Rien de plus difficile à déguster que des pinots noirs. Le Grand Jury de 24 heures s’y est essayé.
Le pinot noir a détrôné le chasselas comme premier cépage de Suisse, faisant basculer la majorité du vignoble dans le rouge. Du coup, avec ses 4449 hectares (contre 4151 de chasselas), la Suisse a assis, dans la statistique du moins, son rang de grand pays producteur du plus délicat des cépages rouges. Derrière la France, où Champagne et Bourgogne alignent respectivement 12 000 et 10 000 hectares, et l’Allemagne (7600 ha), mais à égalité avec les Etats-Unis (4430 ha) et devant l’Italie (3540 ha).
Il n’y a sans doute pas de cépage rouge plus sensible au sol et au microclimat que le pinot noir, dont les «marqueurs» sont la finesse et l’élégance, alliées à une capacité de bien vieillir, surtout si les vins ont été élevés «à la bourguignonne», en «pièces» de 228 litres (l’équivalent de la barrique).
En Suisse, entre le Valais (1730 ha), Vaud (515 ha), Neuchâtel (296 ha), Schaffhouse, Zurich et les Grisons (tous un peu plus de 300 ha), on a l’embarras du choix. Pour ordonner ce match au sommet, il a fallu trancher. Sur quelles bases? Depuis douze ans, Sierre organise le Mondial du pinot noir. La plupart des bouteilles suisses dégustées par le jury de 24 heures ont obtenu un VINEA d’or. C’est le cas du vainqueur du jour, la Cuvée Saint-Louis 2007, seule médaille d’or neuchâteloise à Sierre, l’an passé.
«Il n’y a pas de recette miracle»
A Cressier, au Domaine Grisoni, sur les 9 hectares de rouge (sur 12,5 ha), «on a mené ces dernières années une recherche sur les clones de pinots, plantés en banquette, dans une terre rouge-brun, calcaire, qui rappelle la Bourgogne», confie Christian Jeanneret, beau-fils de feu Jacques Grisoni. «Un bon pinot noir se réussit d’abord à la vigne: on goûte les raisins avant les vendanges, qui peuvent avoir lieu en plusieurs passages, et on trie le raisin sur un tapis. Ensuite, pas de foulage, mais une macération préfermentaire sur grains ronds. Il n’y a pas de recette miracle: chaque année est différente», explique le patron, qui effectue sa sélection Saint-Louis sur les barriques avec son chef de cave, Sébastien Kehrli.
Ce vin s’est classé ex aequo avec un bourguignon du Clos des Guettes. Ces deux hectares, classés en premier cru, appartiennent à la maison Henri de Villamont, propriété de Schenk SA, à Rolle. Deux étiquettes sont commercialisées, l’une sous le nom du propriétaire, l’autre dans la sélection Arthur Barolet. Les deux ont été dégustés: mêmes vignes, même vinification, mais un tout petit écart en faveur du second. Henri de Villamont s’est, de surcroît, adjugé une sixième place avec un autre de ses domaines, un premier cru de Chambolle-Musigny. «Depuis quatre ans et le retour de l’œnologue-directeur Pierre Jhean, les vins se sont grandement améliorés», confirme Paul Baumann, œnologue d’Obrist, à Vevey, qui se rend sur place trois ou quatre fois par an. Entre un Neuchâtel d’un rapport qualité-prix imbattable à 21 francs et le climat haut de gamme de Chambolle, à 47 fr. 50, une cuvée vaudoise de prestige à 38 fr., doublement signée Philippe Gex, à Yvorne, producteur des raisins à petit rendement sur son Clos de Planavy, et Bernard Cavé, son vinificateur, à Aigle. Ce dernier remarque: «Quand on n’est pas dans des bourgognes de haut vol au-delà de 50 francs, les vins suisses se défendent très bien.» Et même les vaudois! Hélas, tant le Raissenaz, vinifié par Raoul Cruchon, que l’Alunisence, encore plus confidentiel (1000 bouteilles) de Jean-Christophe Piccard, sur les hauts de Lutry, sont épuisés…
Avec un autre bourgogne, un Santeney, et le premier pinot noir du Nouveau Monde, un californien soigné «à la française», le tableau est complet. Il y manque les pinots noirs valaisans! Aucun des huit dégustés ne se hisse dans ce double carré final, mais il y en a trois parmi les huit ex aequo (!) au neuvième rang (avec 14,6 points). Preuve que le jury a privilégié la fraîcheur de fruit: les quatre pinots noirs suisses du haut du tableau sont tous des 2007.
Pierre Thomas
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