Signe du réchauffement climatique, on ose – enfin! – parler raisin en Champagne. Et même bio. Visite à un pionnier depuis vingt ans.
Les vignobles de la Champagne sont du côté de Reims et de sa fameuse Montagne, au sous-sol crayeux. Mais aussi, pour un tiers de la surface, à deux heures de route plus au sud, dans la Côte des Bars, qui se partage 7000 hectares de vignes. Ici, le calcaire remplace la craie. Les vignes, plantées sur des coteaux bien exposés, sont mêlées aux grandes cultures, dans la plaine.
Les Fleury sont installés à Courteron depuis 1895. «Chaque génération amène une innovation», explique, jovial, Jean-Sébastien, 33 ans. «Mon arrière-grand-père, pépiniériste, fut le premier à replanter sur greffe après le phylloxéra. Mon grand-père lança son propre champagne après la crise de 1929. Mon père, dès 1970, s’est lancé dans une démarche écolo. Et je peux fêter cette année les 20 ans de l’arrivée de la biodynamie sur notre domaine de 15 hectares, entièrement reconverti dès 1992.»
Trucs et astuces
Le domaine revendique les deux labels Demeter et Ecocert. Le vigneron explique comment il enterre 200 cornes de vache, remplies de bouse, de novembre à Pâques, pour stimuler la vie des sols.
La «préparation 501», à base de plantes et favorisant la photosynthèse, est pulvérisée jusqu’à six fois par an sur les vignes, non pas par tracteur, mais par ULM. Et Jean-Sébastien pose fièrement devant un curieux cylindre branché à des tuyaux, le «dynamiseur», indispensable aux adeptes de l’anthroposophe Rudolf Steiner.
Vingt ans de biodynamie au nord de la France? Cela s’explique notamment par le réchauffement climatique. Les vendanges n’ont jamais été aussi précoces en Champagne. Mais aussi par le génie – ou les astuces – des Champenois. Contre mauvaise fortune du ciel, ils ont développé, depuis la nuit des temps, des stratagèmes pour ne pas perdre le fruit de leur labeur. En 2003, la grêle s’est combinée à la canicule et, en 2007, le mildiou s’en est mêlé. Qu’à cela ne tienne: les Champenois récoltent davantage qu’ils n’ont le droit de mettre sur le marché, et disposent ainsi de «vins de réserve». La cuvée de base est toujours un assemblage de plusieurs années.
La liqueur qui change tout
S’ajoute aux aléas de l’année le gel de printemps. En 1995, il fut terrible. Cette année-là fut aussi la première où Fleury produisit un vin en biodynamie. Le vin de base n’avait pas fait sa malolactique, conservant une acidité redoutable.
Quatorze ans plus tard, la maison propose trois champagnes 1995. Leur dégustation permet de juger de l’importance de l’ajout de la «liqueur d’expédition», exprimée en grammes de sucre. Cette ultime «rectification» modifie un champagne du tout au tout. L’extrabrut (3 g de sucre) est bâti sur l’acidité, avec des arômes de fruits secs, de curry; le brut (14 g, à la limite des 15 g autorisés en brut), au nez de pain de seigle, exprime des épices plus douces, tandis que le doux (53 g de sucre) rappelle la mirabelle, l’amande. Le sucre masque l’acidité et exhausse les saveurs! Pourtant, la base est la même: 80% de pinot noir, vinifié en blanc, bien sûr, et 20% de chardonnay.
* Le champagne Fleury est importé par Adalbert Jaques, à Sainte-Croix.
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Bio et techno
La cave est à la pointe de la technique. A côté des pressoirs verticaux à plateaux, un pressoir automatique de la dernière génération. Les cuves de vinification sont en inox, mais les vins de réserve sont logés, depuis peu, dans de grands foudres en chêne. Et la maison est très fière d’avoir développé, avec le laboratoire officiel de la région, une levure sélectionnée dans sa cave, reproduite de manière industrielle et largement diffusée dans le monde entier (Quartz).
Sur le fond, Jean, le père, explique en une phrase pourquoi il a renoncé aux produits chimiques à la vigne: «Je me suis dit: «Si on continue, on crève.» Mais il y a encore du travail:<br/>il faut réduire la dose de cuivre, produit de substitution contre le mildiou, et le soufre (SO2), «voire s’en passer». Une autre mode prisée en Champagne, où les bulles pardonnent presque tout…
Pierre Thomas
http://www.24heures.ch/loisirs/gastro/b ... 2009-10-28