« les primeurs bordelais sont une fête pour des vins du monde entier »
En douze ans , Stéphane Derenoncourt est devenu incontournable à Bordeaux ... mais pas seulement . Pour les primeurs bordelais , il réunit les domaines qu'il conseille , à Bordeaux et à l'étranger .
POUVEZ-VOUS NOUS RAPPELER VOTRE PARCOURS ET JUSQU'Où VOUS AVEZ POUSSÉ VOTRE EXPÉRIENCE DE CONSULTANT ?
Je me suis d'abord consacré à la vigne en tant qu'ouvrier agricole, pour partir ensuite vers le chai avec le titre un peu pompeux de directeur technique. Cette progression est avant tout une simple question de bon sens : je ne vois pas comment faire un vin sans connaître le raisin et le sol. Je me suis installé seul comme consultant en 1999. Rapidement, j'ai pour ainsi dire créé mon école : la première personne que j'ai reçue en formation en 2000 – ainsi que les deux suivants – sont devenus mes associés. Nous avons ensuite recruté. Nous sommes huit aujourd'hui et nous suivons 80 domaines, dont la majorité, disons 70 % (sourire), sont à Bordeaux. Parmi eux, disons 70 % (rire), sont sur la rive droite. Nous travaillons également avec des domaines de la Loire, du Rhône, de Bourgogne, du Sud-Ouest, du Languedoc et du Roussillon. A l'étranger, nous restons avec le Vieux Monde : Espagne, Italie, Liban, Syrie, Turquie, Maroc, Autriche... Mais nous travaillons également aux Etats-Unis, avec une production en Virgine et une gamme, Derenoncourt California. Enfin, nous travaillons sur un vaste projet de production en Inde, sur un vignoble de 500 ha destiné à la consommation locale (l'Inde est un marché prometteur, où le French paradox plaide pour le vin au nom de la santé des consommateurs, mais les taxes à l'importation favorisent la production locale).
LE LIBAN A UNE PRODUCTION VINICOLE RECONNUE POUR SA QUALITÉ, MAIS LA SYRIE... ?
La Syrie a une histoire vinicole aussi ancienne que riche : on y produisait beaucoup de vin sous l'empire romain et le vin le plus réputé était le vin de Damas avec une logique reconnue de qualité et de crus. Des fouilles archéologiques ont permis de découvrir des cuviers en pierre vieux de 4500 ans. Nous travaillons en Syrie avec des cépages français, essentiellement syrah, merlot et cabernet sauvignon. Ce dernier est planté dans une zone soumise à un micro-climat qui ne lui permet pas de mûrir tous les ans. Quand tout va bien, les vendanges se font en novembre... En blanc, un sol de calcaire et de galets nous permet d'élaborer un assemblage de chardonnay et de sauvignon.
PENSEZ-VOUS QUE LA TURQUIE SOIT UN PAYS PRODUCTEURS PARMI LES PLUS PROMETTEURS ?
Nous travaillons avec une grosse entreprise productrice en Turquie. Ce pays a un très beau potentiel avec des terroirs calcaires (en Cappadoce, notamment) et une véritable histoire viticole, concentrée dns l'est du pays, vers la frontière avec la Turquie, justement. Notre mission était de développer une production haut de gamme, centrée sur des cépages internationaux. Après quelques mois, nous avons proposé à nos clients de développer une gamme haut de gamme centrée sur des cépages locaux.
LA DÉCOUVERTE DE CES CÉPAGES POURRAIT-ELLE APPORTER AUX RECHERCHES SUR LES CÉPAGES RÉSISTANTS AU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUES ET AU MANQUE D'EAU ?
Je l'ignore. Ce que nous savons c'est que ces cépages font partie de la tradition vinicole turque, centrée sur la production de raisins de table et de raisins secs dans un climat continental avec des hivers rigoureux et des étés chauds et secs. Cette production était destinée à une consommation locale, notre rôle est de l'orienter vers l'élaboration de vins fins et elle s'y prête remarquablement.
REVENONS AUX FONDAMENTAUX DONT VOUS PARLIEZ PLUS TÔT : PENSEZ-VOUS QUE L'ON FAIT PLUS ATTENTION AU RAISIN AUJOURD'HUI À BORDEAUX (NOTAMMENT, MAIS PAS SEULEMENT) ?
J'en suis sûr, de plus en plus et pour plusieurs raisons :
•une quête d'authenticité chez le consommateur : cette pulsion influence la production.
•La grande peur de l'écologie pousse tout le monde, y compris les chimistes, à faire des choses plus propres,
•la place du marketing impose une image lisse et propre aux producteurs comme à leurs fournisseurs.
PARLONS DU MILLÉSIME 2011 : APRÈS 2009, CONCENTRÉ, 2010, ÉQUILIBRÉ, ON PARLE À BORDEAUX D'UN 2011 HÉTÉROGÈNE, ÊTES-VOUS D'ACCORD AVEC CES ADJECTIFS ?
2011 est de loin le millésime le plus compliqué des trois, celui qu'il est le plus difficile de résumer à un article sur une collerette.
Après 2009, millésime exotique, solaire, à la maturité marquée par la puissance jusqu'à la décandence, il y a eu 2010, millésime mûr avec une acidité flamboyante dans son équilibre. En 2011, en revanche, plusieurs éléments contraires imposent le cas par cas.
Le climatique a perturbé la réponse de la vigne. La vigne est programmée pour exploser au printemps et faire ses réserves en été. Or en 2011, la vigne a connu un printemps en forme d'été et a trouvé sa réponse dans l'état physique des sols, avec une prime aux sols argileux. Ensuite, au contraire, l'été a été frais et l'automne humide : les sols argileux étaient dès lors un désavantage, leur capacité à retenir l'eau a gonflé la pression sanitaire. Une fois la vendange venue, il fallait appliquer des choix de vinification adaptés à cette matière première issue d'une année à contre-courant pour rendre la juste expression du raisin dans son millésime. Il avait souffert et il fallait le choyer, ne pas le bousculer, porter son attention sur la date des vendanges et la sélection parcellaire pour obtenir des lots homogènes, éviter un travail d'extraction.
COMMENT VIVEZ-VOUS CETTE SEMAINE DES PRIMEURS ?
L'événement s'est considérablement développé. Quand nous avons commencé à présenter des vins en primeur, au début des années 2000, les dégustations se limitaient à celles des grands crus classés. Aujourd'hui c'est une explosion, une folie partout à Bordeaux, qui draine des vins de Bordeaux et d'ailleurs : des dégustations comme celles d'Anthocyane ou de Biodyvin parlent de vin et pas uniquement de vin de Bordeaux. Pour nous ces dégustations sont devenues la très riche occasion d'une grande fête qui nous permet de réunir la grande famille de nos clients.
QU'EN EST-IL DE VOTRE GAMME DES PARCELLES, LANCÉE LORS DU DERNIER SALON VINEXPO ?
Avec cette gamme, la question était : « est-on capable, à Bordeaux, de produire en grande quantité un vin avec un message de terroir ? ». Des vins produits en grande quantité sous l'étiquette Bordeaux et avec un blabla sur le terroir en contre-étiquette, il y en a. Nous avons fait un état des lieux des vins produits par le négoce, sur la base de lots assemblés, mais nous n'étions pas convaincus par l'ensemble. Aussi, nous avons opté pour une sélection de jus issus de terroirs calcaires. Il y avait là le défi de faire un vin avec un message sur le terroir à 3,95€ prix public. Il partait de chez nous à 2 €. Si vous comptez près d'un euro rien que dans le bouchon de liège, vous comprenez que le but n'était pas de faire fortune mais bien d'insuffler une culture du vin et de son sol au-delà du marketing. Le calcaire, c'est le sel, l'argile c'est le gras... Pourquoi aime-t-on un margaux ? Pour sa sensualité qui lui vient des graves. C'est mon combat : expliquer des choses simples du vin, des choses qu'on ne dit pas. Préférer la dégustation sensorielle, qui révèle le terroir du vin, à la dégustation technique, qui repose sur le talent du dégustateur. C'est le message que nous avons voulu faire passer à la ménagère. En retour, nous avons eu des réactions que nous n'imaginions pas de la part de professionnels convaincus par cette démonstration, et notamment par des sommeliers. Nous doublons donc cette année la production et passons de 200 000 bouteilles à 400 000.
Source : http://www.vitisphere.com/dossier-50821 ... tier-.html