PRIMEURS. La grande semaine s'ouvre demain. Propriétaire à Margaux, Éric Grangerou témoigne
Eric Grangerou termine la préparation des échantillons qu'il proposera à la dégustation cette semaine, à l'occasion de la grand-messe des primeurs. Une trentaine de bouteilles. Loin de ce que les grands crus classés consacrent à l'opération. « Un grand château peut y passer une barrique entière » (300 bouteilles) confie-t-il.
Éric est propriétaire du château des Eyrins à Margaux. Avec quatre hectares en propriété et quatre autres en fermage, c'est un petit vigneron. Il ne reçoit pas le visiteur en costume anglais avec pochette assortie. Un austère pull noir à col roulé lui étire ses longs bras.
Issu de trois générations de maîtres de chais au château Margaux, il a choisi l'indépendance. « Je maudis mon grand père - le meilleur des hommes - de ne pas avoir acheté de terres à Margaux, à une époque où les meilleures parcelles servaient de prés à mouton et se négociaient une bouchée de pain », se désole-t-il avec humour.
Ne pas céder à la tentation
Mais comment prépare-t-on des échantillons d'un vin qui n'existe pas encore ? « Les dégustations primeurs arrivent à peine six mois après les vendanges, l'assemblage des différents cépages récoltés vient juste d'être fait. À ce stade de l'élevage du vin, chaque barrique est différente. »
Alors laquelle présenter ? « La tentation serait de proposer celle qui se goûte le mieux mais qui n'est pas forcément représentative de la production globale. Ce serait un calcul à court terme. Si votre client est déçu à la livraison, il ne reviendra pas l'année suivante », explique-t-il.
« C'est plus facile pour les grands. Si Rauzan-Ségla est un peu tannique à la dégustation en ce moment, tout le monde sait que ce sera un grand vin dans quelques mois. Pour un petit vigneron du nord Médoc, les dégustateurs ne chercheront pas à savoir, ils passeront au suivant. Et puis, le viticulteur qui a dépensé une fortune pour s'offrir les services d'une star de l'oenologie se doit de sortir un échantillon canon. » Alors la « barrique Parker » (surnom donné à une sélection particulièrement travaillée dans le but de séduire le célèbre dégustateur et que les vignerons se soupçonnent d'entretenir) peut sortir de l'ombre du chai.
Noyé dans la masse
À 52 ans, et fort de vingt ans d'expérience, il observe ce grand rendez-vous médiatico-viticole des primeurs avec un brin d'amusement. « Ce qui était, à l'origine, l'occasion pour les acheteurs potentiels de valider leurs futures commandes, est devenu un must. Là où le monde du vin se bouscule. L'an passé, j'ai rencontré quelqu'un qui m'a dit : j'ai dégusté toute la semaine ! Il était marchand de bouchons. Si ces gens-là achetaient du vin, ça se saurait ! »
Lui ne présentera son vin qu'à la dégustation organisée par son consultant Olivier Dauga à l'Estacade, à Bordeaux, et enverra quelques échantillons aux revues spécialisées et aux négociants avec lesquels il travaille.
« Quand on est un indépendant comme moi, ni cru classé, ni affilié à une grande structure, comment fait-on pour être visible lors de cette semaine ? Où présenter ses vins, et à qui ? Si c'est pour se retrouver dans une salle des fêtes avec 200 autres producteurs en espérant être remarqué, autant aller à la pêche. Il ne faut pas se voiler la face : sur les centaines de vins dégustés, combien vont être achetés en primeurs ? Les crus classés, parce que les acheteurs vont gagner 15 % sur une bouteille à 300 euros et seront sûrs d'en avoir. Mais sur un bordeaux à 4 euros dont on sait qu'il y en aura encore à ce prix dans un an, où est l'intérêt ? »
Claude petit
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