Alors que Vinexpo se prépare -du 21 au 25juin-, les indicateurs virent tous au rouge pour les acteurs de la filière viti-vinicole. Le marché international s'effondre et la grande distribution traîne les pieds. Conséquence, les grands crus ont annoncé des baisses de prix allant jusqu'à 60% et les producteurs de ?petits? vins sont à nouveau confrontés à un problème de surstock. Comment faire face à cette crise? Qui va en profiter? Quels sont les niches et les marchés encore porteurs ?
Dossier réalisé par Yann Buanec et Orianne Esvan
Du 21 au 25juin, tout le monde du vin se retrouvera à Vinexpo, le salon international des vins et spiritueux qui a lieu tous les deux ans à Bordeaux. La dernière édition, en 2007, avait attiré plus de 50.000 visiteurs, 2.400 exposants venus de 45 pays et 1.300 journalistes pour un chiffre d'affaires de 15M€. L'événement avait également généré plus de 80M€ de retombées économiques. Cette année, malgré la crise, les organisateurs déclarent faire le plein et ne doutent pas d'un nouveau succès. «Les études confirment que la consommation mondiale de vin continuera d'augmenter de plus de 6% dans les cinq ans à venir pour atteindre 2,8 Md de caisses. Le chiffre d'affaires réalisé par la vente de vins au détail a atteint 150 Md€ en 2007. Les échanges internationaux ne cessent de se développer; en 2007, une bouteille sur quatre consommées dans le monde était un vin importé, déclare Xavier de Eyzaguirre, le président de Vinexpo. Les professionnels savent que la filière conserve un potentiel important. Être présent à Vinexpo, c'est être là où il faut, au bon moment.»
Une édition test
Pourtant, cette année, des poids lourds feront défaut parmi les exposants: les Américains Constellation et Gallo ou encore le français Taittinger. D'autres ont décidé de réduire la voilure en quittant le sélect Club du lac pour réintégrer le parc des expositions. Et certains s'interrogent sur l'avenir du plus grand salon professionnel du vin au monde. «Vinexpo 2009 sera une édition test, affirme Barthélemy, journaliste viticole bordelais. Nous sommes à un tournant car il est presque sûr que de nombreux visiteurs asiatiques seront absents. Vinexpo s'est exporté avec succès à Hong Kong l'an dernier et avec la crise, certains ne viendront pas. Les Américains pourraient aussi bouder cette année.Un jour viendra où il faudra réinventer Vinexpo.»
Stéphane Levêque. «Re-descente aux enfers pour les petits vins»
Stéphane Levêque, président du syndicat régional des courtiers en vins et spiritueux de Bordeaux, assiste à une baisse significative des prix du millésime 2008. Selon lui, les producteurs de "petits vins" vont le plus souffrir.
Quelles sont les plus fortes baisses de prix que vous ayez constaté sur le millésime 2008 ?
Certains châteaux ont connu une chute de 60% du prix du millésime 2008 par rapport à 2007. Mais nous avons rencontré tous les cas de figure. Globalement, la baisse est significative et ceux qui baissent le plus sont ceux qui avaient le plus augmenté. Nous avons connu une formidable évolution du marché des grands crus depuis 2005. 2008 a donné une récolte faible en volume avec une belle qualité. Mais la crise est passée par là et tous les marchés qui nous faisaient rêver se sont effondrés. Les fonds spéculatifs qui avaient acheté du 2005, du 2006 et du 2007 ont remis une grosse quantité de vin sur le marché. Bref, la bulle spéculative a explosé.
Dans ce contexte, fallait-il organiser une campagne de primeurs ?
Le débat a eu lieu au sein de la filière. En ce qui me concerne, je considère qu'il ne fallait pas supprimer ce rendez-vous attendu et que la politique de la chaise vide n'aurait servi à rien.
Comment écouler tous les stocks de2006 et 2007 ?
Le problème se pose surtout pour la grande distribution, qui a beaucoup acheté ces millésimes, à un prix élevé, et qui doit aujourd'hui les écouler alors que le 2008 est moins cher et de meilleure qualité.
Assistez-vous au développement des opérations de promotion?
Effectivement, les propriétaires apportent de plus en plus souvent une aide pour vendre les 2006 et surtout les 2007. Les opérations treize à la douzaine se développent, ainsi que les actions commerciales conjointes pour la promotion d'un cru. Même si les opérations de promotion sont de plus en plus fréquentes, elles ne concernent pas les grands crus, qui considèrent que les baisses de prix qu'ils ont appliquées sont suffisantes.
Quelle est la situation des producteurs de "petits vins" ?
La situation est très préoccupante pour eux. Leur marché est déconnecté de celui des grands crus, mais ils subissent également la crise. C'est une re-descente aux enfers pour les producteurs de petits vins. Alors que Bordeaux avait réussi à faire face à la surproduction avec un bilan positif pour la commercialisation de vins en 2008, on assiste à nouveau à une chute des cours et une mévente.
Qui va profiter de cette crise ?
En tout cas, pas les courtiers ! Notre chiffre d'affaires a diminué entre 50 et 60% par rapport à l'année dernière sur le marché des grands crus. Les grands gagnants seront les consommateurs. Les amateurs classiques qui étaient frustrés par les prix élevés de ces dernières années sont de retour.
Marketing. Quelles sont les tendances ?
Si la situation du marché du vin est globalement mauvaise, des tendances se dégagent pour séduire les consommateurs, qui plébiscitent de plus en plus les vins de plaisir.
Les étiquettes épurées Nom du château, de l'AOC, millésime, degré alcoolique... Les mentions obligatoires sur les bouteilles ne laissent pas beaucoup de place à l'imagination. «Trop d'informations noient le consommateur, explique Marcello Rudil, responsable des programmes vins et spiritueux au Wine institute de l'Inseec Bordeaux. 70% des achats de vins sont effectués par femmes, la plupart du temps en grande surface, et elles ne restent qu'une dizaine de secondes dans le rayon des vins. La tendance est donc aux étiquettes épurées, qui donnent une information simple». Autre mode qui rencontre depuis quelques années un certain succès: les contre-étiquettes. «Attention à ne pas faire de la poésie, prévient Marcello Roudil. Tout le monde, aujourd'hui, parle d'élégance et de finesse pour qualifier son vin. Or, le consommateur veut des informations concrètes. Le vin est le seul produit que l'on achète sans savoir ce que l'on va consommer, l'acheteur doit donc être avisé de ce qu'il va trouver dans la bouteille».
Les capsules à vis «Les capsules à vis sont une réponse à une tendance de fond: le vin de plaisir, soutient Marcello Roudil. Cela donne une approche plus sympa, avec un produit facile à ouvrir. Observez le jeudi soir les terrasses à Bordeaux. Les jeunes boivent du vin, ce qui n'était pas le cas il y a 10 ans. À l'époque, le vin en apéritif, c'était pour les touristes ou les péquenauds».
Les marques
«Les marques se vendent de plus en plus car elles disposent d'un meilleur référencement, de campagnes de publicité et offrent un goût constant, indique Marello Roudil. Le consommateur a besoin de codes, car cela lui simplifie la sélection du produit qu'il souhaite acheter. Le cheval de Malesan ou le Nº1 de Dourthe sont de très bons exemples de codes qui fidélisent le consommateur».
L'ouverture des propriétés
«Tout ce qui est lié à l'oenotourisme est en plein développement, affirme le responsable Inseec. Il y a 7 ans, avec des amis italiens, nous avons participé aux journées portes ouvertes en Sauternes. Ils n'en revenaient pas que les châteaux ne soient pas ouverts toute l'année, comme c'est le cas pour la très grande majorité des propriétés italiennes. Nous aurons gagné quand il n'y aura plus de journées portes ouvertes. Les consommateurs veulent aller à la rencontre des viticulteurs».
Le vin de plaisir«Aujourd'hui, le consommateur préfère un "petit" vin à un prix correct plutôt qu'un grand cru au prix exorbitant, soutient Marcello Roudil. Allez dire à quelqu'un: je t'offre une bouteille, tu pourras la boire dans 20 ans. Plus personne ne veut de ça».
Export. Les marchés anglais américain et russe en baisse
Philippe Castéja dirige la maison Borie-Manoux à Bordeaux et est vice-président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux.
Que représentent les ventes de vin dans le commerce extérieur français?
C'est le deuxième poste d'exportation après l'aéronautique et cela représente 90% des exportations agroalimentaires françaises soit 9,31Md€ ou 182 airbus.
La crise économique touche également les ventes de vin, notamment le bordeaux. Quels sont les marchés touchés ?
Trois pays posent problème actuellement: l'Angleterre, les États-Unis et la Russie. Il s'agissait de marchés en forte croissance ces dernières années mais actuellement, ils cumulent crise économique et problème de taux de change par rapport à l'euro. Résultat, on enregistre de fortes baisses sur les trois derniers mois en volume pour les bordeaux: -45,5% vers la Russie, -35,5% vers le Royaume Uni, -36,6% vers les USA. En valeur, la baisse s'établit à -54,1% vers la Russie, -42,6% vers les USA et - 13,6% vers le Royaume Uni.
Ces baisses sont-elles dues au prix que beaucoup estiment trop élevés?
Certains peuvent dire que le 2007 était trop cher mais il faut regarder la vérité en face, il y avait des acheteurs. Cette année, la crise économique va exacerber la concurrence avec des pays comme l'Italie, l'Espagne, le Chili, l'Argentine et il y aura sans doute une révision des prix.
Quels sont les marchés qui se portent encore bien?
Évidemment le marché chinois, c'est l'eldorado pour beaucoup même si la Chine est également touchée par la crise, les exportations progressent encore, +53,4% ces trois derniers mois en volume pour les bordeaux. La marge de progression est encore élevée car sa population aspire toujours au mode de vie occidental. L'Inde et le Brésil sont aussi à mon avis des marchés à fort potentiel futur.
Ă€ quand la reprise ?
Je n'ai pas de boule de cristal mais je ne pense pas avant 2011
Grande distribution. Système U privilégie l'entrée de gamme
À l'inverse de la plupart des autres enseignes, SystèmeU a vu ses ventes de bordeaux augmenter ces dernières années. Les enseignes du groupe commercialisent de plus en plus de marques distributeur.
Le bordeaux fait de moins en moins recette dans les grandes surfaces. Son chiffre d'affaires a baissé de 2,9% en 2008, toutes enseignes confondues, tandis que les volumes diminuaient de 6,6%. Au sein de ce marché en perte de vitesse, Système U (Hyper U, Super U, Marché U) se démarque avec un chiffre d'affaires en hausse sur les ventes de bordeaux. «Le CA de l'AOC Bordeaux a progressé de 1,6% dans nos magasins en 2008 pour atteindre 81M€, indique Emmanuel Podevin, chef de produit vin national. Le vin de Bordeaux représente 21% du CA de nos rayons vins». Système U a vendu 120Ml de vin l'an dernier, pour un prix moyen de 3,2€ le litre. «La clientèle des premiers grands crus classés ne vient pas en grande surface acheter ses bouteilles, explique Emmanuel Podevin. Nous nous positionnons surtout sur l'entrée de gamme. Or, à Bordeaux, le rapport qualité prix sur ce créneau n'est pas bon. Les vins de pays et de la Vallée du Rhône présentent plus d'atouts».
Écouler le millésime 2007
Sur l'AOC Bordeaux, les magasins de Système U proposent de plus en plus de marques distributeurs, avec des prix essentiellement compris entre 2,5 et 5€ la bouteille. «Nous avons une politique plus orientée vers les châteaux que vers le négoce», indique Emmanuel Podevin, qui attend «une baisse de 20% des prix de gros cette année pour revenir dans un bon équilibre de marché». Même s'il assure avoir des niveaux de stocks raisonnables, le chef de produit vin reconnaît la difficulté à vendre un millésime 2007 moins bon mais plus cher que le 2008. «Le millésime 2008 ne sera pas disponible avant un an et demi, il nous faut donc vendre nos stocks rapidement».
Intempéries. 12.000ha de vignes dévastés par la grêle
Les Graves et l'Entre-deux-Mers ont été particulièrement touchés par une tempête de grêle les 11 et 13mai . Certaines exploitations sont entièrement dévastées.
Il ne manquait plus que ça: les 11 et 13mai, de violents orages de grêle se sont abattus sur la Gironde, dévastant 12.000ha de vignes. «Les Graves et l'Entre-deux-Mers sont particulièrement touchés, ainsi que le Sud Médoc, le Cubzagais et l'Est de Saint-Emilion jusqu'à Castillon, indique Natacha Elia, coordinatrice des conseillers viticoles à la Chambre d'agriculture de la Gironde. Pour beaucoup de vignerons, entre 50 et 80% des propriétés ont connu des dégâts. Environ 1.000ha de vignes sont complètement détruits». Seulement un tiers des viticulteurs sont assurés contre la grêle. Une réunion s'est tenue le 25mai à la chambre d'agriculture de Gironde pour apporter un soutien à ceux qui n'étaient pas couverts contre ce risque. «Les organismes financiers, sociaux et fiscaux se sont mis d'accord pour accorder des facilités de paiement», déclare Natacha Elia.
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