« Sud Ouest ». Vous coordonnez une étude « cancer et alcool » pour l'Inra qui sera rendue publique le 11 mars. Que pensez-vous de la dénonciation par l'Inca (Institut national du cancer) du risque cancérigène du vin dès le premier verre ?
Dominique Lanzmann. J'avoue ne pas très bien comprendre sur quelles connotations scientifiques exactes s'appuient ces recommandations. Le document destiné aux médecins et intitulé « Nutrition et prévention des cancers : des connaissances scientifiques aux recommandations » indique notamment que toutes les boissons alcoolisées, y compris le vin et même dans le cadre d'une consommation modérée, augmentent le risque de cancer, de 9 à 168 % selon le type de cancer. Il s'appuie sur un document de référence issu du WRCF (World Research Cancer Fund) publié fin 2007, mais ne produit aucune étude nouvelle comme annoncé par les promoteurs de l'opération.
Est-ce que vous doutez de la rigueur scientifique des documents utilisés ?
L'étude du WRCF est mise à jour tous les dix ans. Il s'agit uniquement d'observations. Elle utilise deux niveaux de preuves : probables ou convaincantes. Elle recommande, par exemple, la consommation de fruits, susceptible de protéger du cancer de façon « probable ». Pour élaborer le document envoyé aux médecins, l'Inca et le ministère de la Santé ont également utilisé 12 documents parmi lesquels un seul est ouvertement hostile au vin. En revanche, est totalement oubliée l'étude de Serge Renaud, l'auteur du « french paradox », qui montrait un effet protecteur du vin contre le cancer et les maladies coronariennes à condition de le consommer de façon modérée.
Vous aussi notez de curieux paradoxes dans cette initiative ?
Je comprends d'abord mal que l'on veuille établir une politique de santé humaine en ne tenant compte que d'une seule maladie. Ensuite, je note que, d'une part, l'Institut Curie fait état d'une augmentation de 30 à 40 % des cas de cancer depuis vingt ans ; d'autre part, l'Inca indique une baisse de la consommation de vin de 30 % depuis vingt ans. En revanche l'Inca ne se prononce pas sur les risques cancérigènes des pesticides contenus dans les fruits et légumes qu'il recommande de consommer. Enfin on continue de mettre dans le même panier le vin et les autres alcools. Or, le vin contient des polyphénols antioxydants et protecteurs. Le vin, c'est du jus de raisin fermenté, enrichi en polyphénols (composants naturels des plantes très présents dans la vigne). Dans ce breuvage inscrit dans notre patrimoine culturel, il y a deux effets antagonistes : l'effet alcool et l'effet fruit. Or, à doses modérées, l'effet fruit du vin est supérieur à l'effet alcool.
Ce document arrive au moment où l'Assemblée nationale examine la loi Bachelot qui comporte un volet sur la lutte contre l'alcoolisme des jeunes et après la polémique concernant la publicité pour le vin sur Internet.
Y voyez-vous un rapport ?
Je ne suis pas compétente pour juger de ce que d'aucuns appellent manipulation ou désinformation. Il me semble simplement que certaines recommandations inscrites dans le document « Nutrition » ne reposent pas sur des bases scientifiques solides. Pour cela, il faudrait étudier des cohortes de 50 000 personnes durant dix ans en créant deux groupes : buveurs modérés et abstinents complets. En revanche, je sais que si le lobby des alcools forts et de la bière est très bien organisé, ce n'est pas le cas de celui du vin.
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