Tout près de la ville de Bergerac, cette AOC produit des vins rouges suaves et ronds, d'une grande finesse quand les racines atteignent l'argile profonde.
Si Pécharmant, la colline charmante, pouvait se poser du côté de Bordeaux... A proximité de Pomerol, par exemple : ce n'est pas très loin à vol d'oiseau et il y a comme un cousinage des sols. Alors chacun irait de son compliment, de son analyse fine du rôle des sables ou des graviers de surface et, surtout, des argiles avec des concrétions ferrugineuses qui composent le meilleur de ce terroir... Mais l'histoire plus que la géographie l'a reléguée loin du port, de l'Atlantique et des marchands. Très dépendante du cours de la Dordogne et de son débouché : Bordeaux.
« Si n'êtes en lieu pour vendre votre vin, que feriez-vous d'un grand vignoble ? » notait en 1600, dans son « Théâtre d'agriculture », l'agronome Olivier de Serres... La réponse, pour le vignoble de Bergerac, tient en deux mots : une force d'appoint. Quand Bordeaux manquait de vin pour expédier au-delà des mers, alors on ouvrait les vannes et laissait venir les tonneaux en provenance de l'amont. Quand Bordeaux avait trop ou suffisamment, alors on verrouillait l'accès pour ceux de Cahors ou de Bergerac. Difficile dans ces conditions d'établir une notoriété et un suivi commercial. C'est de l'histoire ancienne, pourrait-on dire... Certes, mais c'est au fil du temps que l'on bâtit une réputation. Puis ce n'est peut-être pas tant que cela du passé.
Aujourd'hui, tandis que l'Etat cherche à faire fonctionner sa nouvelle trouvaille pour réformer le secteur, les vieilles divisions refont surface. L'idée est de rassembler la production par bassins. Des grandes régions plutôt que des décisionnaires chacun dans son vignoble. Cela devrait permettre de dégager davantage de moyens pour la promotion et d'avoir plus de cohérence dans les stratégies de conquêtes commerciales, les politiques d'arrachage ou de restructuration... Pourquoi pas ? Mais du côté bassin aquitain, rien n'est fait. Bordeaux, qui craint déjà pour ses vins d'entrée de gamme, ne veut pas entendre parler d'une maison commune avec ceux de Bergerac. « Notre détermination est totale à défendre le périmètre de notre vignoble, ses dénominations géographiques, au bénéfice des seuls viticulteurs girondins, et à refuser tout ce qui pourrait induire le consommateur en erreur. Le nom de Bordeaux est l'exclusivité de ceux qui en produisent », déclarait le 15 juillet Alain Vironneau, président de l'interprofession bordelaise. Ce qui désole Patrick Monfort, président, lui, de Bergerac : « Bergerac a clairement indiqué qu'il ne revendiquait pas un produit de bassin Bordeaux pour ses productions faites sur son aire d'appellation et qu'il reconnaissait à Bordeaux une majorité dans les membres professionnels du conseil du bassin... » A suivre...
« Ce qui manque cruellement à la région, c'est le négoce ! » résume Gilles Gérault, vigneron au Château du Rooy. Et, pour cause : les seuls marchands qui achètent et vendent les vins du Bergeracois sont ceux de Bordeaux. D'où l'âpreté et l'actualité du débat en cours. Reste que ce qui fait le malheur des uns (les producteurs) peut faire le bonheur des autres (les amateurs de bons vins). Car l'appellation pécharmant peut en produire d'excellents à des prix forts raisonnables. D'autant que depuis quelques années déjà a sonné le réveil qualitatif. Notamment sous l'impulsion du producteur et oenologue Jean-Marc Dournel, pur produit de la science universitaire, bardé de diplômes et totalement convaincu qu'il faut cultiver autrement que ce qu'on apprend dans les écoles... Aujourd'hui, en partie sous son impulsion, l'ensemble du vignoble de Bergerac comprend environ 10 % de vignerons bio. Pour pécharmant, l'abandon des désherbants et le recours à la charrue ou l'enherbement sont, au-delà de la bataille environnementale, déterminants pour la qualité des rouges. On y fait de grands vins seulement quand les racines de la vigne dépassent les couches superficielles sablonneuses et plongent dans l'argile du sous-sol. Sinon, la vigne dépend totalement du climat de surface. « Quand il pleut, elles font du végétal et, dès qu'il fait sec, elles souffrent. Il faut obliger les racines à descendre, à aller chercher l'humidité constante et régulée dans cette argile » , commente Dournel.
Mais ce sont aussi des pratiques culturales qui demandent du temps, des moyens et donc une certaine dynamique commerciale : « C'est en train de changer, nombre de propriétés se sont vendues. On s'était un peu endormi sur nos lauriers. Il y a des gens qui essaient de faire évoluer..., dit encore Gilles Gérault, un des espoirs de l'appellation. On est à l'aube de ce qu'on peut faire ! »
Source : Jacques Dupont http://www.lepoint.fr