Le bon bilan du salon Vinexpo, baromètre mondial d'une profession, montre que le secteur est peut-être mieux armé que d'autres pour résister à la crise .
A l'heure où les plans sociaux se multiplient et que les nuages noirs s'amoncellent et le chômage grimpe, tirer un bilan positif d'un salon professionnel de niveau mondial - qui plus est se tenant dans notre région - a de quoi interpeller.
Au lendemain de Vinexpo, qui a réuni pendant cinq jours ce qui se fait de mieux dans le puissant business des vins et spiritueux, c'est même un certain optimisme qui se dégage. Les raisons en sont multiples.
Un puissant réseau de PME
Plus de 50 pays produisent du vin et ils étaient pratiquement tous à Vinexpo, y compris quelques derniers venus comme le Brésil ou la Croatie. Dans la plupart des cas, au niveau de la production comme du négoce, de petites et moyennes entreprises (PME) sont à l'oeuvre. À l'opposé par exemple des mondes chimique ou aéronautique, où des leaders XXL mènent la danse.
On a ainsi du mal à imaginer un salon de l'auto réussi si quelques poids lourds comme Peugeot-Citroën ou Toyota sont dans le rouge. À Vinexpo, deux leaders américains (Constellation et Gallo) étaient absents, ainsi que de puissants champenois, bourguignons (Boisset) ou espagnols sans effets réels, du moins en apparence. Ce qui était parfois perçu dans les rapports d'experts comme une fragilité - multiplication des PME et absence de gros groupes -, notamment en France, premier pays producteur, consommateur et exportateur de vin, s'avère être un bel amortisseur quand les turbulences sont là .
« Connaissance de nos marchés - tous différents avec des prix et des circuits distincts -, décisions prises au plus près du terrain et rapidité d'adaptation aux besoins des clients sont autant de forces. Au rayon des secteurs mondialisés, je ne vois guère que le textile qui soit plus atomisé que le nôtre », analysait un négociant bordelais, embrassant du regard l'immensité du hall 1 du Parc des expositions du Lac. Il faudrait en effet une année de travail (deux cent quarante jours, à raison de dix heures par jour) à un visiteur pour passer ne serait-ce qu'une heure avec chacun des 2 400 exposants présents la semaine dernière... Du vigneron de Jurançon à la grande bodega chilienne.
Un monde du vin donc, avec tant de particularismes qu'on se souvient de ce professionnel racontant comment à Atlanta le patron de Coca-Cola lui annonçait la revente rapide d'une exploitation viticole acquise en Californie. « Météo capricieuse, maladies, qualité différente suivant les années, circuits de vente compliqués... Comment voulez-vous de la stabilité dans ces affaires-là ? Je m'en suis séparé... » Même l'organisation australienne, archétype de la concentration, et parfois prise en exemple, avec une poignée d'entreprises réalisant l'essentiel des ventes de vin du pays, est sévèrement mise à mal. Il est vrai aussi avec des problèmes autres (sécheresse...). « Si la vigne ne marche plus là -bas, ils planteront des fraises. C'est différent chez nous, avec un attachement plus fort au secteur », ironise un producteur hexagonal.
De vraies politiques viticoles
Sans idéaliser cette organisation historique en petites unités, notamment en Europe, force est de constater qu'elle joue un rôle plutôt positif. Au niveau des ventes comme des emplois, cela ayant été d'ailleurs souligné par les élus lors de l'inauguration du salon. Le secteur du vin est le premier poste économique de l'Aquitaine, avec le tourisme ; et il totalise en Gironde un emploi sur six. En y intégrant le dense réseau de PME des métiers connexes (négociants, matériels, bouchons, étiquettes, bouteilles, informatique...). Au niveau de l'exportation, vins et spiritueux rapportent à la balance commerciale hexagonale presque autant que l'aéronautique, l'automobile ou les cosmétiques.
Tout cela n'empêche pas les difficultés. Arrachages et distillations font aussi partie de l'univers de certains producteurs quand les difficultés apparaissent. Des outils de régulation essentiellement européens, aux conséquences parfois brutales mais qui ont le mérite d'exister. Comme aussi d'autres subventions visant à planter de meilleurs cépages ou à financer des équipements techniques plus performants. Ou encore le fait de mutualiser des moyens de promotion, par exemple dans le cadre des interprofessions.
Améliorer la qualité des vins est au final l'objectif des politiques bruxelloise et française menées depuis des décennies. Ce qui permet une montée en gamme généralisée des bouteilles produites - dans les différents créneaux, de quelques euros à plusieurs dizaines - et donc une adaptation aux grandes évolutions des marchés mondiaux : la consommation est globalement à la hausse, et on boit moins mais mieux dans les pays « historiques » tels que la France ou l'Italie.
Le vin, produit agricole transformé, s'éloigne donc de plus en plus de son ancien statut de matière première alimentaire. Ce qui lui permet d'échapper à certaines crises comme celle, actuelle, du secteur laitier, ou celles, récurrentes, qui frappent les fruits et légumes.
Des filières par ailleurs moins organisées. Producteurs, négociants, metteurs en marché, voire importateurs à l'étranger et d'autres intermédiaires encore, arrivent à se partager dans le secteur viticole, tant bien que mal, la valeur ajoutée.
« Cela n'empêche pas des producteurs de crever en silence en vendant sous les prix de revient sur le marché du vrac », regrette un responsable du Sud-Gironde. Des vignerons souvent restés sur ce marché en perte de vitesse de la matière première, que ce soit en AOC du Bordelais, du Bergeracois ou du Lot-et-Garonne, pour ne prendre que des exemples régionaux. « Une restructuration logique du secteur », diront d'autres. Évidemment, quelques emplois par-ci par-là font moins de bruit qu'un plan social chez Dassault... et cela ne se voit pas à Vinexpo, où expose l'élite mondiale.
Le « plus » culturel du vin
Mais Vinexpo, comme la Semaine des primeurs en avril, apporte aussi, à travers les multiples fêtes qui s'y déroulent le soir, une autre dimension, au-delà de la sphère des affaires. « Bien sûr, le monde du vin est convivial et amène souvent partage et bon relationnel pour le business. Comme d'autres secteurs d'ailleurs. Mais là , ça vous donne une pêche terrible pour travailler, en donnant du sens à nos métiers. Nulle part dans le monde, sauf à Bordeaux, je ne vois ça à une telle échelle », confiait jeudi soir un propriétaire girondin par ailleurs oenologue consultant sur toute la planète.
C'était au Château d'Issan (Margaux), la sélecte Fête de la fleur, clôturant le salon, avec tout ce qui compte de producteurs, négociants, courtiers, sommeliers, acheteurs, importateurs... 1 500 privilégiés en noeud papillon et robes longues, et les flashs qui crépitent pour des souvenirs à rapporter aux quatre coins du monde.
Indiscutablement, ces fêtes - souvent plus modestes - et cette alchimie autour du « vin, produit culturel », amènent un plus, comme des racines rendant plus solide et stable tout un pan d'activité par avis de tempête. Tout cela participe aussi à la construction, jour après jour, de la notoriété de « Bordeaux capitale mondiale du vin ». La notoriété de ses vins (la qualité en gros volumes), de ses élites, de ses techniciens et de ses lieux. C'est aussi le résultat de siècles de travail et il arrive que le travail paye.
César Compadre
http://www.sudouest.com/accueil/actuali ... 28966.html