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Un viticulteur français réinvente les vins de Toro

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Lun 30 Nov 2009 19:00

En 2004, Anthony Terryn rachète des parcelles de vignes et crée à Toro sa propre bodega. Son vin est aujourd’hui classé parmi les meilleurs vins espagnols par la revue Sobremesa. Rencontre.

Le Courrier d’Espagne : Comment avez-vous décidé de vous lancer dans le vin en Espagne ?
Anthony Terryn : Je ne suis pas issu d’une famille de vignerons mais je me suis passionné au contact de gens eux-mêmes passionnés. Presque tous les ans, je faisais les vendanges et un peu de taille. Je suis tombé amoureux de la vigne au fil de mes expériences.

LCE: Quel est votre parcours ?
A.T.: Après une formation commerciale, je me suis spécialisé dans les spiritueux. Je suis parti étudier aux Etats-Unis et j’ai découvert un superbe vignoble dans l’Etat de Washington, vers Seattle. Pendant près d’un an j’y ai vécu une expérience formidable et j’ai même failli m’y installer. Mais je suis finalement rentré dans le sud-ouest où j’ai vécu une autre superbe expérience dans une petite cave coopérative où l’on faisait tout nous- mêmes. J’y ai beaucoup appris. Je suis ensuite parti dans le Rhône où j’ai eu un poste intéressant de commercial en import/export dans les spiritueux. Mais j’ai eu envie de retourner à mes amours. J’avais envie de faire du vin. Avant de me lancer, je suis parti à Macon en Bourgogne pour compléter ma formation car j’avais des lacunes techniques et je voulais avoir un bagage académique. Pour clore cette formation je devais faire un stage. J’ai choisi de le faire à Toro, à la Quinta de la Quietud. Le directeur technique y est français et il y fait de très jolis vins.

LCE: On trouve beaucoup de Français à Toro ?
A.T.: Il y en a quelques-uns oui. Belondrade et Lurton font du Rueda, Depardieu est présent avec Magrez et quelques techniciens qui travaillent dans les caves sont français.

LCE: Qu’est-ce qui vous a décidé à vous y installer ?
A.T. Durant mon stage dans la cave j’ai pu voir des raisins incroyables. Selon moi, c’est l’un des plus incroyables vignobles au monde. A l’époque des rois catholiques, on ne parlait pas des vins de la Rioja, ni de Ribera del Duero. Le vin de Toro est d’ailleurs parti dans les caves avec Colomb et ses hommes en arrivant lui ont dit que les vins n’étaient plus bons « que pour le corps. Le seul qui est encore bon pour l’âme est le Toro. »

LCE: Comment avez-vous créé votre exploitation ?
A.T.:J’ai acheté des parcelles assez petites qui vont de 2,7 à 20 hectares pour avoir une vigne relativement concentrée sur un petit terroir fabuleux où il n’y a pas eu de phylloxéra. Près de 80% de mes vignobles ont plus de 40/50 ans et j’ai quelques vignes de 80 ans avec un hectare même de vignes proches de 100 ans. J’ai acheté ce terrain à un viticulteur de 78 ans dont le grand-père travaillait déjà les mêmes vignes, c’est pour dire… Et puis, j’ai récupéré un ancien couvent assez important à l’époque et détruit par les troupes de Napoléon. Il restait quelques pierres qui ont servi à restaurer la bâtisse qui se trouve face à un collège dans le centre de Toro. Pendant un temps, c’était la seule cave du village. J’ai dû tout acheter pour pouvoir commencer au plus vite les vendanges, dont des cuves de béton recouvertes de résine époxy, tout le matériel…

LCE: Vous étiez seul ?
A.T.:Oui. Au départ j’ai commencé absolument tout seul avec juste quelques personnes pour les vendanges. A Toro, on me prenait pour un fou. A la mi-2006, j’ai pris une secrétaire et a la fin de la 3e année un adjudant de cave.

LCE: Car votre vin a vite fonctionné?
A.T.:Ce fut un gros succès dès le début. Comme commercial de formation, je savais que si le produit était super, je n’aurai aucun mal à le vendre. Au départ je me suis concentré surtout sur l’export vers la Belgique et l’Allemagne. La bouche-a-oreille était extra. J’ai renforcé l’export avec le Mexique, le Canada et les Etats-Unis. Et puis cette année, ça a été la consécration puisque la revue spécialisée Sobremesa m’a classé parmi les cinq meilleurs vins espagnols avec mon Titán del Bendito 2005. Et comme meilleur vin de la dénomination Toro devant le Thermanthia du groupe LVMH et juste devant la Quinta de la Quietud, avec un article dithyrambique qui louait en plus de la qualité, notre politique des prix raisonnables. La bouteille de Titan vaut 32€ contre 140€ pour le Thermanthia.

LCE: Pourquoi avoir choisi le nom de Dominio del Bendito ?
A.T.:Je voulais insister sur l’idée de domaine : j’ai les vignes, je m’occupe de la fabrication des vins, ce qui, jusque récemment, n’était pas le cas de beaucoup de caves en Espagne, qui se contentaient d’acheter le raisin et le vinifier. Moi je veux contrôler ma production de A à Z. D’autre part, je me sentais un peu béni par tout ce qui m’arrivait en Espagne. J’avais presque l’impression qu’un ange veillait sur moi. Tout était parfait… C’est pourquoi j’ai choisi de le nommer Dominio del Bendito.

LCE: Quelle est votre production ?
A.T. De 25 000 bouteilles produites en 2004, je suis passé aujourd’hui à 55 000. J’ai doublé la production en cinq ans. J’ai attendu de m’en sentir capable. C’est une croissance raisonnable. Sur une superficie totale de 30ha, cela témoigne d’un rendement encore très faible qui varie de 800kg à 2000kg/ha. Mon but est de rester autour de 60/70 000 bouteilles/an car je veux faire les choses bien.

LCE: Comment décririez-vous votre vin?
A.T.:Sur une même parcelle, je vais avoir deux coteaux, un de sable et un autre de galet. D’un cru j’arrive ainsi à sortir trois vins différents, relativement fidèles à ce que l’on considère comme les caractéristiques d’un bon vin de Toro. J’en fais deux pour la garde et un que l’on peut ouvrir jeune. Toute ma fabrication est naturelle. J’ajoute juste un peu de soufre et un petit peu de cuivre très rarement, quand c’est nécessaire. C’est tout. Je suis d’ailleurs en reconversion pour être requalifié bio.

LCE: Et le vin de Toro en général ?
A.T.:C’est un vin avec beaucoup de tanin et une belle couleur. Un vin très riche. A tort on pense qu’il ne se garde pas. Il y a quinze jours, j’ai goûté un 79 absolument fabuleux. C’est un vin tellement opulent et dense que les gens boivent très jeune. Mais, je suis en train d’ouvrir un 2004 en ce moment et c’est magnifique. Il faut savoir que Toro a connu un saut qualitatif à la fin des années 90, début des 2000. Pour moi, Toro c’est un petit bout de Bourgogne en Espagne. Malheureusement, l’Espagne ne s’en rend pas compte. Tout autour de Toro, il y a des arrachages pour planter de la vigne en palissé, des gravières partout, les travaux de l’AVE ont coupé les terroirs les plus anciens… Je suis préoccupé car l’Espagne manque encore de culture des vins. L’appellation de Toro est en déclin. On ne fait rien pour que la jeunesse reprenne le flambeau et les viticulteurs sont de plus en plus âgés. C’est eux et non pas les caves qui maintiennent l’appellation. C’est triste car Toro pourrait être un petit Saint-Emilion…

Propos recueillis par S.Morel
http://www.lecourrier.es/2009/11/un-vit ... s-de-toro/
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
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