Château Cheval-Blanc, ce saint-émilion est l'un des vins français les plus prestigieux. Sa cote dépasse parfois l'entendement . Mais ce luxe a un prix : un travail de fourmi pendant les vendanges .
Ce soir, on va bien dormir . » C'est l'heure de la pause . Dominique retire la cagette qu'il porte sur les épaules . Pleine, elle peut contenir 25 à 30 kg : l'équivalent de quatre seaux de raisins . Les autres vendangeurs le rejoignent .
Nous sommes au milieu des vignes de Cheval-Blanc , à Saint-Émilion , dans le Bordelais . Soit l'un des deux plus beaux domaines de cette appellation , avec le château Ausone . L'un des plus chers aussi . Une bouteille de Cheval-Blanc (premier grand cru classé de saint-émilion) vaut le plus souvent entre 300 à 800 €. Aux enchères , certains millésimes exceptionnels peuvent même atteindre plusieurs milliers d'euros . Mais à ce niveau-là , comme ils disent chez Rolls-Royce , « si vous demandez le prix , c'est que vous n'avez pas les moyens... »
Loin de ces hauteurs , une vingtaine de personnes sont dans les vignes . En cette après-midi de septembre , le soleil est capiteux . Il cogne comme un vin du Roussillon . Aucun , pourtant , ne rechigne à la tâche . Mieux, ils sont venus spécialement pour ça . Jérôme, par exemple , est boucher-charcutier . Mais depuis quinze ans , il consacre ses vacances aux vendanges . « Je ne les manquerais pour rien au monde . Cela me change des saucisses . On est au grand air , et puis , ici , on est bien traité », sourit-il .
Petit-déjeuner, déjeuner copieux arrosé de quelques bonnes bouteilles du château et un salaire légèrement supérieur au smic. « On va gagner 1 000 € pour trois semaines. Mais ce n'est pas ça qui nous fait venir », confirme un autre vendangeur au physique d'armoire à glace. L'homme est policier municipal à Libourne lorsqu'il n'est pas dans les vignes.
Les vendanges ont commencé par le merlot, l'un des deux cépages composant le Cheval-Blanc, avec le cabernet-franc. Debout, accroupis ou à genoux, ces saisonniers prélèvent les plus belles grappes. Car ici, on vendange encore à la main. La machine a, certes, fait des progrès et offrirait de meilleurs rendements. Mais un grand millésime a ses raisins que la raison ne connaît pas. Question d'image, de notoriété. Même les grappes sont triées à la main par une quinzaine de personnes avant d'être envoyées dans les cuves.
« On vend aussi du rêve »
Entre les rangs, chacun sait ce qu'il a à faire. « Si les baies sont trop petites, on les laisse. C'est que le raisin est trop acide. S'il y a des trous dans les grappes, c'est la même chose », explique Jérôme. Car un bon vin, c'est avant tout de bons raisins.
« On a eu une floraison exceptionnelle, ce qui a permis d'avoir des grappes très homogènes. On a également eu, cet été, des journées chaudes et des nuits fraîches, ce qui permet de mieux préserver les arômes », précise Nicolas Corporandy, le chef de culture. « Franchement, si on n'y arrive pas cette année, on n'a plus qu'à arracher les vignes », confirme le maître de chai, Thierry Garnaud.
Dans les vignes, la cagette sur le dos, Dominique, 42 ans, transpire toujours à grosses gouttes. Mais garde le sourire. À l'occasion, il ne lâche pas la grappe des jolies vendangeuses et parle avec l'effervescence d'un vin pétillant. Normal, c'est un ancien commercial qui a abandonné ses radiateurs pour le travail au grand air. Définitivement. « Je ne regrette rien. Quand tu dois vendre pour gagner ta croûte, tous les matins, tu pars à la guerre. Là , c'est dur aussi. Mais au moins, ici, tu es considéré », assène-t-il.
Du coup, par tous les temps, Dominique porte les cagettes, replante des piquets et taille les vignes. Mais en paix cette fois-ci. C'est peut-être cela, le secret des grands vins : l'exigence et la tranquillité qu'ils parviennent à imposer.
Et malheur à celui qui suggérerait autre chose. Le célèbre critique américain Robert Parker en a fait l'amère expérience. Il y a quelques années, alors que celui-ci avait émis des réserves sur le millésime 1982 de Cheval-Blanc, le gérant d'alors, Jacques Hébrard, furieux, le convia à revenir déguster. Robert Parker accepta. Et alors qu'il se présentait à l'entrée des bureaux, un chien le mordit au mollet.
Aujourd'hui, les mollets des visiteurs ne risquent plus rien. Certains sont prestigieux. Amélie Mauresmo ou Bono, le chanteur du groupe U2, sont venus au domaine. On raconte qu'il y a quelques semaines l'acteur Johnny Depp aurait acheté, dans un restaurant étoilé du sud-ouest, une bouteille de Cheval-Blanc 1947 pour la somme de... 40 000 € !
C'est ainsi. Les prix de Cheval-Blanc dont le domaine appartient à Bernard Arnault et au baron Albert Frère, ont parfois tendance à s'emballer. « Si la romanée-conti n'était que du vin, on ne la vendrait pas ce prix-là non plus. On vend aussi du rêve », convient Yann Jestin, un courtier bordelais.
Pierrick BAUDAIS
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