Un millésime 2010 égal à l'«immense 2009» ! Les producteurs le répètent haut et fort , souhaitant à nouveau l'explosion des prix . Pourtant , certains spécialistes sont moins enthousiastes .
«Encore un très grand, en rouge et en blanc ! » Le Pr Denis Dubourdieu, conseil de nombreux vignobles , n'hésite pas à qualifier ainsi le millésime 2010 par rapport au millésime précédent , le très convoité 2009 . Cette phrase ne fait que résumer les propos émis , sans nuances , par tous les producteurs depuis les vendanges . Leur ont aussi emboîté le pas quelques dégustateurs qui trouvent confortable d'aller dans le sens du vent .
«Ce n'est jamais que le huitième millésime du siècle en dix ans», raille un autre vinificateur, Stéphane Derenoncourt . Les notes du gourou américain Parker viennent de tomber et calment quelque peu l'enthousiasme : sur les 374 vins commentés , seuls 64 atteignent les fameux 95 points , ce qui est relativement peu , d'autant que Parker est connu pour être généreux dans ses notations .
Dans le haut du panier, seuls six châteaux frisent la note maximale : Ausone à Saint-Émilion , Haut-Brion et La Mission Haut-Brion dans les Graves , Lafite-Rothschild et Latour à Pauillac et Petrus à Pomerol ; Mouton-Rothschild est à une encablure . Alors qu'ils sont une bonne cinquantaine au moins à prétendre à ce statut .
Un coup de froid imprévu
S'il existe effectivement des vins de légende dans le millésime , les dégustateurs sérieux sont tout aussi réservés , comme Ian D'Agata , l'influent rédacteur du Stephen Tanzer's Wine Cellar : «En arrivant à Bordeaux , je m'attendais à monts et merveilles . Certes , j'ai trouvé des vins géniaux , mais aussi beaucoup de vins aux tanins secs qui ne se referont jamais .»
Les dégustations ont montré que les grands vins rouges étaient taniques , denses et frais , trois qualités qui font les grands millésimes . Mais beaucoup de ces vins font grimacer avec leurs terribles tanins , d'autant que bien des crus étaient marqués par la grande maturité des raisins , mais aussi par d'étranges verdeurs .
Comment est-ce possible ? Les grands millésimes sont toujours issus de floraisons rapides , gage d'une maturation homogène du raisin . Ce n'est pas le cas du 2010 . Un coup de froid imprévu dans la soirée du dimanche 6 juin a perturbé la floraison des merlots , mais aussi des cabernets . Résultat , cent vingt jours plus tard , à la vendange , des raisins de maturités diverses dans de nombreuses propriétés , un peu plus sur la rive droite , mais la rive gauche est aussi touchée . Seuls quelques rares châteaux comme Ducru-Beaucaillou ont effectué d'astucieux travaux en vert au moment de la véraison pour corriger cette hétérogénéité qui touche inégalement les propriétés .
Le temps extraordinairement sec des mois de juillet et d'août a énormément condensé les baies , d'où des concentrations phénoménales qui séduisent les dégustateurs , mais qui ne font pas nécessairement des vins harmonieux . Certaines concentrations exceptionnelles comme celle de Château Margaux , fabuleuses pour les uns , inquiètent les autres , qui soulignent que seuls 38 % de la récolte ont été utilisés .
Certains propriétaires ont aussi été abusés par les hauts niveaux de sucre et ont vendangé avant maturité physiologique , ce qui explique les tanins verts . Certes , le temps les aplanira quelque peu , mais des millésimes comme 1983 ou 1975 ne s'en sont jamais remis . Si , dans les consultants , un vieux routier comme Michel Rolland ou un intuitif comme Stéphane Derenoncourt ont su éviter l'écueil , ce n'est pas le cas de tous .
Effets d'annonce
Évidemment , on peut s'interroger et mĂŞme s'inquiĂ©ter sur les divergences d'apprĂ©ciation . Dans toutes les rĂ©gions viticoles du monde , il est de bon ton de souligner , tous les ans , que le vin est de grande qualitĂ© . Bordeaux est passĂ© maĂ®tre dans ces effets d'annonce , d'autant qu'interviennent des acteurs , professeurs d'universitĂ© et consultants , ÂĂ©galement propriĂ©taires importants . MĂŞme Ă©trangetĂ© que dans le marchĂ© de l'art , oĂą certains experts sont aussi antiquaires .
Des millésimes comme 2003 et même 2000 avaient déjà fait l'objet d'un tel battage , avec des prix stratosphériques et des notes insensées de certains dégustateurs .
Beaucoup d'amateurs ont le sentiment que le seul objectif de la place de Bordeaux est de faire monter les prix à coup de bluff . Si les vins sont du niveau de 2009 , l'achat en primeur ne s'impose pas , sauf pour quelques réussites dont les tarifs sont restés sages ; plus que jamais , il est préférable d'attendre sagement les dégustations de vins en bouteille pour se faire une véritable opinion .
Pour déceler les réussites , un document complet sur les dégustations primeur 2010 est téléchargeable surle site Internet du Club Vin Figaro :
http://club-vin.lefigaro.fr/actualites/ ... s-2010-404
Bernard Burtschy
http://www.lefigaro.fr/vins/2011/05/11/ ... -bluff.php