Comment interpréter la bataille de communiqués qui désigne tour à tour le vin comme un danger ou un médicament ?
C'est une guerre de tranchées. Vous vous couchez le soir persuadé qu'un verre de vin rouge par jour réduit le risque de maladies cardio-vasculaires. Vous vous réveillez le matin avec un rapport de l'Institut national du cancer (Inca) qui vous envoie à la figure que ce premier verre vous met en danger. Exit les trente années de recherches, dont celles, fondatrices, du docteur Renaud sur le « French paradox », à qui les vignerons doivent une fière chandelle.
Dominique Maraninchi, le président de l'Inca, envoie même un sacré coup de feu : « Le vin est alcool, donc cancérigène. » La riposte est immédiate. Professeur Bernard Debré, chef du service urologie à l'hôpital Cochin : « Une étude sans queue ni tête, sans réel fondement scientifique. Hier encore, les études mettaient en exergue le bénéfice d'une consommation modérée de vin pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires. Le revirement auquel on assiste traduit une volonté d'hygiénisme bien-pensante. »
Vin et alcool
Professeur Lucien Israël, cancérologue : « C'est absurde. À forte dose, l'alcool facilite certains cancers digestifs mais un ou deux verres de vin par jour, sûrement pas. À dose modérée, le vin rouge se révèle non seulement bon mais sain. Il contient une substance qui s'appelle le resveratrol, un puissant anticancéreux. »
La collision de déclarations péremptoires, que l'habit scientifique n'adoucit pas, peut laisser pantois. C'est un débat technique pour professeurs de médecine, dont sont complètement exclus les consommateurs. Au centre de cette confusion permanente, l'absence de distinguo entre le vin, l'alcool, le dossier sanitaire en général et le cancer en particulier. Ainsi que l'absence de données suffisantes, comme le souligne le chercheur et professeur clinique de psychiatrie David Servan-Schreiber.
Pas d'investissement
Y voir plus clair aujourd'hui supposerait de comparer des populations et des pratiques distinctes. L'ennui, c'est qu'il n'existe pas de pays exclusivement consommateurs de vin, de bière, ou de pastis, sur lesquels la recherche pourrait dissocier les effets. Manque aussi un grand travail de vulgarisation qui commencerait par la traduction des multiples communications, toutes rédigées en anglais. Il y serait précisé si l'on parle du vin, de l'alcool, ou de ses composants.
La spécificité du vin n'est pas mise en avant par les gens du métier eux-mêmes. La viticulture s'est gardée d'investir le dossier santé, préférant mettre en lumière depuis vingt ans le vin-plaisir, le vin-rêve, plutôt que l'aliment vin. Quand l'interprofession des vins de Bordeaux, une exception dans le paysage, participe au financement d'une étude pilotée par la chercheuse Dominique Lanzmann, c'est avec beaucoup de discrétion. Elle engage 160 000 euros sur trois ans alors que son budget dépasse les 30 millions. Le même désir de ne pas apparaître conduit à d'étranges silences. Lorsqu'une étude publiée par la Kingston University de Londres, en novembre 2008, affirme que consommer un verre de vin rouge par jour pourrait favoriser le développement de Parkinson et du cancer, la filière viticole ne dément pas. L'information circule telle quelle.
Ainsi renvoie-t-on chaque matin le paisible buveur au brouillard et les producteurs à un insondable questionnement. L'information, c'est un investissement.
Auteur : Christian Seguin
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