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[Jean-Pierre NIEUDAN]

La première maison de Champagne adopte un style nouveau, débarrassé des arômes exogènes d'autrefois.

Bouger, quand on compte les hectares en centaines et les bouteilles en dizaines de millions, relève de la dérive des continents. C'est pourtant ce qu'a entrepris la « grande maison », comme on dit en Champagne, avec une nouvelle génération de responsables techniques et l'arrivée de Benoît Gouez comme chef de cave, en 2005. Premier glissement de terrain, à peine marqué sur les sismographes, avec la mise en vente chez les cavistes du millésime 2000 : « J'avais envie de m'affranchir du style Moët ! » Un style que les professionnels qualifiaient de « réduit ».

La réduction, c'est le contraire de l'oxydation : un mode de vinification et d'élevage du vin qui consiste à le protéger systématiquement du contact avec l'air. Cela se traduit en dégustation par des arômes de « grattoir d'allumettes ». « On avait de bonnes pratiques ; on veut introduire du sur-mesure. On travaille toujours sur la réduction en vinification car l'oxydation, c'est la destruction des arômes, mais on ne la veut plus en dégustation. On est en train de mesurer la capacité d'absorption d'oxygène des jus, leur capacité à y résister ou à en consommer. Ce n'est pas la chasse, mais le pilotage de l'oxygène, pour protéger le fruit et faire qu'au moment de la dégustation ce ne soit plus la réduction qui apparaisse mais le fruit. » Une question de dosage et de suivi qui s'applique à toute la chaîne d'élaboration du vin.

Ce qui se devinait dans les cuvées précédentes, déjà débarrassées de leur encombrant « grattoir », éclate vraiment avec le Brut Impérial 2002, qui sera commercialisé l'an prochain-après le 2003, plus rond et plus facile. « Une sortie sept ans après avoir été vinifié : c'est la première fois que cela se produit chez Moët depuis soixante-dix ans. Mais je voulais offrir un millésime mûr en réduisant les dosages, et m'adresser aux connaisseurs. » Un vin remarquable qui renoue avec l'histoire de la maison, pionnière en matière de recherche oenologique et agronomique. C'est en effet chez Moët & Chandon qu'au lendemain de la crise phylloxérique, à la fin du XIXe siècle, on mit au point le greffage qui permit à la Champagne de reconstruire son vignoble .

Jacques Dupont http://www.lepoint.fr