Chasselas mis à part, où sont les vins blancs secs? Le sucre les rend toujours plus «aimables», comme disent joliment les Italiens. Surtout sur le millésime 2008.
Pour un dégustateur, le printemps est la saison la plus riche de l’année. Après les promesses des vendanges, il est temps de juger, verre en main, le résultat de la transformation du raisin en vin. Surprise, cette année, avec des vins blancs secs qui le sont moins qu’il n’y paraît sous les papilles. Premier exemple, un sauvignon blanc de La Côte, d’Uvavins: des arômes caractéristiques, une bonne vivacité, mais une finale légèrement douce. «Avec la valeur d’acidité de 2008, j’ai été obligé de garder un peu de sucre pour amadouer le vin», explique Rodrigo Banto, l’œnologue de la coopérative.
Les consommateurs apprécient
Sa consœur Madeleine Gay, chez Provins, l’avoue sans détour: «Il y a une tendance pour des vins légèrement doux, qui plaisent aux consommateurs. Depuis 2007, on a décidé de diminuer le sucre résiduel de notre gamme Maître de Chais. Pourtant, entre la petite arvine 2007, sèche, et la 2006, plus douce, les clients ont préféré la seconde et ses 5 grammes au litre de sucre. C’est très compliqué, cette histoire!», lâche la «vigneronne suisse de l’année». Surtout depuis que les encaveurs suisses ont appris à jouer sur trois facteurs: le mûrissement optimal du raisin (la maturité phénolique dans le jargon), le blocage de la deuxième fermentation (des vins sans transformation de l’acide malique en acide lactique, «sans malo» donc) et l’élevage en barriques (qui, si le fût est neuf, confère de la sucrosité et des arômes de vanille au vin).
Le problème posé, voici quelques exemples, cueillis au fil des «quatre glorieuses», des dégustations réservées aux professionnels, avec une dizaine de vignerons à Martigny, chaque lundi de ce mois de mai. Jean-Daniel Favre, de Chamoson, en est presque désolé: son humagne blanche, bien typée fleurs blanches, tout en finesse, ne peut cacher une légère sucrosité. «Elle était riche et sondait 105° Œchslé» (la mesure du sucre contenu dans le raisin), explique le vigneron. Chez Nicolas Zufferey, de Sierre, même remarque sur la petite arvine et le johannisberg.
Et puis, chez Denis Mercier, de Sierre, une petite arvine très «aimable» et une marsanne au goût étonnant de caramel mou. Explication: elle a fait sa malo en barriques, à l’insu du vinificateur… Mais Denis Mercier n’élude pas la question de fond: «Pourquoi y a-t-il du sucre dans ma petite arvine? Parce que la nature est ainsi faite. Le vigneron n’a pas la maîtrise des degrés Œchslé; j’espérais 105°, il y en a eu finalement 115°. Fatalement, tout le sucre qui n’est pas transformé en alcool reste (18 g/l ici). Je ne me bats plus contre! Si le sucre est légitime, il assure une plus grande longévité à la petite arvine, qui n’a pas un grand potentiel de vieillissement. Une année sur cinq, ma petite arvine a du sucre: c’est un accident qu’on accepte.» Madeleine Gay confirme que pour «assécher» une petite arvine très riche, il faudrait filtrer le moût et le faire repartir en fermentation avec de nouvelles levures.
L’amigne joue franc jeu
Autre exemple, l’amigne, le cépage fétiche de Vétroz. Dès le millésime 2005, ils ont eu le courage d’introduire la mention obligatoire de l’indice de douceur de l’amigne. Le symbole est une abeille dorée dans un médaillon ovale: une abeille d’or et le vin n’a pas plus de 8 g/l de sucre résiduel, deux abeilles, il se situe entre 9 et 25 g/l, trois abeilles et il dépasse les 25 g/l. Chez André Fontannaz, en 2008, l’amigne la plus sèche — ou la moins douce! — la Grand Cru, affiche deux abeilles: «Une amigne est vraiment mûre à partir de 100°- 105° Œchslé. Elle se situe alors de facto entre le sec et le légèrement doux. Et si les levures transforment tout le sucre en alcool, l’amigne atteint alors 15° d’alcool et devient brûlante.» Madeleine Gay corrobore: «L’amigne est un cépage difficile. Seuls les grands amateurs l’apprécient sèche. Souvent, les spécialités valaisannes sont associées à la douceur. Quand elles sont sèches, elles sont plus difficiles à identifier.» Dans un monde de brutes, ces quelques gouttes de douceur font du bien. Même s’il est bien difficile de savoir — si on le sait! — quand servir à table des vins légèrement doux. Mais c’est une autre histoire…
PIERRE THOMAS
http://www.24heures.ch/actu/culture/vin ... 2009-05-28