Le gel printanier vient de réduire, parfois à néant, les espoirs que de nombreux vignerons plaçaient dans la récolte 2017.
Les années se suivent et finissent, malheureusement, par se ressembler. Du 19 au 21 avril derniers, soit jusqu'à trois nuits consécutives selon les régions, les températures sont descendues jusqu'à moins 6 °C, et un second épisode, encore plus grave, a eu lieu dans la nuit du 27 au 28 avril.
L'ensemble du vignoble français est touché. En Charente, la Grande-Champagne, le cru le plus prestigieux du cognac, est affectée à hauteur de 80 %, tandis qu'en Occitanie, qui réunit dorénavant Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, « 10 à 15 % du vignoble ont été détruits, certaines appellations étant plus durement touchées, comme fronton (50 % de pertes, et certaines parcelles touchées à 90 %), gaillac, ou cahors », a indiqué Michel Defrancès, coprésident de l'Interprofession des vins du Sud-Ouest. Jérôme Villaret, directeur du comité interprofessionnel des vins du Languedoc, confirme le « caractère exceptionnel de cet épisode de gel », sans équivalent depuis 1998. Les dégâts sont d'autant plus considérables que la vigne avait, dans certaines zones, près de trois semaines d'avance.
Bordeaux, qui l'an dernier était passé à peu près entre les gouttes – si l'on peut dire –, a été cette fois sérieusement affecté par le gel. Pour Allan Sichel, président du CIVB, « c'est un épisode de gel sévère, toutes les zones sont touchées. On a des taux allant de 20 % selon certaines propriétés à 90-100 % dans les zones les plus exposées, mais il est trop tôt pour une évaluation exhaustive et précise. On s'attendait à avoir des températures négatives de l'ordre de - 1 °C mais c'est descendu à - 3 et - 4 °C dans certaines zones. »
En Bourgogne, on a essayé toutes les solutions – aspersions pour recouvrir le bourgeon d'une coque de glace qui le protège, une technique usitée depuis longtemps à Chablis, bougies et feux de paille. Et les instances viticoles remercient les agriculteurs qui par solidarité ont très vite offert des « quantités de paille importantes » pour sauver la récolte. Dans certaines appellations bourguignonnes, une nouvelle perte après plusieurs années de météo catastrophique entraînerait à coup sûr la vente de parcelles voire d'exploitations.
Dans la Loire, le vignoble de Touraine est particulièrement affecté, toutefois bien moins qu'en 2016, mais avec des pertes atteignant parfois 80 % selon les secteurs. Interrogé récemment par Le Point, Damien Delecheneau, vigneron au domaine la Grange Tiphaine et président du cru montlouis-sur-loire depuis le début de l'année, déplorait « trois années de gel sur cinq, une situation devenue intenable… ». En 2012 et en 2013, la moitié de la récolte a été perdue à cause du gel, puis les trois quarts en 2016, 2014 et 2015 n'ayant laissé que peu de répit aux vignerons, qui ont eu fort à faire avec de sévères attaques de mildiou, et n'ont pu reconstituer les stocks.
« Autrefois, un gel de ce niveau, c'était tous les dix ou quinze ans », remarque un peu abattu Philippe Delesvaux, vigneron avec son épouse Catherine dans l'appellation coteaux-du-layon en Anjou. « C'est un dérèglement climatique général, on ne peut pas lutter… Même à Savennières, sur les hauts de coteaux, ils ont été touchés alors que là , ça ne gèle jamais… Ici on a des zones à risque, les parcelles basses près de la rivière, mais moi je suis dans des zones où habituellement ça ne gèle pas… » Il vient de perdre en quelques heures près de la moitié de la récolte 2017. « Les solutions techniques existent, disons que l'on peut limiter les dégâts, à grands frais, mais à moins 5°, on ne peut pas lutter. »
L'an dernier, Philippe Delesvaux a revendu la moitié de sa récolte à trois de ses amis vignerons qui n'avaient plus rien. « La solidarité aura ses limites, on a pu le faire car on est installés depuis longtemps, on a un peu les moyens d'amortir un coup dur comme cette année, mais pour les jeunes récemment installés qui doivent assumer les gros emprunts et qui n'ont pas de stock de réserve, c'est une catastrophe. »
Par Jacques Dupont et Olivier Bompas
source: http://www.lepoint.fr/vin/gel-dans-le-v ... 55_581.php