Le plus grand reproche qu'on pourrait faire à l'oenologue bordelais Michel Rolland est de savoir faire du vin. Partout. En France, bien sûr, mais aussi aux États-unis, en Italie, en Espagne, en Grèce, en Argentine, en Afrique du Sud, en Inde, en Chine et, plus récemment, en Bulgarie, où il conseille Jair Agopian à la Telish Winery, sise au nord de Sofia.
Le second plus gros reproche qu'on pourrait attribuer à l'homme qui effectuait ses 35e vendanges cette année, à l'aube de la soixantaine, est de faire le vin à sa façon.
Le troisième et, j'espère, dernier reproche, car il y a tout de même des limites à la flagornerie, est de faire le vin bon, c'est-à -dire qu'une bouteille débouchée signée Michel Rolland est une bouteille bue dans la foulée. Bref, et pour résumer, l'homme sait faire du vin (et du bon), partout (et pas qu'à la maison), à sa façon (sans faire de leçons). Mais, entre vous et moi, sont-ce véritablement des reproches à lui faire?
L'oenologue-conseil est un homme habile. Non seulement est-il capable de livrer la marchandise, pour des vins vendus dans le commerce entre quatre et plus de huit cents dollars le flacon, avec une stupéfiante constance qualitative, mais il sait d'instinct mettre au monde des vins qui, même sans histoires et sans terroirs, peuvent aussi avoir leur raison d'être. C'est déjà un tour de force.
Facile de faire du Pétrus, du Margaux ou du Haut-Brion; moins facile d'assurer une buvabilité, voire une palatabilité décente à des vins nichés au fin fond de la Turquie, de la Bulgarie, de la Croatie ou de... l'Abitibi. N'est-ce pas le rôle de l'oenologue d'accoucher du meilleur vin possible mais surtout -- on a trop tendance à l'oublier -- de faire en sorte qu'il y ait au bout du compte un consommateur qui l'achète, le boive et l'achète de nouveau?
Le plus gros problème, avec Michel Rolland, c'est qu'il a su générer en moins de 20 ans autant de jalousie dans une certaine presse spécialisée que d'envie du côté de producteurs qui ne pouvaient se payer ses services!
L'affaire bulgare
Mais revenons chez Telish, en Bulgarie. Pourquoi Rolland, qui brasse déjà deux millions d'hectolitres de vins sous plus de 600 étiquettes, et cela, dans plus d'une douzaine de pays, pourquoi diable cet homme, qui pourrait tranquillement se la couler douce chez lui devant une bouteille de Cheval Blanc 1947 (son millésime de naissance) avec un bon Havane, pourquoi, dis-je, relève-t-il le défi de la Bulgarie?
«Parce que le "nouveau" Nouveau Monde se trouve actuellement dans ces pays de l'Est, près de la mer Noire, et que l'histoire est à faire», disait-il lors d'une dégustation en début de semaine. «J'y vais à la fois pour l'environnement, le sol, les gens, et avec cette perspective de mettre les vins bulgares sur la carte du monde, même si les vignerons ne croient pas en leurs cépages autochtones comme le mavrud ou encore le rubin; mais rappelez-vous qu'il en était de même pour le malbec en Argentine, avec les résultats que l'on connaît aujourd'hui.» Un brin visionnaire, oui, aventurier, assurément, mais surtout un homme qui prend encore plaisir à ce qu'il fait.
Quatre cuvées sont actuellement produites sur une base d'achat de raisins et sous la supervision de l'oenologue bordelais depuis 2005, mais une seule est disponible ici, soit Telish 2006 (10,55 $ - **1/2,1), un assemblage de cabernet sauvignon et de merlot à la fois coloré, net et capiteux, marqué par des nuances de prune et de réglisse, le tout à la fois fluide et bien constitué. Mon choix de la dégustation?
Ce Pendar 2007 (n. d.) où la rondeur du merlot gagne en tenue avec la poigne fine et structurante du rubin (croisement de nebbiolo et de syrah). Par sa qualité et son originalité, il devrait, à moins de 16 $, trouver une belle niche sur notre marché. ***, 1.
«Quand il y a de très bons raisins, il y a de bons oenologues derrière», m'avait déjà glissé à l'oreille Michel Rolland il y a plus de 15 ans, lors d'une dégustation chez lui, au Château Le Bon Pasteur, à Pomerol. Je parie que du côté de la vallée des Thrace, en Bulgarie, là où l'on produisait déjà du vin 1000 ans avant César et ses Romains, l'oenologue saura porter les fruits de la vigne à un autre niveau. Et, pourquoi pas, faire des jaloux dans la région!
D'abord une bombe. Son nom? Rumball Sparkling Shiraz (30,75 $ ), un mousseux rouge de la chic Coonawarra australienne. Bon, certains n'aimeront pas mais d'autres apprécieront la ferveur fruitée mise en bulle avec tonus, énergie, fougue et largeur sur leurs charcuteries ou simplement, comme ça, à l'apéro. Mousse serrée, fruité consistant, plus sec qu'un lambrusco lombarde, plus délinquant aussi. ***, 1.
Trois chardonnays ensuite: ce Funky Llama 2007 d'Argentine (11,90 $ ), sec, friand, léger, simple et vivace. **, 1; ce Cloudy Bay 2006 de Nouvelle-Zélande (35,75 $ ), à la fois saisissant de clarté, avec cette droiture, cette épure dans le fruité qui se veut soyeux et bien fourni, longuement...***1/2, 2; ou encore ce Löwengang 2005 de l'Alto Adige Italien (44 $ ) du maître Lageder, un blanc sec d'envergure, d'une classe sûre, avec cette façon qu'il a de vous saisir sereinement, comme un grand chablis. Fruité précis, profond, détaillé, ample, doucement minéral. Belle bouteille de gastronomie, homard, poissons fins... Magique. ****,2, ©.
Potentiel de vieillissement du vin: 1, moins de cinq ans; 2, entre six et dix ans; 3, dix ans et plus. ©: le vin y gagne à séjourner en carafe.
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