Index du forum Les rubriques Histoire du vin et de la vigne... découvrir le vin, l'aborder, s'informer Le vin pour les débutants !

Vous trouverez ici tous les renseignements nécessaires pour mieux comprendre votre passion naissante.

Comment la garde vient aux vins

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Dim 26 Avr 2009 21:11

Un article retrouvé et fort intéressant :

Depuis toujours, le vin de garde est le plus prestigieux. Mais on commence seulement à comprendre les phénomènes de vieillissement et, malgré de récentes découvertes, l'évolution du vin conserve une grande part de mystère.

Pourquoi certains vins vieillissent-ils plusieurs dizaines d'années ? Pourquoi d'autres, en revanche, ne franchissent-ils pas le cap de deux printemps ? Pourquoi les arômes changent-ils, évoluent, passent du floral au giboyeux ? Les réponses ne sont pas évidentes. En principe - ce n'est pas une révélation -, le contact avec l'oxygène - l'oxydation - génère un vieillissement rapide. Un vin au contact de l'air - il suffit de laisser une bouteille débouchée pour s'en apercevoir - perd très vite ses arômes pour devenir, au bout de quelques jours, imbuvable. D'où la capacité plus grande à résister au temps des magnums par rapport aux bouteilles de 75 centilitres : le contact avec l'air est identique pour un double volume de vin. On s'aperçoit également que certains vins résistent mieux que d'autres au supplice du débouchage prolongé. Ceux-là, dès le départ, sont mieux dotés par la nature : ils possèdent un pouvoir de résistance plus important à l'oxydation. On dit qu'ils détiennent un potentiel de réduction supérieur. La réduction, c'est donc le contraire de l'oxydation.

Ces deux qualificatifs se retrouvent à la dégustation. Un vin oxydé prend des arômes de cuit, de fruits trop mûrs. Un vin réduit développe des senteurs animales, qui peuvent aller du léger grillé à de la sueur de cheval, ou même au poulailler... Dans ce cas, il est grandement temps pour le vigneron de s'inquiéter ! Mais la réduction, dans un vin jeune encore en fût ou en cuve, n'est pas forcément un défaut. Elle protège le vin de l'oxydation pendant toute la période d'élevage, lui conservant intacts ses arômes. Même en bouteille, une légère réduction est beaucoup moins handicapante que l'oxydation. Car, contre cette dernière, on ne peut rien, alors qu'un passage en carafe, une oxygénation du vin, le débarrassera rapidement des arômes réductifs.

Comment définir au départ le vin de garde ? « On le sait pour les blancs, on ne le sait pas pour les rouges ! » répond Denis Dubourdieu, professeur à la faculté d'oenologie de Bordeaux, chercheur et vigneron lui-même dans les Graves (Reynon, Floridène) et à Sauternes (Doisy-Daene). Le profil type du blanc de garde est un vin qui conserve son fruit et développe progressivement des notes particulières « d'un bouquet enviable », de type minéral (craie, silex frotté, etc.) ou empyreumatique (tout ce qui évoque la fumée). Le nirvana étant le truffé... « Par contre, celui qui ne vieillit pas perd son fruit et développe une odeur oxydative de rancio, la vieille cire d'abeille conjuguée à la naphtaline ou à l'hydromel, le miel oxydé ou la noix. »

Les arômes de noix font le charme des vins jaunes ou des jerez. Le vin jaune reste en fût pendant six ans, et ses saveurs particulières proviennent d'une oxydation qui s'effectue très lentement, sous le couvert d'un voile formé par les levures à la surface du vin. « Les senteurs qui nous plaisent dans un vin oxydé, on ne les recherche pas dans un vin réductif, un vin normal... » Quand noix et cire se mélangent, cela donne des senteurs de vieux meubles, l'entrepôt de l'antiquaire. « Les gens d'ici disent : la vieille sacristie ! » Le responsable est une molécule, le sotolon, « qui évoque le curry ».

Le miracle du glutathion. Au rang des vins qui ne vieillissent pas, il y a ceux qui n'ont jamais été jeunes, parce qu'ils proviennent de raisins fatigués, « tapés ». Déjà quasiment oxydés avant de commencer leur nouvelle vie de vin. De même que l'on a identifié le sotolon, on connaît également la molécule qui permet au vin blanc de résister aux outrages du temps : le glutathion. « C'est un réducteur. On en a dans nos tissus et on en trouve dans les fruits. C'est une molécule formée de trois acides aminés au pouvoir antioxydant, détoxifiant, un piège à radicaux libres. Il y en a en grande quantité dans le raisin. »

Lors de la vinification, au cours des opérations de foulage, quand le raisin est écrasé, ou de pressurage, le jus est au contact de l'air. Les tanins contenus dans la peau vont avoir tendance à s'oxyder. C'est à ce moment-là que le glutathion s'interpose pour les protéger, allant jusqu'à se sacrifier : « Une partie va s'oxyder pour protéger le vin », nous dit Denis Dubourdieu. Plus les jus sont chargés en tanins, plus la réserve en glutathion va s'amoindrir au cours de cette opération protectrice. Ensuite, pendant la fermentation, les levures vont transformer le sucre du raisin en alcool. Elles aussi raffolent de ce malheureux glutathion. « Les levures s'en servent comme nutriment. » Quand le sucre est transformé en alcool, le glutathion a pratiquement disparu, absorbé par les levures. « Pendant les premières semaines de l'élevage, les levures vont se déposer au fond du fût, mêlées aux lies, et vont mourir. » Elles ont terminé leur travail. « Peu à peu, en mourant, elles restituent le glutathion. C'est une jolie histoire ! C'est l'homme qui, sans le savoir, exploite tous ces phéno- mènes naturels. »

Quels sont les raisins qui vont donner un blanc de garde ? « Ce sont les raisins concentrés, qui ont du fruit, peu de tanins dans la pellicule - comme le chardonnay, le riesling ou le sauvignon - et n'ayant pas subi trop de contraintes hydriques, la sécheresse. » Sous l'effet de celle-ci, la vigne donne moins de jus, plus de peaux et donc de tanins au moment des vinifications. Les sols calcaires sont assez propices aux blancs de garde, car ils résistent bien à la sécheresse. La vigne trouve de l'humidité. Le calcaire (en Champagne, par exemple) joue le rôle d'éponge, absorbe et restitue lentement l'eau. Voilà pour les vins blancs.

Sur les rouges, en revanche, de l'aveu même du spécialiste : « On ne sait presque rien ! » On présume. « On sait faire des vins de garde empiriquement. » La couleur du vin a son importance. Elle ne provient pas des jus : en effet, sauf pour quelques rares variétés, les jus sont blancs. Le pourpre ou le grenat sont apportés par des pigments contenus dans la peau : les anthocyanes. « On sait par observation qu'un vin rouge de garde doit être riche en anthocyanes, qui jouent le rôle du glutathion. » Le mystère, c'est le pinot noir bourguignon, jamais très coloré car peu chargé en anthocyanes, et qui se conserve très longtemps pour certains crus...

Un vin coloré, jeune et qui a des nuances de fruits frais : tel est le portrait-robot du vin rouge de garde. « Ce qui est étonnant, c'est qu'en vieillissant rouges et blancs présentent des senteurs communes, le côté truffé, fumé. » A contrario, le profil du vin rouge qui ne vieillit pas est déterminé par une absence de fruit et, dès sa jeunesse, « de goûts de figue, de pruneau, de fruits cuits. A la faculté d'oenologie de Bordeaux, on essaie d'isoler les molécules responsables. On cherche à identifier l'arôme de pruneau, par exemple. Mais aussi à qualifier l'arôme de truffe de vieillissement noble ». Certains 2003 avaient ces caractéristiques de vieillissement prématuré dès le départ : maturité hachée, accélérée puis stoppée sous l'effet de la canicule. « Ce sont aussi tous les vins qu'on s'acharne à faire cuire sur pied, à ramasser trop tard », sous prétexte d'aller vers une très grande maturité. Ces vins fortement alcoolisés, aux tanins oxydés, peuvent plaire dans leur jeunesse par leur extrême rondeur et des senteurs puissantes de fruits au sirop. Mais il ne faut pas parier sur leur longévité. « Le phénomène est aggravé par le cépage et la latitude. A Bordeaux, c'est difficile de faire cuire sur pied le cabernet, qui peine à mûrir ; en revanche, avec le merlot, il est aisé d'obtenir de la surmaturité. »

L'homme a toujours cherché à faire des vins de garde, à l'origine sans doute pour ne pas perdre le fruit d'une récolte, ensuite pour le prestige. Si, autour de la Méditerranée, on a produit toutes sortes de vins oxydatifs, ce sont ceux qui se conservaient, les « réductifs », diraient les oenologues d'aujourd'hui, qui emportaient les suffrages. Parmi les sept qualités d'un grand vin, l'abbé Tainturier retient, en 1763, le moelleux : « Il consiste à avoir du corps, sans avoir trop de fermeté, il lui en faut pour se conserver plusieurs années. »

Quand déguster ? Quand on remonte l'Italie du sud au nord, il apparaît que, pour produire le vin de garde, on change de cépage au fur et à mesure des modifications climatiques : « A la limite septentrionale de maturité d'un cépage, on a toujours des vins qui vieillissent plus harmonieusement », remarque Denis Dubourdieu. Un cabernet-sauvignon produit dans le Midi se conservera moins longtemps, en principe, que celui cultivé à Bordeaux. C'est encore plus vrai du pinot noir bourguignon, à peu près incapable de donner un vin équilibré et de garde sous des latitudes plus chaudes.

Ce que la faculté ne peut pas non plus nous révéler avec certitude, c'est, pour chaque vin, la bonne date de dégustation. Chaque amateur a eu sa part de déconvenues. Tel vin que l'on croyait fringant et qui se révèle épuisé dès l'ouverture de la bouteille. Ou, en revanche, un cru que l'on pensait à point et qui présente « l'air grave d'un gendarme, l'air froid d'une vierge », comme disait Victor Hugo. Sommelier, meilleur ouvrier de France, envolé vers les Etats-Unis pour s'occuper des vins du groupe Georges Perrier - trois restaurants à Philadelphie -, Christophe Tassan se méfie du facteur subjectif : « Il faudrait faire un graphique derrière chaque bouteille avec, en ordonnées, la capacité à émouvoir et, en abscisses, le temps. La courbe d'un grand vin de garde serait la ligne la plus haute et la plus longue. Un beaujolais nouveau aurait une courbe qui, partant du haut, descendrait rapidement. Ca pourrait être une étude technique, statistique, intéressante pour le consommateur. Méfions-nous pourtant de nos préjugés. Untel va se régaler avec des vieux muscadets tandis que, pour d'autres, cela ne présente pas d'intérêt. L'étiquette et le prix comptent énormément. Je pense que l'on n'a pas les mêmes égards vis-à-vis d'un vieux bordeaux supérieur que vis-à-vis d'un Pétrus. On pardonnera plus facilement aux célébrités, et on y trouvera en partie ce pour quoi on l'a choisi. Le plus simple des vins a droit à une note de 20 sur 20, à un moment donné, par sa capacité à développer du sens. Au dégustateur de saisir la meilleure harmonie... »

http://www.lepoint.fr

Denis Dubourdieu

Ses travaux sur les vins blancs l'ont rendu célèbre. Ils l'ont aussi statufié dans le rôle du grand universitaire. Denis Dubourdieu est surtout un homme de terrain qui gère cinq propriétés familiales et intervient dans de nombreux grands crus. Et c'est dans les rouges que son approche respectueuse du raisin et du terroir fait aujourd'hui autorité .
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
Avatar de l’utilisateur
Jean-Pierre NIEUDAN
 
Messages: 9664
Inscrit le: Mer 24 Oct 2007 10:23
Localisation: Hautes Pyrénées

Re: Comment la garde vient aux vins

Messagepar Winemega-Alain » Dim 26 Avr 2009 21:41

Article très intéressant..
Merci Jean-Pierre!
Alain

Se pencher sur son passé, c'est risquer de tomber dans l'oubli
Avatar de l’utilisateur
Winemega-Alain
 
Messages: 3074
Inscrit le: Ven 26 Oct 2007 00:30
Localisation: Suisse, entre Genève et Lausanne

Re: Comment la garde vient aux vins

Messagepar pascal » Mar 12 Mai 2009 18:19

Merci pour cet article très complet et vraiment intéressant :)
"Hâtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie. Qui sait si nous serons demain ?"
Jean Racine
Avatar de l’utilisateur
pascal
 
Messages: 37
Inscrit le: Mer 29 Avr 2009 15:24
Localisation: Annecy (74)


Retour vers Le vin pour les débutants !

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité


cron