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Montpellier : le peuple du vin vient crier sa misère

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mer 25 Nov 2009 11:36

Aujourd’hui à partir de 15 h, plusieurs milliers de vignerons défileront autour de l’Ecusson à Montpellier. En ville, on les redoute parce qu’on sait de quelles jacqueries ils sont capables. On se demande également ce qu’ils veulent encore alors qu’on vient d’annoncer un plan de 1,6 milliard d’euros pour l’agriculture. Eux savent que ces aides n’assurent pas leur avenir. Ils pensent que l’essentiel est ailleurs : dans le marché du vin, qui ferait la part belle à la grande distribution et au négoce. Au bout de cinq ans de crise, la viticulture régionale est à bout de souffle. Portraits dans l’Hérault.

Céline Munuera : tout pour Tiffany

C’est l’histoire d’une passion qui sombre dans la crise. Cinq ans que cela dure. « Au début, je me disais : "accroche-toi, des années de galère, la vigne en a connu beaucoup", mais là, je ne vois plus l’horizon. » Céline Munuera parle de ses nuits d’insomnie malgré la fatigue qui l’accable : « Avec tous les soucis que j’ai dans la tête, je tourne et retourne, le sommeil ne vient pas. Toujours en train de ressasser les mêmes choses, de te demander comment tu vas passer le mois, payer les traites… C’est plus une vie. »

Même sa fierté s’est émoussée… Elle est toujours aussi jalouse de ses vignes de Vendémian, Céline - « les plus belles du village, les mieux entretenues », jure-t-elle - mais elle hésite à avouer jusqu’à quel point elle tire le diable par la queue. C’est qu’elle n’est pas seule dans la vie. Le mercredi, quand elle taille l’hiver, quand elle dépointe l’été, quand elle passe les plantiers au printemps, il y a Tiffany avec elle. Sa petite Tiffany, une gamine de 9 ans qui prend plaisir à regarder sa maman se démener dans les rangées… Comme elle-même prenait plaisir quand son père l’amenait à la vigne, le soir après sa journée d’ouvrier agricole. C’est ainsi que la passion a gagné Céline, s’est insinuée en elle, par une étrange capillarité entre la terre et sa chair…

En 2003, quand elle a eu 25 ans, elle s’est installée en Gaec avec le père qui, sou après sou, avait réussi à acheter 25 hectares, se hissant ainsi au-dessus de sa condition d’ouvrier. 2003, la fin d’un cycle. L’année suivante, les cours du vin s’effondrent, la viticulture s’enfonce dans la crise. Le plan d’installation de Céline, bâti pourtant sur des anticipations prudentes, n’est plus respecté. « Avant, je travaillais pour vivre. Maintenant, je travaille pour garder l’exploitation. Tout augmente sauf le prix du vin. J’ai perdu 60 % de mon chiffre d’affaires, je me suis séparée de l’ouvrier agricole. On fait tout tout seul avec papa. On se tue au boulot mais quand je suis passée partout, il ne me reste rien… »

Pour vivre, elle compte sur le petit capital qu’elle accumule en travaillant à la coopérative pendant les vendanges et sur les quelques aides qui s’y ajoutent : pas plus de 400 € par mois. Le père craque, celui de Tiffany est parti, Céline tient tant bien que mal en donnant priorité à sa fille. « Quand je peux pas lui payer ses envies, je tente de lui expliquer pourquoi mais je veux l’épargner. Elle ne devrait pas savoir les difficultés que je traverse », la voix se noue, les yeux clairs de Céline s’embrument… Le rêve de la gamine, passer un week-end à Disneyland avec sa maman, n’est pas prêt de se réaliser...

Jean Garriguenc : sauver Sainte-Sophie

Avec ses trente-cinq hectares et ses bâtiments au milieu des vignes, le domaine Sainte-Sophie a plutôt belle allure aux portes de Villeneuve-les-Béziers. S’il n’était pas leur outil de travail, il vaudrait aux frères Garriguenc - Jean et Bernard - d’être assujettis à l’impôt sur les grandes fortunes. Bernard, Jean, sa femme et ses trois enfants vivent pourtant une vie quasi-monacale entre ces murs. Boulot de l’aube jusqu’à 20 h, dimanche compris, pas de loisir et si n’était la petite retraite de Marie, l’épouse, pas de quoi faire bouillir convenablement la marmite. « Nous arrivons à dégager un peu plus de 1 000 € par mois pour nous cinq », assure Jean aujourd’hui âgé de 60 ans.

Pour lui, cependant, l’essentiel est ailleurs. Certes les travaux d’aménagement de la maison sont interrompus depuis plus d’un an, la voiture de la fille, étudiante à Montpellier, ne sera pas remplacée de sitôt malgré ses 300 000 km au compteur et l’on y regarde à deux fois quand on va dans les boutiques de Béziers, mais les Garriguenc, issus de parents ouvriers agricoles, savent ce qu’est la vie rude. L’essentiel est dans cette question que pose l’agriculteur, une question sans réponse et qui le taraude : « Finira-t-on un jour par progresser ? »

Jean fait tout pour avancer. Jamais à court de projets. Investir, toujours investir pour espérer sortir la tête de l’eau quitte à se serrer la ceinture plus fort encore. « J’ai beaucoup d’amis qui un jour ont craqué, ont baissé les bras, laissant leur exploitation vieillir et disparaître. Moi je tiendrai. » Mais la crise n’en finit pas. Cela fait trop longtemps que les prix sont au plus bas : 50 € l’hectolitre pour les vins de pays d’Oc rouges alors qu’ils se négociaient à 75 € au début des années 2000 ; trop longtemps que les coûts de production grimpent : ils auraient pris 60 % en 10 ans selon l’agriculteur.

Il est vrai que les deux frères n’ont pas fait le choix de la facilité en replantant en vignes Sainte-Sophie, il y a dix ans. L’exploitation, achetée en 1986, était entièrement dédiée au maïs semence, ils sont passés en “viti” quand les cours des céréales ont fléchi. « Nous avons planté à marche forcée au rythme de 6 à 7 hectares par an. Pour accompagner cette croissance on a associé un fermage de 120 hectares de blé dur à notre exploitation. Tout allait bien jusqu’en 2003 quand on est entré dans la crise. » Depuis, la vie des Garriguenc est une perpétuelle course derrière leur trésorerie, une course exténuante…. Jusqu’à quand ?

Jean-Pierre LACAN
http://www.midilibre.com/articles/2009/ ... 10290.php5
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