La Bible dans le Livre des Juges, au chapitre XIII, met dans la bouche de l'ange, envoyé par l'Eternel, l'interdiction faite aux femmes "de boire ni vin ni boisson enivrante". De Noé à Pasteur, hormis les veuves en Champagne, le vin est resté une affaire d'hommes. Cependant, depuis une vingtaine d'années, les femmes ont investi la filière vini-viticole, ce qui ne va pas sans l'apparition de nouveaux préjugés sur un goût féminin, plus rond, plus subtil et sucré, auquel trois grandes professionnelles rencontrées ne croient guère .
Première figure allégorique de cette triade féminine, Dominique Hauvette a installé ses pénates sur le flanc nord des Alpilles. Son domaine de 15 hectares est établi, en partie, sur des éboulis calcaires soumis à l'ardeur du soleil et du mistral. Ses études de sociologie puis de droit rural ne l'ont pas spécialement formée à la compréhension des sols, du climat ni à la culture de la vigne. L'observation et l'intuition seront ses principales armes pour maîtriser peu à peu l'équilibre qui caractérise ses vins dans une appellation où l'acidité est rare.
Tout son effort, dans les premières années, porte sur l'adaptation du matériel végétal à la culture biologique, ce qui l'amène à adopter, au tournant des années 2000, une conduite réfléchie de la vigne en biodynamie. Elle intervient le moins possible dans la vinification qui obéit aux mêmes principes, excluant toute acidification, levurage ou enzymage.
La réputation du domaine s'est d'abord établie sur les blancs, totalement différents de ceux - frais et fruités - de la production locale. Ce sont des blancs de garde. Dernier joyau du domaine en rouge, la cuvée Améthyste est un assemblage de cépages carignan, grenache et du délicat cinsault, élevés dans des "oeufs" de béton d'argile, comme au domaine Lauzières, initiateur de cette méthode dans la région.
A la question rituelle, s'agit-il d'un "vin de femme", Dominique Hauvette montait autrefois sur ses grands chevaux. Elle répond aujourd'hui avec sérénité : "Je fais mon vin avec ma sensibilité."
La seconde prêtresse de Bacchus qui nous a confié son parcours est Pierrette Trichet, maître de chai chez Rémy Martin, et à ce titre responsable de l'assemblage du Louis XIII, l'un des plus prestigieux grands cognacs. Sa prédestination était familiale. Son père, viticulteur dans le Gers en pays d'Armagnac, et sa mère institutrice ont encouragé ses études de chimie et ses premiers pas dans un laboratoire de recherche viticole à Toulouse (Haute-Garonne).
Son chemin fut tracé quand, le 1er avril 1976, elle entra chez Rémy Martin, alors dirigé par André Hériard-Dubreuil. L'apprentissage du cognac, c'est d'abord la connaissance des sols et des vins destinés à l'alambic. Pierrette Trichet doit apprendre à traquer les défauts des approvisionnements pour aider les viticulteurs sous contrat à mieux faire.
Georges Clot, le maître de chai, l'invite bientôt au sein du comité de dégustation d'une quinzaine de personnes où elle met en pratique les corrélations entre l'analyse et la dégustation afin d'optimiser les assemblages d'eaux-de-vie parfois centenaires.
En 2003, elle est nommée maître de chai. C'est la première femme à occuper ce poste depuis 1724, date de la fondation de Rémy Martin. Pourtant, elle n'a conscience d'avoir obtenu son bâton de maréchal que le jour où, ayant soumis son premier assemblage de Louis XIII au comité de dégustation, on lui indiqua : "C'est parfait, tu n'as rien changé."
Marie-Louise Banyols, après des études de droit, s'est engagée sur la voie familiale, la restauration à Perpignan, puis Les Feuillants, à Céret (Pyrénées-Orientales). Tout au long de ces années, elle dirige l'équipe de salle et s'initie à la dégustation au point d'acquérir rapidement une renommée nationale.
Après un séjour dans le Bordelais, elle se voit contrainte de réorienter ses activités et se lance dans la sélection et la dégustation de vins espagnols, car elle participe à l'aventure de Lavinia, dont elle dirige, à partir de 2001, la boutique à Barcelone. Après l'ouverture de Lavinia à Paris, en 2004, elle est nommée, avec Marc Sibard, directrice des produits pour l'ensemble du groupe, responsable de l'achat des vins, eaux-de-vie et accessoires pour les boutiques de Barcelone, Madrid, Paris et Kiev.
Son quotidien, ce sont les dégustations, les visites de vignobles, les salons, les relations avec les domaines et la formation des équipes. Le vin a-t-il un sexe ? La question ne la surprend pas : "En Espagne, j'ai appris à déguster des vins puissants, charpentés, des vins de mecs, comme on dit." Mais son approche est moins affective que culturelle : "Mon goût était formé depuis longtemps, il s'est développé au fil des années." Forte de cet apprentissage permanent, elle revendique ses choix et son libre arbitre, refusant les clichés sur les vins prétendus féminins.
"A quand les vins réservés aux gays ?", a-t-elle même lancé lors d'un débat organisé par le Syndicat des bordeaux et bordeaux supérieurs, croyant - enquête à l'appui - avoir trouvé une nouvelle niche. Dans les grandes surfaces, ce sont les femmes qui (à 78 %) achètent le vin.
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