Encensés à leur naissance, les bordeaux 2005 ont atteint des prix records dans les ventes en primeur. Aujourd'hui sur le marché, ils peuvent enfin être jugés. Mais rattrapés par la crise, leurs prix s'écroulent.
Dès les premières dégustations des vins en barriques, les bordeaux 2005 ont suscité l'enthousiasme, voire même un certain délire. «Radio-vignes» avait fait monter la pression en soulignant que la floraison était parfaite, qu'une petite sécheresse avait forcé la vigne à s'occuper de ses raisins plus tôt que d'habitude et que les vendanges se déroulaient dans des conditions idylliques. «Je n'ai pas vu des raisins aussi beaux depuis 1982», s'émerveillait Michel Rolland, le conseiller de nombreuses propriétés en pointe.
Attirés par de telles sirènes, tout ce que le monde compte d'acheteurs, de négociants et de dégustateurs accourent à Bordeaux et, poussée par une intense spéculation, la campagne des primeurs fait monter les prix à des niveaux vertigineux : «J'ai 10 millions de dollars à investir !», glissait une des grandes acheteuses de l'époque. Par paliers successifs, certains premiers crus ont fini par dépasser le millier d'euros le flacon, et encore s'agit-il d'un prix hors taxe et sans la livraison, les vins devant être livrés deux années plus tard.
Les 2005 sont maintenant en bouteille et ils peuvent être dégustés dans leur état définitif. Le Grand Jury européen, un organisme indépendant qui regroupe les meilleurs dégustateurs européens dont quatre meilleurs sommeliers du monde, a soumis près de 200 vins à la question. Si, très logiquement, les premiers crus comme Lafite-Rothschild, Mouton-Rothschild et Ausone figurent dans les quinze premiers, les résultats ne manquent pas d'étonner.
L'honneur de la rive droite
Que le Château Pape-Clément mène la danse, n'est une surprise pour personne. Remarquablement situé, le château est élaboré avec un tel soin extrême qu'il est un familier des premières loges. Plus généralement, ce classement récompense les châteaux qui ont fait de gros efforts tant dans les vignes qu'en pratiquant une sélection impitoyable. Le fait que les dégustations se déroulent entièrement à l'aveugle sous contrôle d'huissier en renforce le crédit.
L'autre conclusion est le triomphe des vins de la rive gauche qui place douze vins dans les quinze premiers. Seuls les petits bijoux comme Ausone, La Gomerie et La Mondotte, hélas des mouchoirs de poche mais menés avec une grande rigueur, sauvent l'honneur de la rive droite. «J'ai toujours considéré que les plus grands vins ont été élaborés sur la rive gauche car la sécheresse a durci les tannins des saint-émilions et des pomerols», précise Michel Bettane, un des grands experts français qui participait à la dégustation.
Il n'en reste pas moins qu'un certain nombre de grands vins, pourtant vendus à prix d'or, ont déçu. Certains dégustateurs pensent même que le vin en bouteille n'est pas tout à fait le même que celui présenté en échantillon primeur, ce qui fait désordre. Les vins du millésime ont été tellement recherchés que la rigueur de la sélection s'est peut-être un peu relâchée. Malgré ces ratés, le célèbre expert américain Robert Parker n'en démord pas : «Après avoir goûté aux 2005 maintenant en bouteilles, et certains d'entre eux à trois ou quatre reprises, je peux dire avec certitude qu'il s'agit du plus grand millésime qu'il m'a été donné de connaître au cours de mes trente ans de carrière.»
Entre-temps, la crise financière a surgi et pris de court tous les spéculateurs, en particulier ceux qui avaient acheté les 2005 au plus haut. «Je n'ai jamais eu autant de vins à vendre alors que c'est le plus mauvais moment», précise Serena Sutcliffe qui dirige le département vin de Sotheby's à Londres et à New York. Même à Paris, les vins se vendent mal. À la dernière vente, Pichon-Lalande 2005 se vendait 50 € la bouteille, tous les lots plus chers ayant été ravalés. «Juste retour des choses, les prix reviennent à leur vrai niveau», précise l'expert Claude Maratier. La glissade des prix est-elle terminée ? Beaucoup pensent que non. «Il n'y a plus d'acheteurs», se désole l'expert. La crise sera terminée lorsque l'acheteur final, bien malmené ces derniers temps, finira par se dire : «Tout compte fait, ils ne sont pas à leur juste prix», comme le précise Fabrice Bernard, de Millésima.
Comment en est-on arrivé là ? Si la crise financière a bon dos, la propriété bordelaise doit se poser des questions, comme le souligne un fin connaisseur local : «Pendant longtemps, la propriété vendait à 30 au négoce qui revendait à 60. Les vins se vendaient aisément dans les grands millésimes, en faisant des sacrifices et en stockant dans les autres. Aujourd'hui, la propriété a décidé de manger cette marge et vend à 60. Dans un millésime comme 2005, le négoce a réussi à vendre à 80, mais dans les autres il vend à 60 et même à 30 les vins qu'il a achetés à 60 !»
Résultat, Bordeaux s'enfonce dans une crise profonde, et personne ne voit comment vendre les 2008 et à quel prix, même si «Radio-vignes» a déjà commencé à distiller ses messages : le millésime 2008 est très concentré, il y en a très peu, il faudra se dépêcher. Air connu.
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