par Patrick G » Jeu 26 Nov 2009 08:18
Christophe Coupez est avant tout mon oenologue, un vrai ami, qui bosse sans arrière pensée de copinage et qui a eu dans ses verres au-moins 350 propriétés.....
Bonne lecture à tous
Patrick
Millésime 2009 : le millésime « Akira ».
Revenons un instant sur la « météo des plages » si chères à certains chroniqueurs.
Il est indéniable qu’en 2009, elle nous a gâtés. Tous les éléments favorables étaient réunis : chaleur
diurne, fraîcheur nocturne, soleil, juste ce qu’il faut d’eau et de stress hydrique.
Leur absence de conjonction n’est heureusement pas synonyme de mauvais millésime. Nous savons
aussi faire de bons vins quand la nature ne nous gratifie pas d’une météorologie parfaite.
En revanche, quand tous les paramètres sont au vert, nous pouvons rêver de l’exceptionnel.
Je me souviens de ces soirs d’été passés en terrasse. Alors que nous profitions de la fraicheur
nocturne, la divine liane se délectait de nous élaborer des fruits parfaits.
A l’approche de la maturité, plusieurs fois nous avons frémi. Des épisodes orageux, des matinées
embrumées nous ont fait craindre de ne pouvoir aller au bout de ce cycle, de devoir déclencher la
récolte avant le terme optimal. Déjà , nous tenions une qualité insensée, mais nous pouvions encore
aspirer à mieux.
Jamais les jus des contrôles de maturité n’ont été si colorés, et si tôt. Très vite, les premières
sensations végétales ont laissé place à des expressions fruitées de toute beauté.
Aussi rapidement, les tanins sont apparus puis se sont adoucis.
Sans être particulièrement précoce, 2009 a flirté avec les moyennes décennales en termes de date
de récolte.
Jamais nous n’avions dégusté des raisins de cette qualité. Nous étions donc certains que les vins qui
en découleraient seraient exceptionnels. 2009 s’annonçait comme un compromis entre 2003 et
2005. Forcément, il allait être meilleur que ces deux années remarquables. Il avait le fruit du premier
mais avec davantage de fraicheur. Il avait la puissance du second, mais avec moins d’austérité.
L’insolation cumulée de juin à septembre 2009 était supérieure à celle mesurée en 2005. Et les
contrastes thermiques diurnes/nocturnes étaient souvent très accentués. Tous ces éléments sont
bien connus comme étant des gages de qualité.
Les raisins blancs ont rapidement révélé leurs arômes complexes aux notes exotiques et persistantes.
En fermentation, les vins devenaient gras, puissants et charnus. Fruits blancs et jaunes se mariaient
merveilleusement à la fraicheur des vins nouveaux. Le travail sur lies a achevé l’explosion aromatique
et l’enrobage moelleux de l’acidité. L’équilibre était parfait, la longueur en bouche interminable.
En rouge, notre première surprise fut de constater que les premiers raisins encuvés ne libéraient pas
aussi facilement que nous l’attendions leur contenu pelliculaire de couleur et de tanins.
Le millésime s’annonçait donc prometteur mais…il allait falloir le mériter.
Très vite, nous avons adapté nos programmes de travail des cuves à cette matière fougueuse mais
rebelle. Très vite, nous en avons tiré une substantifique moelle à la hauteur de nos attentes.
Une des clés de la réussite a résidé dans la maîtrise des températures. La première phase des
vendanges s’est en effet déroulée dans une période chaude. Décaler la récolte tôt le matin, arrêter
aux premières chaleurs, refroidir les raisins à leur arrivée au chai ont été autant d’efforts
récompensés. Plus tard, ce fut au contraire le froid matinal naturel qui a permis d’encuver des raisins
frais sans la moindre dépense énergétique.
Les périodes de macération pré fermentaire à froid ont conduit à des résultats fabuleux. Les moûts
ont vite gagné en fruité, en structure et en couleur. La fermentation alcoolique n’avait pas
commencé que nous avions déjà des moûts noirs, aux tanins savoureux et se dégustant comme des
coulis de fruits rouges. Les meilleurs résultats ont bien entendu été obtenus avec des macérations
longues, maitrisées grâce à de véritablement basses températures.
Au cours des fermentations alcooliques, le contrôle des températures a également joué un rôle
fondamental. Sur le plan microbiologique d’abord, car les levures avaient besoin de températures
modérées pour parvenir à fermenter ces matières premières riches dans lesquelles il leur est difficile
de survivre. Pour la gestion des extractions ensuite, car une fermentation lente allonge la durée
potentielle de travail des marcs, en particulier en phase peu alcooleuse, qualitativement plus
favorable.
La pratique du délestage, en forte progression depuis quelques années, a gagné ses lettres de
noblesse en 2009. Des records sont tombés, certaines cuves ayant bénéficié d’un nombre élevé de
délestages (jusqu’à 50). Très nettement, les vins élaborés par cette technique se sont distingués par
leur gras, leur volume, leur puissance tannique douce. Malgré des analyses aux chiffres
astronomiques, les structures de ces vins sont restées harmonieuses et sans aspérité, tout en velouté
et en soyeux.
Vinrent alors les macérations post fermentaires. Les premières cuves ont progressé très vite vers un
aboutissement qui a justifié leur écoulage plutôt rapide. Ce phénomène reste inexpliqué car la
grande majorité des cuves suivantes est resté dans un équilibre légèrement réducteur permettant de
longues phases de macération. Elles sont d’abord passées par une phase de structuration tannique Ã
laquelle a succédé une période d’harmonisation et prise de gras.
C’est là que nous avons pris conscience de la puissance de 2009. Rien jusqu’alors ne l’avait égalée.
Sur le plan aromatique, nombreuses ont été les cuves à révéler des notes déjà repérées dans les plus
grands raisins de 2005 ou de 2007, que chacun identifie avec sa propre culture des odeurs. Il y a deux
ou quatre ans, ces expressions étaient certes perceptibles, mais peu fréquentes en comparaison Ã
2009. Des nez tantôt caractéristiques des grands vins doux naturels rouges ou des Portos vintages,
tantôt minéraux, mais toujours avec une élégance, une intensité inégalées.
Avec ces arômes sont venus de tanins d’une classe incroyable. Les plus belles cuves, et là encore elles
sont légions, nous ont donné une sensation crayeuse, granuleuse, tout en puissance et sans jamais
une once d’agressivité. LA maturité parfaite, si elle existe, a été atteinte dans ces cas. Nous
dégustons quotidiennement des monstres et jamais n’en sommes fatigués, ralentis.
Devant ces cuves, j’ai pris conscience que la matière avait dépassé les promesses que nous en
pressentions. Pour la première fois, je me suis senti sans repères sur cette échelle de qualité. J’ai eu
le sentiment impuissant de n’avoir pas prévu un tel résultat.
Alors, j’ai repensé à cet enfant, Akira, en apparence inoffensif, et pourtant doté d’une force
inimaginable. Les raisins de 2009 étaient cet enfant. Toute leur richesse, toute leur puissance
contenues se sont exprimées dans les vins de ce millésime, pour notre plus grand émerveillement.
Aujourd’hui, les écoulages sont en passe de se terminer. De tels fruits méritaient en effet que nous
en extrayons toute la sève au travers de vraies macérations. Les vins de presse sont eux aussi
remarquables. C’est l’adage des années exceptionnelles.
Les fermentations malo lactiques ont pris le relais et nous pourrons bientôt entamer un élevage qui
promet d’être passionnant si les vins nous donnent autant que les fruits avant eux.
Après une telle expérience, la première d’un tel niveau pour beaucoup d’entre nous, quel que soit
notre âge, il faudra sans doute un peu de temps avant que réapparaisse l’intérêt de découvrir le
prochain millésime.
Je souhaite aux jeunes vinificateurs de revivre ça un jour.
Christophe COUPEZ, Chambre d’Agriculture de la Gironde.
Le 23 novembre 2009, Ã Pauillac.