L’homme est le maître des vins du restaurant Terminus de Didier de Courten, à Sierre. Il vient d’être couronné par le GaultMillau. Découvertes
C’est un garçon souriant mais plutôt discret. On devine que ce tapage médiatique autour de sa personne commence à l’agacer, mais il joue le jeu. Elégant. Geoffrey Bentrari, 27 ans, a été élu sommelier de l’année 2010 par le guide gastronomique GaultMillau. Il est content, bien sûr, il s’agit d’une reconnaissance importante, oui. Mais il est encore plus heureux de constater que cette nomination réjouit les clients du Terminus, le restaurant gastronomique sierrois de Didier de Courten, qui vient de publier son premier livre de recettes .
Cela fait quatre ans maintenant que Geoffrey Bentrari est au service du grand chef valaisan. Originaire d’Aix-en-Provence, issu d’une famille de propriétaires de brasseries, il suit tout naturellement la filière de la restauration et de la sommellerie. Fait ses écoles à Tain-l’Hermitage. Travaille ensuite dans de prestigieux établissements: l’Auberge de l’Ill à Illhaeusernen Alsace, et chez Michel Troisgros à Paris. Et puis, en surfant sur Internet, il tombe sur une annonce. Le Terminus à Sierre cherche un sommelier. «Ce que je savais de la Suisse, c’est que c’était une tache noire isolée sur la carte de l’Europe, dit-il. Je savais aussi qu’il y avait des abricots en Valais. En France, la Suisse ne figure dans aucun programme scolaire. Nous en avons une idée faussée.» Lorsqu’il découvre qu’il y a un vignoble en Valais, il n’hésite plus: il envoie son CV à Didier de Courten. «Je voulais travailler dans une région où l’on fait du vin.»
Durant les pauses de l’après-midi, il arpente les coteaux valaisans. «On ne peut connaître le vin qu’en allant dans le vignoble», affirme-t-il. Il fait la connaissance des vignerons sans montrer patte blanche. Incognito, donc. Ce qui lui vaut parfois de mauvaises surprises. Certains se méfient de ce jeune homme au visage d’ange et à l’accent chantant qui veut goûter du vin, et lui font comprendre qu’ils n’ouvrent pas leur porte à n’importe qui. Geoffrey Bentrari ne leur en tient pas rigueur. Car il fait des découvertes qui l’enchantent. «La Petite Arvine de Romain Papilloud à Vétroz a été ma première émotion en Valais, dit-il. C’était un goût nouveau, j’ai tout de suite aimé cette salinité typique du cépage. Un très beau vin.»
Sur la photo qui figure dans le GaultMillau, il pose avec une bouteille de Syrah Vieilles Vignes de la cave Simon Maye et Fils, désormais célèbre pour avoir coiffé au poteau les plus grandes syrahs du monde lors d’une dégustation à l’aveugle du Grand Jury européen. Le jeune sommelier apprécie beaucoup les spécialités valaisannes. Il cite la maison Chanton à Viège et ses incroyables cépages, comme l’himbertscha, le lafnetÂscha, le gouais, l’eyholzer roter, etc. «Ces cépages, c’est comme avoir dix gosses à la maison», dit joliment le sommelier. Qui fait preuve d’un sens certain de la formule. «A l’heure de la mondialisation et de la standardisation du goût, on entretient en Valais une culture de l’émotion gustative», constate-t-il.
A la carte dont il a hérité, il a apporté une touche personnelle. En y ajoutant de nouveaux producteurs valaisans. En l’ouvrant à des vins des Grisons et du Tessin. En l’étoffant avec des vins français. On trouve ainsi, côté Brasserie, une proposition de vins de l’Hexagone sous la rubrique «Curiosités». La conversion de Geoffrey Bentrari aux vins suisses semble être allée assez loin…
Toutefois, il se défend d’être un ayatollah. Il n’est par exemple pas opposé aux copeaux de bois. «Pourquoi pas si le rapport prix/plaisir est au rendez-vous ? On doit aussi s’adapter au goût des consommateurs», dit-il. De même, l’élevage du vin en barriques neuves, qui fait aujourd’hui grimacer nombre d’amateurs et de spécialistes, ne lui paraît pas être une hérésie. «Le fût de chêne n’est pas le tombeau du vin. Il ne le masque pas forcément. Il peut être un écrin qui valorise le vin.»
Mais lui, qu’aime-t-il ? «L’auÂthenticité», répond-il sans hésiter. C’est-à -dire ? «Un produit qui reflète le caractère du cépage, le sol, le millésime et l’homme qui le fait. J’aime les vins qui sont vivants, qui évoluent à chaque gorgée, les vins qui ne bluffent pas.»
Mais pas question d’imposer son goût aux clients. «Le sixième sens du sommelier, c’est de trouver le bon vin au bon moment. Si on se trompe, le repas du client est fichu.» Sacrée responsabilité. Et là , il s’attriste. «La sommellerie est en voie de disparition. Les conditions de travail sont généralement dures, les salaires bas, et le tournus du personnel est très important. Or, pour bien faire son travail, un sommelier doit être fidèle à la maison dans laquelle il se trouve. Et le restaurateur doit aussi montrer sa fidélité à son employé.»
Représentant d’une espèce en voie de disparition, Geoffrey Bentrari ? A l’heure où toujours plus d’amateurs s’intéressent au vin ? Il insiste. «L’école de Tain-l’Hermitage peine à recruter de nouveaux élèves. En France, des écoles ont fusionné. Je connais des restaurants haut de gamme en Suisse qui ont des difficultés à trouver des sommeliers.»
Heureusement pour les clients de la table sierroise, Geoffrey se plaît au Terminus. Car comment imaginer désormais le restaurant de Didier de Courten sans ce beau sourire, sans ce bagout typiquement français, sans ce visage qui semble à peine sorti de l’enfance ?
Patricia Briel
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