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Pourquoi le monde du vin rosé voit rouge

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Dim 12 Avr 2009 08:48

Effervescence dans le monde du rosé : Bruxelles s'apprête à autoriser le mélange de rouge et de blanc pour en obtenir, alors que la tradition française est aux rosés plus qualitatifs. Décryptage.

L'affaire est pour le moins bouchonnée. Alors que les barbecues sont presque sortis dans le jardin avec les premiers rayons de soleil, le goût en bouche du bon rosé frais ne vient pas d'une bouteille sortie de la cave mais des cénacles bruxellois. Et, forcément, il est moins bon. En jeu ? Les modes d'élaboration et l'avenir du vin rosé. Un sujet au départ plutôt austère mais qui est devenu au fil des jours aussi passionnel que tranché. Comme le montre le sondage que nous avons réalisé (lire ci-contre). Mais, au-delà des apparences, la question est plus complexe. Retour donc sur ce qui aurait pu être un non-événement.

1 Négociation bruxelloise

Dans le cadre européen de la politique agricole commune (PAC), la filière vin fait l'objet d'une organisation commune de marché (OCM vin). Toutes les règles sont négociées par les États membres au niveau bruxellois. Une partie de la nouvelle OCM, actée fin 2007, est rentrée en application l'an dernier, le solde étant prévu pour le 1er août prochain. Avec deux gros morceaux : l'étiquetage et les pratiques oenologiques.

Ce dernier comprend de multiples volets : utilisation des copeaux de chêne, édulcoration, désalcoolisation, limites de sulfitage, vins expérimentaux... et coupage pour obtenir du rosé. À ce jour, les États membres peuvent concevoir du rosé en mélangeant du vin blanc et du rouge dès qu'il s'agit de vins d'appellation. En revanche, la pratique est interdite pour les vins de table, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas d'encrage local valorisant (AOC...). En clair, des vins moins contraignants à produire et globalement meilleur marché pour le client.

Un paradoxe qui ne s'explique pas du tout pour des raisons qualitatives - ce n'est pas ici le sujet - mais au plan réglementaire. En effet, les vins de table ayant bénéficié pendant longtemps d'aides européennes variables en fonction de la couleur rouge ou blanche du produit, la conception de rosé en les mélangeant a été interdite, essentiellement pour éviter les risques de fraudes.

Donc, logiquement, ces aides disparaissant avec la nouvelle OCM, aucune raison de maintenir cette interdiction, alors que partout dans le monde, la pratique est courante. « Cette modification était pour nous un non-événement. Jamais, nous n'aurions imaginé qu'elle soulèverait un tel tollé », précise un proche du dossier à Paris.

Voilà comment le paquet des pratiques oenologiques, où d'autres réformes étaient bien plus stratégiques pour la France, se retrouve presque acté en décembre, après des mois de négociations.

2 Réveil français

Mais en mars, place au rétropédalage. Les professionnels de Provence, principal vignoble de rosé européen, se réveillent, un peu tard, et sonnent le tocsin. Cris au scandale, mobilisation des élus, et Michel Barnier, qui va rentrer en campagne électorale pour les européennes, est obligé de reculer.

Les Provençaux, non concernés car vignoble d'AOC, pourfendent la banalisation générale à venir des rosés et un risque d'effet ricochet avec perte de crédibilité pour tous.

En scène, deux conceptions. Le « bon » rosé, élaboré par pressurage direct de raisin rouge ou par saignée (toujours de raisin rouge) ; bichonné et donc « vrai » vin, comme de tradition dans l'Hexagone. En face, le bas de gamme de coupage, que personne ne nom-me « assemblage » - ce qui est pourtant la même chose - de peur que ce mot moins connoté ne le rende plus acceptable.

Presque le scénario idéal d'un film binaire, avec gentils et méchants. Et un tapis rouge pour les cocoricos un peu faciles : « Ces technocrates bruxellois qui veulent casser notre bon rosé. » Plutôt loin des faits, mais les envolées passionnelles n'en ont cure. « Cette affaire est devenue comme celle du plombier polonais : un repoussoir. Ce que les Français refusent », constate un négociateur parisien.

3 La page blanche

Comment sortir maintenant de l'impasse, alors que Paris a officiellement dit non au coupage ? La page blanche est à remplir. Un étiquetage spécifique pour informer l'acheteur, du type « rosé traditionnel » pour l'un ou « rosé par coupage » pour l'autre ? À voir. La France, très isolée sur ce dossier, prendra-t-elle le risque de rouvrir celui des pratiques oenologiques, au risque de voir revenir en boomerang la chaptalisation, technique que les Italiens et les Espagnols voudraient voir disparaître ?

Pour l'instant, on gagne du temps avec une décision repoussée au 19 juin. Des rapports seront rendus - notamment par Gérard César au Sénat - et le ministre de l'Agriculture aura changé.

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« Le rosé de mélange banaliserait tout mon travail »

Au Château Martinat, dans le petit village de Lansac, en haute Gironde, Stéphane Donze produit un rosé de qualité. L'homme, qui exporte 60 % de la production de ses 25 hectares, s'est lancé dans cette nouvelle couleur il y a cinq ans.

« Le marché du rosé se développait. Il est pour Martinat un complément de gamme, comme le blanc, et ce derrière le rouge qui est notre production principale. » Un principe qui se retrouve dans la plupart des vignobles français, à l'exception notable de la Provence - où le rosé est leader - et du Val de Loire - où il est très présent.

Le Château Martinat rosé (AOC Bordeaux) est produit à 3 000 bouteilles par an. « J'ai un peu freiné sur le 2008 car les étés pourris 2007 et 2008 n'ont pas aidé les ventes », rappelle ce producteur qui, sur l'affaire du probable mélange blanc et rouge, a une opinion tranchée, comme la plupart des Français, professionnels compris.

« Le rosé de mélange banaliserait tout mon travail et le système viticole français, en tirant tous les producteurs de rosé vers le bas. Nous n'en produirions pas mais notre image serait de toute façon ternie », assure celui qui est aussi responsable de la promotion du Syndicat de l'AOC Côtes de Bourg.

Travail pointu

« Alors qu'en dégustation à l'aveugle l'amateur lambda est incapable de distinguer un rosé de qualité d'un mélange, comment pourrais-je argumenter auprès du client sur le travail pointu réalisé sur mon rosé, sur ses ''plus'' qui le rendent ''gastronomique'' et sur son prix de 5 euros TTC départ cave ? », s'interroge Stéphane Donze. Sachant que le coeur du marché du rosé, identifié comme un vin d'été accessible, est plutôt entre 2 et 4 euros la bouteille.

« Le rosé de mélange, plus facile à faire et moins cher, correspond à une viticulture de masse, aux antipodes de ma structure familiale. Quand je pense que Bruxelles envisage d'identifier le ''vrai'' rosé sur l'étiquette avec le mot ''traditionnel''... Il n'y a pas plus vieillot, alors que le rosé français travaille depuis des années à une image fun, décontractée et élégante », estime le vigneron, tout en revenant à son métier de technicien.

« Il est plus difficile de faire un bon rosé ou un bon blanc qu'un bon rouge, car une erreur sur la phase des vinifications est presque impossible à rattraper. »

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Ligne jaune

Commentaire

Il y a dans le monde du vin des lignes jaunes que même le rosé ne saurait franchir. Si cette « affaire » de possible mélange, au départ mesure technique noyée - si l'on peut dire - dans un vaste texte européen sur la libéralisation des pratiques oenologiques, monte jusqu'aux plus hautes sphères de l'État tout en remplissant les journaux, ce n'est pas par hasard.

Dans l'Hexagone, premier producteur et consommateur mondial, le vin n'est pas un produit culturellement neutre et encore moins banalisé.

Avec la gastronomie et les plaisirs de la table, il incarne une valeur sûre, des racines que presque personne ne songe à arracher ; un pieu où s'amarrer par gros temps de mondialisation et libéralisation galopantes.

On peut toucher à bien des symboles mais la dimension « sacralisée » du vin - rappelée en ce week-end de Pâques - pourrait encore le protéger de sacrilèges mal acceptés par nos concitoyens. Le résultat de notre sondage en atteste.

Il y a un an, cette même ligne jaune fut frôlée par l'affaire des copeaux. Utilisés dans le monde entier pour donner texture et boisé, ils sont arrivés en France. Un pays où le vin reste un vrai marqueur.

César Compadre

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L'Espagne le fait par tradition

« La position des professionnels des Côtes de Provence, fer de lance de la protestation en France sur ce dossier des rosés, est de la pure démagogie. » Pau Roca, secrétaire général de la Fédération espagnole du vin, organisme professionnel basé à Madrid, ne mâche pas ses mots.

« De quel droit Bruxelles n'autoriserait-il pas pour les vins de table ce qui est déjà permis pour les vins d'appellation d'origine contrôlée ? Ces derniers, qui ont normalement des règles plus restrictives que les premiers, voudraient-ils défendre un privilège ? » s'interroge-t-il.

« Nombre d'appellations, dans chaque État membre, se sont par la suite interdit cette pratique, y compris en Espagne. Mais rappelons que le champagne rosé, un des effervescents les mieux valorisés qui soit, peut être élaboré en mélangeant vins blanc et rouge », martèle notre interlocuteur. Qui estime donc sans détour qu'« autoriser désormais le mélange des deux couleurs pour élaborer des vins de table rosés est logique et légitime ».

L'Espagne, qui a longtemps eu, notamment dans la Mancha (centre du pays), un vignoble planté de raisins blancs alors que la consommation s'orientait vers le rouge, a beaucoup utilisé le mélange des deux couleurs. C'est la technique de la « mezcla » (mélange) des vins de table, qu'elle a gardée, à titre dérogatoire et sans pouvoir les exporter, lors de son entrée dans le Marché commun en 1986. « C'était juridiquement du vin rouge. Depuis cette époque, nous avons beaucoup reconverti de vignes de blanc en rouge (arrachage et replantation) et la mezcla est tombée en désuétude », assure Pau Roca.

Sur le front des appellations, l'Espagne produit aussi de beaux rosés, non assemblés, notamment en Navarre et à Cigales (Valladolid). Au Pays basque et en Rioja, le rouge « clarete » a aussi une belle cote.

Rien d'étonnant donc à ce que les Espagnols aient poussé à Bruxelles pour obtenir la réforme. « Sans oublier », précise Pau Roca, chantre du parler vrai, « que la loi permet d'assembler en amont raisin blanc et rouge pour tout type de vin ».

C. C.

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Le non catégorique des Français

Pas touche à notre rosé ! Tel est le message qui résulte du sondage Ifop pour « Sud Ouest Dimanche » et « Midi libre ». Sondage à propos du projet de l'Europe d'autoriser le mélange entre rouge et blanc pour créer du rosé. Ils sont en effet 87 % à s'y déclarer opposés et presque autant (86 %) à jurer leurs grands dieux qu'ils n'en achèteraient pas.

Ce message, qui a la clarté d'une eau de source, laisse toutefois apparaître quelques nuances selon l'âge ou le lieu d'habitation, même si le refus reste majoritaire dans tous les cas de figure.

Question de culture sans doute, c'est dans les régions productrices (Paca, Languedoc, Aquitaine, Midi-Pyrénées, Limousin) que l'idée est le plus nettement rejetée : 90 % contre 75 % chez les chtis du Nord-Pas-de-Calais. Question d'éducation sûrement, c'est chez les plus de 65 ans que le nombre d'opposants est le plus élevé : 95 %, quand la proportion tombe à 71 % parmi les jeunes de 18 à 25 ans.

Quant à aguicher les sondés avec la promesse d'un meilleur prix, c'est raté : ils ne sont que 14 % à imaginer acheter un jour un rosé à la mode bruxelloise. 86 % d'entre eux refusent cette éventualité et 61 % s'affirment certains de ne pas en acheter !

César Compadre
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