pour le portefeuille des amateurs, notamment français, de petits ou de grands vins. Ceux-là même qui profitent depuis des mois de nombreuses promotions sur les linéaires ou les sites Internet. « Une caisse gratuite pour une achetée » : le concept a encore de beaux jours devant lui.
César Compadre
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