Index du forum Les rubriques Histoire du vin et de la vigne... découvrir le vin, l'aborder, s'informer Histoire de vin Presse du vin

Retrouvez les articles parlant de vin...

Le champagne clone ses bulles à l'étranger

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mer 30 Juin 2010 16:08

Face à une demande dix fois plus importante que leurs capacités de production, les grandes maisons françaises élaborent des "sparklings" dans le Nouveau Monde. Une greffe qui réussit.

Dans l'écrin du ciel bleu, l'élégante façade XVIIIe du château étend son ombre sur les derniers visiteurs de la journée. Sur la terrasse de cet édifice rose et crème, certains profitent de la douceur de la fin d'après-midi. Une flûte à la main, ils admirent les collines plantées de hautes vignes qui ondulent jusqu'à l'horizon. On imagine un été au milieu des coteaux de la Champagne. Nous sommes à 12 000 kilomètres de là, dans la Napa Valley, au c?ur de la Californie. Le château est une réplique parfaite de la Marquetterie, le siège historique des champagnes Taittinger. Et dans les flûtes, ce qui pétille n'est pas du champagne, mais un vin étiqueté Domaine Carneros by Taittinger. Une contrefaçon made in America de nos champagnes ? Pas du tout ! La célèbre maison champenoise a elle-même orchestré ce clonage. En réponse à l'engouement des Américains pour les sparklings, ces vins pétillants plus abordables que le champagne, les Rémois n'ont pas hésité à s'installer aux Etats-Unis.

La famille a acquis 130 hectares dans les vignobles réputés de Carneros et produit chaque année 700 000 à 800 000 bouteilles de sparkling "méthode champenoise". A l'instar de Taittinger, des grands noms du champagne, tels Moët & Chandon, Mumm ou Roederer, ont traversé l'océan pour se faire une place au soleil sur le marché des pétillants du Nouveau Monde en capitalisant sur la notoriété de leurs marques.

Ces "enfants exotiques" sont nés d'un calcul simple. Avec ses 33 000 hectares, la Champagne ne peut guère produire plus de 300 millions de bouteilles par an quand la demande mondiale de sparklings est de 3 milliards. A moins d'abandonner le marché à la concurrence, les grandes maisons de champagne n'ont pas d'autre choix que de franchir les frontières de leur région d'origine.

Moët & Chandon (aujourd'hui propriété de LVMH) a été le premier à tenter sa chance. Dès les années 60, en toute discrétion, la maison demande à son meilleur oenologue de se mettre en quête de vignes outre-Atlantique. La première acquisition est faite en Argentine, dans la région de Mendoza ; puis, très vite, elle plante son drapeau en Californie, au Brésil et en Australie. Aujourd'hui, Domaine Chandon est une marque bien connue dans chacun de ces pays. "Nous nous positionnons sur le haut de gamme", précise Xavier Ybargüengoitia, PDG d'Estates & Wines, la filiale du groupe dédiée aux vins du Nouveau Monde.

Mais même avec un prix de vente supérieur à 15 dollars, une bouteille de Domaine Chandon reste meilleur marché qu'une bouteille de Moët & Chandon. Le prix varie du simple au double aux Etats-Unis, du simple au triple au Brésil ; en Argentine, l'écart est de un à dix ! "Le champagne y a longtemps été surtaxé, et la dévaluation du peso a pratiquement condamné le marché", explique Xavier Ybargüengoitia. En revanche, les sparklings ont surfé sur l'émergence des classes moyennes, et leurs ventes s'envolent en Argentine comme au Brésil (voir graphiques ci-contre).

Ce succès encourage Moët & Chandon à franchir une nouvelle étape, avec l'exportation de ces vins en dehors de leurs pays d'origine. Le Domaine Chandon argentin est exporté dans toute l'Amérique latine, celui produit dans la Napa Valley est expédié au Canada, et, en 2009, la maison a lancé son sparkling australien à Taïwan, à Hongkong, à Singapour et en Corée du Sud. Quelques tests ont même été effectués en Belgique et en Allemagne. L'objectif : "Exporter 25 % de notre production", révèle Xavier Ybargüengoitia.

1 million de bouteilles pour ĂŞtre rentable
D'autres se montrent plus réservés, tel Pernod-Ricard, propriétaire des champagnes Mumm. Les sparklings maison, issus des vignobles américains ou argentins, ont été lancés à l'époque où la maison appartenait encore au groupe de spiritueux britannique Allied Domecq. "Si nous avions été aux commandes, nous aurions davantage cherché à différencier les deux pour éviter tout risque de confusion, indique Thierry Billot, directeur des marques de Pernod-Ricard. Nous avons hérité de ces vins, mais il n'est pas question de les commercialiser en dehors de leur pays d'origine", insiste-t-il.


Même prudence du côté de Taittinger. "Domaine Carneros est exclusivement réservé au marché américain", indique Pierre-Emmanuel Taittinger, président de la maison. Pour consolider sa position aux Etats-Unis, il espère porter sa production à 1 million de bouteilles. "C'est le seuil à atteindre pour être rentable, explique José Luis Hermoso, analyste à International Wine and Spirit Record. En deçà, il est souvent difficile d'amortir l'investissement." L'acquisition d'un hectare de vigne dans la Napa Valley coûte la bagatelle de 250 000 dollars. Beaucoup moins que l'hectare de vigne en Champagne (de l'ordre du million d'euros), certes, mais les prix des sparklings sont loin d'atteindre les mêmes sommets.

Des terroirs "proches" de ceux du champagne
Arrivé plus tard que ses concurrents, Roederer l'a bien compris : s'il ne vend "que" 500 000 bouteilles de champagne par an aux Etats-Unis, il commercialise déjà 1,2 million de bouteilles de son Roederer Estate. "Notre production a doublé en dix ans !" se félicite Michel Jeanneau, directeur adjoint de Roederer. Et la maison ne compte pas s'arrêter là. Pour accroître sa capacité de production, elle a acquis des dizaines d'hectares de vigne supplémentaires en 2003. Résultat : avec une surface de 240 hectares, son vignoble est plus étendu que celui de sa maison mère en champagne (214 hectares ). "A l'inverse de nos concurrents qui se sont implantés dans les vallées très chaudes de Napa et de Sonoma, nous avons recherché un climat et un terroir le plus proche possible de ceux de la Champagne, précise Michel Jeanneau. Et nous appliquons à la lettre la méthode champenoise."

Au-delà de ce savoir-faire, Roederer Estate a surtout bénéficié, lors de son lancement, de la notoriété de ses champagnes aux Etats-Unis, notamment sa prestigieuse cuvée Cristal. Une image qui a subi un effet boomerang, en 2006, quand le rappeur Jay-Z a appelé au boycott de la marque. Fan de Cristal (qu'il citait dans toutes ses chansons et dont il arrosait ses invités lors de ses fêtes), il avait peu apprécié que le PDG de Roederer, Frédéric Rouzaud, lui reproche de "flamber" des bouteilles à 200 dollars.

Tout miser sur une marque, si belle soit-elle, n'est donc pas sans risque. Et ne suffit pas à garantir la réussite d'un vin, comme le montre l'exemple de Deutz aux Etats-Unis. (Mal) lancé dans le cadre d'un joint-venture avec un partenaire américain, son sparkling n'a jamais trouvé sa clientèle. Résultat : "Il était bradé à moins de 9 dollars dans certains supermarchés !" s'étonne encore un acteur du secteur. Son image menaçait de faire du tort au champagne de sa maison mère ; elle a préféré plier bagage.

Chloé Hecketsweiler
http://www.lexpansion.com/economie/actu ... 34930.html
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
Avatar de l’utilisateur
Jean-Pierre NIEUDAN
 
Messages: 9664
Inscrit le: Mer 24 Oct 2007 10:23
Localisation: Hautes Pyrénées

Retour vers Presse du vin

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité


cron