Artisan vigneron à Cars, Patrick Revaire dénonce les fossoyeurs d'une civilisation et d'un pan entier de l'économie. Et vilipende, au nom de la santé, les tartuffes modernes
Patrick Revaire est « en pétard » ! Il ne décolère pas. Et cela fait des mois, des années que ça dure. Il tient la liste des ministres de la Santé inféodés selon lui à des intérêts mystérieux. Il lit tout ce qui se publie sur le vin (1). Il répertorie et classe les avis médicaux, anciens et modernes, sur les bienfaits du vin. Il chasse impitoyablement les petits travers et les grosses contradictions des politiques de tous bords. Il écrit. Il râle. Il éructe.
Imprécateur
Bref, l'imprécateur du château Gardut, à Cars, a enfourché son cheval de bataille et mène son combat. Don Quichotte au pays du vin triste. Il ne supporte pas le « politiquement » correct ambiant. Et la duplicité enroulée dans les habits respectables des défenseurs de la santé publique.
« Ils ont touché à mon outil-passion », lance-t-il, désignant par ce pluriel « singulier » tous ceux qui font partie du « complot ». Tous ceux pour qui les vignerons sont de dangereux dealers. Et pour qui tremper ses lèvres dans un verre de vin équivaut à pactiser avec le diable, à raccourcir sa vie, et à risquer celles des autres.
Liste
« Raccourcir sa vie » ? Justement. Entre deux expéditions de vin, et quelques séquences de taille (on est en février, il faut avancer !), Patrick Revaire recense les vieux du vignoble. Tous ceux que la fréquentation de la vigne, du cuvier, du chai, de la dive bouteille et du travail dur n'a pas usé au point qu'ils tirent prématurément leur révérence.
« J'ai commencé une liste », avance-t-il en brandissant des feuilles de papier où d'une écriture grasse que l'on devine rageuse, il a dressé ce fameux inventaire. « J'en trouve beaucoup. Certains ont dépassé les 90 ans. Tout ça va dans le sens de ce que dit le professeur Renaud. » (2)
Et de citer dans la foulée l'exemple d'un vieil ouvrier de la famille, qui a passé toute son existence professionnelle au château. Et auquel Patrick Revaire souhaitait rendre hommage : « René Poizat, par exemple. Nous l'avons enterré le 24 janvier. Il aurait eu 83 ans cette année. Il avait pris sa retraite en 1986. Il avait travaillé dur, et bu du vin, oh, oui ! Tueur de cochon, il avait mangé gras souvent. Et pourtant. Il avait réussi à acheter sa maison et à élever correctement ses cinq enfants. Et en plus, cet employé m'a formé bien plus que mon père. C'est avec lui que j'ai appris la taille des fruitiers et de la vigne. »
Coma
Colère, Patrick Revaire. Et tout bourrelé de dépit. « Beaucoup de mes collègues sont aujourd'hui en coma dépassé. Ils disparaissent les uns après les autres. Les propriétés se défont. Sommes-nous devenus fous ? »
Patrick Revaire, qui estampille désormais d'un coup de tampon « artisan vigneron » toutes ses productions (viticoles et... littéraires), étouffe : « Sommes-nous des assassins et nos clients des ivrognes irresponsables ? On fout en l'air un pan entier de notre économie. Les concurrents européens et étrangers rigolent ! A-t-on pour autant, à grands coups de campagnes anti-alcooliques, maîtrisé le fléau des alcools dits durs et mix qui progresse à grands pas » ?
(1) Et dernièrement le très intéressant « In vino satanas », de Denis Savarot et Benoist Simmat, aux éditions Albin-Michel. (2) Médecin et professeur de médecine, défenseur du vin, originaire de Cartelègue, où une pièce de vigne qui porte son nom lui a été dédiée.
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