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[Jean-Pierre NIEUDAN]

Sous le vent cinglant qui descend du nord, elles sont debout, les pieds dans la terre argileuse d'une parcelle de syrah, sûres d'elles. Quand on a 25 ans, qu'on travaille la vigne et ses gestes immémoriaux, on est un enfant. Pas elles, les soeurs Lalaurie, qui s'installent à la tête d'un domaine de 50 ha avec l'ombrageuse détermination des hommes de ces plateaux austères de l'Aude, aux confins de la Montagne Noire et des Cévennes.

"J'aurais pu faire comme mon grand-père, qui avait deux filles aussi et ne croyait pas en elles, raconte Jean-Charles Lalaurie, le père de Camille et d'Audrey. Il avait tout préparé pour vendre le domaine à sa mort et finalement, c'est moi qui l'ai repris."

Autre époque où les métiers du vin ne toléraient pas les femmes sinon aux tâches subalternes. "Quand j'ai commencé à vinifier, il y a vingt ans, on me prenait pour une folle, assure Catherine, la maman. C'était encore hors norme." Aujourd'hui, couvées par leurs parents, Camille est l'oenologue du vignoble et Audrey s'occupe de la commercialisation de la dizaine de cuvées. L'une élabore des vins délicats dans la cave d'Ouveillan, sur des tanins plus fins, en somme féminisés. L'autre les vend de l'Angleterre à l'Australie, en parle avec talent dans des foires où, parfois, le client semble circonspect en entendant cette demoiselle.

Sommelières également dans quelques grands restaurants, les femmes s'impliquent en nombre dans un secteur réputé masculin. Les annuaires des écoles d'oenologie respectent presque la parité. "Dans ma promo, à Montpellier, nous étions 15 filles sur 40", souligne Camille, diplômée en 2005. "Dans mon master de commerce des vins, nous étions même plus nombreuses que les garçons", renchérit Audrey, qui a consacré son mémoire -très à propos aujourd'hui- aux "stratégies des PME vitivinicoles face à la crise". Les Lalaurie, les autres aussi, sont comme ça: elles apprennent (bac +5 pour les deux), elles sont ouvertes (Camille a voyagé dans les winery d'Australie et de Nouvelle-Zélande, plutôt qu'au Chili "encore machiste"), elles ont une vision. "Elles nous ont beaucoup apporté déjà", affirment leurs parents.

Les vins de cépages adaptés au goût des femmes

"Les femmes ont une autre relation au vignoble, explique Camille. Avec plus d'attention et de délicatesse. J'ai appris des techniques que j'ai adaptées à notre domaine. Mais j'en ai laissé d'autres de côté pour respecter les spécificités du terroir." Son cabernet-sauvignon ou son chardonnay ont assez de rondeur pour épouser les goûts du moment, et séduire du coup les consommatrices. Les vins de pays d'Oc -qui comptent près de 1 800 producteurs indépendants dans l'Aude, l'Hérault, le Gard et les Pyrénées-Orientales- sont la principale dénomination de vins de cépages en France, et "le cépage est un référent de goût adapté aux attentes des femmes", ajoute Florence Barthes, la directrice générale de l'interprofession, une femme aussi.

"Dans notre région, on sent une nette évolution: les femmes sont sur le terrain, poursuit Florence Barthes. Et elles contribuent bien à ce que nous recherchons: modernité, qualité, originalité." Jeunes, jumelles, doubles mais complémentaires, les soeurs Lalaurie figurent joliment cette tendance, nourrie aussi de l'histoire d'un domaine dont elles ont trouvé des traces jusqu'en 1610. "Perpétuer le patrimoine a compté aussi dans mon engagement", assure Audrey. Et les deux soeurs de raconter l'histoire de Julie, une aïeule, qui, en 1875, arrosa chaque pied avec un seau d'eau, en tira une récolte exceptionnelle et fit construire la belle maison où elles sont nées.

http://www.domainelalaurie.com

Source : http://www.lejdd.fr