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Brunello : "Un goût d'éternité."

Messagepar Christian Rausis » Jeu 4 DĂ©c 2008 08:13

Un goût d'éternité

"Franco Biondi Santi est le petit-fils du créateur du Brunello di Montalcino, un des vins les plus célèbres d'Italie. Il se bat aujourd'hui pour le maintien de la tradition et contre ceux qui souhaitent rendre le goût de ce vin plus international.


Depuis quelques mois, la prestigieuse appellation viticole Brunello di Montalcino est dans la tourmente. En avril, les autorités toscanes ont accusé certains producteurs réputés d'avoir utilisé des cépages non autorisés pour produire leurs vins. Or, selon le règlement, le Brunello ne peut être issu que de sangiovese. Mais la couleur trop dense de certains crus ou leur rondeur excessive faisaient soupçonner depuis longtemps des assemblages illégaux avec du cabernet sauvignon ou du merlot.



Tandis que les autorités italiennes procédaient à des contrôles chez les producteurs incriminés, une nouvelle polémique éclatait, concernant l'identité du Brunello di Montalcino. Certains propriétaires, comme le célèbre Angelo Gaja, demandaient un assouplissement des règles de production afin d'autoriser les assemblages. D'autres, craignant que le vin le plus célèbre d'Italie ne soit dénaturé, opposaient un vigoureux refus à tout changement. Parmi eux, Franco Biondi Santi, le descendant du créateur du Brunello, très attaché à l'antique tradition dont il est l'héritier.

L'avenir pourrait lui donner raison. Les signes de lassitude à l'égard des vins massifs et ultra-concentrés, au nez vanillé et chocolaté, à la bouche ronde et sans acidité, manquant totalement d'identité, commencent à devenir perceptibles. Or Franco Biondi Santi, propriétaire de la Tenuta Il Greppo, n'a jamais cédé aux modes qui agitent le monde du vin. Il faut attendre au minimum 25 ans pour boire son Brunello di Montalcino Riserva, produit uniquement durant les meilleures années. Exemple: durant les cinquante-septpremières années d'exploitation, seuls quatre millésimes ont été embouteillés comme Riserva: 1888, 1891, 1925 et 1945. Le potentiel de vieillissement de ce vin, qui figure parmi les plus chers d'Italie, est énorme. Il peut surpasser la durée d'une vie humaine, comme l'a prouvé une dégustation organisée en 1994 à l'intention des grands médias du vin, durant laquelle le millésime 1891 a fait très bonne figure...

Agé de 86 ans, Franco Biondi Santi maintient tranquillement son cap. Incarnation de l'élégance italienne et de la distinction aristocratique, il s'appuie sur une tradition qui a fait ses preuves. Son fils Jacopo a voulu la bouleverser, mais Franco a tenu bon. Aujourd'hui, Jacopo, qui possède également un domaine en Toscane, semble partager la vision de son père. Mi-octobre, Franco Biondi Santi a pris la tête d'une offensive contre tout changement de la DOCG Brunello di Montalcino, en ralliant plus de 60% des producteurs de l'appellation, dont plusieurs domaines réputés, comme Soldera, Frescobaldi, Fattoria dei Barbi, Col d'Orcia, Il Poggione et Altesino. Et il a gagné: fin octobre, une majorité des producteurs du Consorzio décidait de ne pas toucher au règlement. «Je défends l'actuelle DOCG de manière déterminée pour trois raisons, dit-il. D'abord, elle a été élaborée en 1966 sur la base des conseils de mon père Tancredi Biondi Santi, qui lui-même était en possession de tout le savoir accumulé par mon grand-père Ferruccio Biondi Santi, le créateur du Brunello. Ensuite, il y a dans ma cave, et dans la cave d'autres domaines, de vieilles bouteilles qui démontrent que le Brunello tel que nous l'élaborons défie le temps. Enfin, le sangiovese donne un vin unique à Montalcino. Ce serait un délit de changer le règlement.»

Les fruits de la patience

Dans les alentours du petit village médiéval, le sangiovese grosso est appelé brunello. Selon les spécialistes, c'est à Montalcino que ce cépage présente sa plus belle expression, offrant des vins élégants, puissants et concentrés. Le Chianti Classico, si excellent qu'il soit aujourd'hui, peut difficilement rivaliser avec le Brunello. D'après la loi, la version Riserva ne peut être commercialisée qu'après six ans suivant l'année de la vendange, et la version normale après cinq ans. Mais ce vin a besoin de temps pour dévoiler son potentiel. De trop de temps pour les producteurs qui aimeraient commercialiser des flacons immédiatement buvables en profitant de la prestigieuse appellation. D'où le souhait de pouvoir assembler le sangiovese avec d'autres cépages. «Pourtant, il faut faire preuve de patience pour avoir accès à certains vins, dit Franco Biondi Santi. Sur le terroir de Montalcino, on peut faire de bons vins, mais le Brunello, c'est autre chose. Le grand succès commercial que rencontre ce vin depuis les années 70 a conduit à planter des vignes dans des zones inadaptées ou à produire des vins avec peu d'acidité. Or l'équilibre du Brunello provient de l'harmonie entre les tanins et l'acidité.»

Difficiles à déguster dans leur jeunesse à cause de leurs tanins âpres et de leur acidité élevée, les Brunello de Franco Biondi Santi ne font pas l'unanimité. Ils ont même des détracteurs. Ce n'est pas étonnant. L'élégant patriarche dit que son vin a besoin d'être ouvert au moins huit heures avant la dégustation, chose impossible à réaliser lors des concours ou des dégustations professionnelles. Néanmoins, les connaisseurs affirment que la Tenuta Il Greppo fait de grands Brunello, même si ces derniers ne correspondent pas à leur goût. En témoigne cette anecdote, que raconte volontiers Franco Biondi Santi: «En 1998, j'ai invité James Suckling, le critique du magazine américain Wine Spectator, à venir déguster les vins d'Il Greppo. Je savais qu'il n'était pas d'accord avec ma vision du Brunello et qu'il préférait les vins issus de l'école moderne. Mais il a été frappé par le Riserva 1955. A tel point qu'il l'a inclus dans la liste des douze vins qui ont marqué le XXe siècle, publiée par le Wine Spectator en janvier 1999. Il a ainsi fait preuve d'un grand professionnalisme.»

Millésime mythique

Le commentaire de Suckling était très élogieux: «Où serait l'Italie sans les grands vins âgés de Biondi Santi? La famille toscane a été la première à prouver au monde que les vins italiens méritent d'être comparés aux meilleurs de la planète.» En effet, dans cette liste, le Riserva 1955 paradait aux côtés de prestigieux vins français issus de millésimes mythiques, comme Margaux 1900, Yquem 1921, Mouton Rothschild 1945, Cheval Blanc 1947, Petrus 1961, Romanée-Conti 1937, Hermitage La Chapelle 1961 de Paul Jaboulet Aîné. Il était le seul vin italien sélectionné.

Les 24 hectares de vignes d'Il Greppo sont situés non loin de Montalcino, à une altitude comprise entre 385 et 500 mètres. Ils bénéficient d'une exposition idéale et d'une amplitude thermique qui permet la maturation lente du raisin aux mois de septembre et d'octobre, favorisant ainsi une expression idéale des arômes. Dans les années 1870, Ferruccio Biondi Santi, héritier de la propriété de son grand-père maternel Clemente Santi, identifia un clone de sangiovese ayant résisté aux maladies qui avaient dévasté le vignoble européen. Il s'agissait d'une mutation du sangiovese spécifique à la région de Montalcino, appelée brunello. Il replanta le domaine avec ce clone et réalisa, en 1888, le premier Brunello di Montalcino. Jusqu'à la fin des années 1950, la famille Biondi Santi fut la seule à élaborer ce vin. Très rare, le Riserva plut aux amateurs fortunés et devint prestigieux. Ce succès attira peu à peu d'autres producteurs à Montalcino. Lorsque la DOC fut créée en 1966, il n'y avait que douze propriétés et 76 hectares de vignes. Actuellement, on recense 250 producteurs et près de 2000 hectares.

Tandis que de nombreux Brunello sont aujourd'hui élevés en barriques françaises neuves, une pratique qui tend à gommer la typicité du vin, Franco Biondi Santi continue à utiliser les grands foudres en chêne de Slavonie qu'utilisaient son père et son grand-père. Certains datent même de la fin du XIXe siècle. Contrairement aux barriques, les foudres empêchent un échange trop rapide d'oxygène entre le vin et l'atmosphère. Le sangiovese n'est ainsi pas contaminé par des arômes vanillés; il conserve sa richesse tannique et se pare peu à peu de délicieux parfums de tabac et de roses séchées. Les foudres sont donc les contenants idéaux pour le Brunello de la Tenuta Il Greppo. «Le bois neuf peut être un remède aux carences du terroir et au manque de qualité du raisin», avance le patriarche. Ses Brunello n'ont pas besoin de cosmétique. Aussi bannit-il également les levures non indigènes. Le Brunello Riserva est issu de vignes âgées de plus de 25 ans. Le Brunello Annata de vignes dont l'âge est compris entre onze et 25ans. Franco Biondi Santi produit également un Rosso di Montalcino de jeunes vignes ainsi qu'un rosé.

Raffinement suprême, mais coûteux, le domaine propose à ses clients une opération unique dans le monde du vin, appelée la «ricolmatura». Elle consiste à ajouter dans un vieux flacon un peu de vin du même millésime conservé chez les Biondi Santi afin de prolonger sa vie. En effet, avec le temps, le bouchon de liège, même s'il est de qualité optimale, perd de son élasticité et le vin s'évapore lentement. Une fois «ricolmato» et fermé avec un nouveau bouchon, il peut continuer à vieillir tranquillement pendant des années. Toutefois, Franco Biondi Santi préfère que son vin soit bu. S'il peut vieillir cent ans, l'acquéreur d'un millésime récent n'arrivera pas forcément à un âge aussi avancé. Et il serait dommage de se priver d'un tel vin... "


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Christian











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Christian Rausis
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Re: Brunello : "Un goût d'éternité."

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 4 DĂ©c 2008 09:34

Merci Christian pour cet article passionnant ..

jpierre
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Re: Brunello : "Un goût d'éternité."

Messagepar Christian Rausis » Jeu 4 DĂ©c 2008 21:59

Prego !

Christian
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Re: Brunello : "Un goût d'éternité."

Messagepar Didier » Jeu 4 DĂ©c 2008 22:20

Bel article, plein de sagesse ; pourvu que nombreux soient les gardiens du temple qui ne céderont jamais aux traitrises de la mode et du goût "internationnal".
C'est vrai que les vins bodybuildés en arrivent vraiment à lasser et que l'uniformisation des vins et donc du goût engendrent une des pauvretés de l'esprit.
Vénérés doivent être ceux qui suivent des chemins différents pour le plus grand bonheur de la diversité culturelle.
Didier

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Re: Brunello : "Un goût d'éternité."

Messagepar oenanthrope » Dim 21 Avr 2013 16:09

Et moi donc d'abonder dans ce sens !
Longue vie aux grands foudres en chêne de Slovénie (erreur du journaliste Slavonie) . Ton lien renvoie à la dernière édition du Temps.
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