Dans le sud du Palatinat, le village viticole de Schweigen-Rechtenbach, à deux jets de cailloux de Wissembourg, se flatte d’être la porte d’entrée de la Route allemande du vin. Pourtant, une part non négligeable des 1,5 million de bouteilles produites provient de raisins alsaciens.
Gunther Scheu, 73 ans, patriarche de la maison Scheu, n’est pas peu fier. C’est à l’emplacement actuel de sa maison que se dressait le restaurant à l’enseigne du Chasseur bavarois où, au cours de l’été 1935, les vignerons du village se sont réunis pour créer la Route allemande du vin. Il s’agissait alors d’une opération de promotion pour tenter de sortir le secteur vinicole du marasme engendré par la récolte pléthorique de l’année précédente.
Le restaurant, comme beaucoup d’autres maisons du village, a disparu dans les bombardements de la fin de la seconde guerre mondiale mais une plaque dans la Weinstub de la maison Scheu en rappelle le souvenir.
« Vin d’Allemagne », affichent les caisses de bois servant à transporter le vin de la maison Scheu. Vrai et faux. Vrai, parce que les vins de la famille sont produits en Allemagne, selon la réglementation du pays et portent l’appellation du Palatinat. Faux, puisque plus de la moitié du raisin vient d’Alsace.
Gunther Scheu et son fils, Klaus, 37 ans, aujourd’hui à la tête du domaine, possèdent 12 hectares de vignes dont 7,5 hectares dans le Bas-Rhin.
Une situation banale à Schweigen, où une vingtaine de vignerons sont propriétaires en France pour un total de 120 hectares. C’est la seule et plus importante implantation de propriétaires étrangers dans le vignoble alsacien.
Jusqu’en 1791, Schweigen était un faubourg de Wissembourg
« C’est le fait de l’histoire. Jusqu’en 1791, Schweigen était un faubourg de Wissembourg. Le village a été séparé par le Traité de 1815 qui a fixé la frontière entre la France et la Bavière sur la Lauter. Jusque-là , beaucoup d’habitants de Schweigen travaillant à Wissembourg y avaient acquis des terres et des vignes », raconte Gunther Scheu.
C’est également le cas de Werner Jürg, dont les neuf hectares se répartissent de part et d’autre de la frontière, même si son vin est officiellement 100 % du Palatinat.
Son frère, Peter, lui, a sauté le pas. Après avoir épousé une Alsacienne, il s’est installé dans le Bas-Rhin, à Seebach, et peut revendiquer l’appellation d’origine contrôlée Alsace puisque sa récolte est vinifiée sur le sol français. « L’obligation de mise en bouteille dans la région d’origine imposée par la loi française est une excellente chose », soutient Klaus Scheu, pour qui il n’est pas question de faire du vin d’Alsace en Allemagne.
En contrepartie, en 1971, le Parlement fédéral allemand a adopté une loi taillée pour les vignerons de Schweigen, autorisant la production de vin allemand à base de raisins étrangers. « Cela ne concerne que nous et une poignée de vignerons de la Moselle récoltant sur la rive luxembourgeoise de la Moselle. D’ailleurs cette loi est dénommée la loi Schweigen », assure Gunther Scheu.
Les relations avec la France sont aujourd’hui apaisées. Les vignerons payent leurs taxes foncières en France et les tracasseries administratives ont disparu. « Quand j’ai commencé, en 1964, il fallait des papiers pour les hommes, les bœufs et les chevaux pour venir travailler nos vignes en France. Dans les années 60, nous avons été expropriés pour permettre l’extension de la ville de Wissembourg. Désormais les contacts sont cordiaux », poursuit-il.
À tel point que Werner Jürg reconnaît sans malice une « tradition locale » : les saisonniers embauchés pour les vendanges sont payés au tarif allemand, 7 € de l’heure, contre 12 € pour le Smic agricole français. « À ce tarif, ce n’est pas possible. Nos vendangeurs travaillent sur nos parcelles des deux côtés. Difficile de faire la part de travail des deux côtés, mais nos saisonniers sont déclarés dans le Palatinat ».
Michel Arnould
http://www.lalsace.fr/fr/region/mulhous ... eigen.html