Le 6e concours national des vins de pays vient de montrer, une nouvelle fois, la vitalité de ce segment méconnu qui représente le quart de la production française de vins.
La lecture du palmarès d'un concours est toujours édifiante. Avec 45 médailles, le cépage chardonnay se taille la part du lion, suivi de près par le merlot (40 médailles), le sauvignon (34), la syrah (28), le cabernet sauvignon (21) et le viognier (19). Cette simple énumération montre que les vins de pays ont totalement pris le virage des cépages, ce qui les démarque totalement des appellations contrôlées (en gros, la moitié de la production française) qui mettent en avant leur localisation (Bordeaux, Bourgogne, etc.)
Les concours ne peuvent donner plus d'un tiers de médailles, règles de la communauté européenne obligent. Un rapide tour sur les vins primés montre que les médailles d'or ne sont pas usurpées. «Pour que la qualité émerge sans contestations, nous avons fait appel à l'Union des Œnologues de France», souligne Valérie Pajotin, la directrice de l'Anivit (Association interprofessionnelle des vins de table et des vins de pays) qui chapote l'autre moitié de la production française dont font partie les vins de pays. La qualité est le gros atout de cette catégorie de vins qui fait un malheur dans la grande distribution française avec des prix qui varient entre deux et cinq euros. À l'exportation aussi, ces vins sont très présents et très compétitifs. Mais avant d'en arriver là , le chemin a été très long.
Le précurseur incontesté des vins de cépage a été Robert Skalli, un Languedocien qui a beaucoup voyagé : «A l'étranger et en particulier dans le Nouveau Monde, je me suis aperçu que les vins de cépage tenaient une place essentielle au côté des vins de terroir.» Revenant au pays, il a insisté pour que le Languedoc plante les cépages qui sont appréciés dans le monde et dont la liste est précisément celle qui vient d'être plébiscitée en 2009 au concours national.
Il s'associe avec Jacques Gravegeal, un spécialiste de la production, pour monter un des plus grands succès du monde du vin, les vins de pays d'Oc. « J'avais eu la même réflexion en parcourant le vignoble californien en 1983-1984 : j'ai compris que les vins de cépages étaient à la mode ». En 1987, ils réussissent à créer les vins de pays d'Oc qui sont aujourd'hui le premier exportateur de vin de France et 4e exportateur des vins de cépage au monde.
Comment en sont-ils arrivés là ? Robert Skalli en précise les ingrédients : «La grande révolution a été de demander l'avis du consommateur. Il fallait produire ce qu'ils ont envie de boire, ce qui était une révolution !» En somme, il fallait introduire les techniques de marketing, mot toujours tabou, dans l'univers ultra-traditionnel du vin.
S'adapter au terroir
En France, le monde du vin, en particulier les appellations contrôlées, ne partagent pas du tout cette vision : le consommateur doit s'adapter au terroir et aux pratiques ancestrales et non l'inverse. Si cette conception sied bien aux grands vins comme le chambertin ou le corton charlemagne, cette vision «terroiriste» s'est déclinée jusqu'aux régions les plus reculées et les appellations les plus improbables rendant le vin français peu lisible aux consommateurs du monde entier. Comment mémoriser les quelque cinq cents appellations contrôlées à la hiérarchie complexe, elles-mêmes divisées en une myriade de climats ou de sous-dénominations ? La désaffection du consommateur n'a, en grande partie, pas d'autre explication.
Les vins de cépage sont, au contraire, d'une lisibilité quasi biblique. Moins d'une dizaine de cépages tiennent le haut du pavé mondial et même plutôt cinq, ce qui facilite leur mémorisation. Leurs noms, chardonnay, sauvignon se retiennent à cause de leur succès, leurs goûts sont parfaitement standardisés et il suffit de suivre un cahier de charge pour les produire à faible coût. Mais ces sujets restent tabous eux aussi.
On n'imagine pas la révolution qu'a impliquée la reconversion de milliers d'ha de cépages improbables avec de nouvelles variétés qui viennent certes de régions prestigieuses mais ne sont pas du coin. Il a aussi fallu apprendre l'hygiène des caves et à élaborer des vins francs et joyeux qui ne font pas grimacer. «Nous avons réussi car le marché mondial était demandeur et nous avons pu rémunérer très correctement les producteurs», précise Robert Skalli. Le résultat est là : il est aujourd'hui possible de s'acheter en grande distribution une jolie bouteille de sauvignon en vin de pays de l'Ardèche à 2,60 € qui vaut bien des vins de Touraine au double voire au triple du prix ou encore des sancerres nettement plus chers encore. Même éduqué au label des appellations contrôlées, le consommateur ne s'y trompe pas lorsqu'il n'est pas bloqué par la tradition.
Une offre qui se veut simple
La mode du cépage bat son plein non seulement dans le monde entier, mais aussi en France, et les vins de pays en sont le fer de lance. Surfant sur ce succès, s'est créé Chamarré, une marque spécialisée dans la commercialisation de ce type de vins avec l'aide d'une dizaine de grosses coopératives qui représentent 13 000 producteurs. L'offre se veut simple et de bon rapport qualité prix (5 à 8 euros). «Nous visons un public jeune qu'il faut absolument décomplexer», souligne Pascal Renaudat, le président d'OVS qui est à la base de ce concept. Après avoir joué la mode du cépage, il a habilement introduit le bicépage, forcément meilleur même si cela fait partie du non-dit, et même le tricépage, ce qui est encore plus fort. Les vins de Chamarré font un malheur à l'exportation. Le vignoble français se décomplexe, enfin.
L'avenir n'est cependant pas tout rose. La dernière catégorie des vins français, les vins de table (25 % de la production) vont changer complètement de contexte réglementaire. Jusqu'à présent, ils vivaient totalement masqués, car il leur était interdit de mentionner le cépage et le millésime sur l'étiquette. Mais tout change puisque, avec la nouvelle réglementation européenne, ils pourront mentionner millésime et cépage, ce qui leur permettra de concurrencer les vins de pays qui se sont taillé un joli fief, mais vont prendre frontalement cette concurrence. Seule leur manque l'indication géographique. Mais est-ce vraiment un handicap ?
Bernard Burtschy
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