Consommation en baisse, trop-plein de stocks… Vignerons et négociants champenois se préparent à des années difficiles.
Gueule de bois chez les champenois. Après avoir reculé de près de 5% l'an passé, pour la première fois depuis dix ans, les ventes de champagne se sont effondrées de 27% sur les premiers mois de 2009. À l'exportation (plus de la moitié des ventes), la baisse est plus importante encore. Terminé, les années de grande prospérité et les excès d'optimisme. Vu leur succès partout dans le monde, les Champenois semblaient à l'abri de la crise. La limitation de leur aire d'appellation (33 000 hectares seulement) garantissait l'unicité de leur vin, prétendument menacé de pénurie.
«S'il est vrai que le champagne est une ressource limitée, il ne faut pas croire qu'il en manque aujourd'hui, estime Christophe Navarre, le patron du pôle vin et spiritueux de LVMH, le premier producteur de champagne, qui possède Moët & Chandon, Dom Pérignon, Veuve Cliquot, Ruinart, Krug et Mercier. Les Champenois devraient se poser un certain nombre de questions et prendre en compte que leurs concurrents ne sont pas uniquement les autres marques de champagne.»
L'effondrement des ventes reflète à la fois la désaffection des consommateurs et les soucis financiers des distributeurs. «Le champagne est le meilleur reflet du moral des ménages, estime Lionel Breton, patron de Mumm et Perrier-Jouët, les marques de champagne du groupe Pernod Ricard. Quand la situation se tend, ils en boivent moins.»
La consommation mondiale aurait baissé de 8 à 12%, selon les estimations. Pour les cuvées de prestige, la chute est encore plus brutale : entre 20 et 30% aux États-Unis et au Japon, les principaux marchés des champagnes de luxe, Dom Pérignon en tête. «À Wall Street, il y a moins d'événements à célébrer, reconnaît Christophe Navarre. Mais il y a des segments de marché dynamiques aux États-Unis, et les marchés émergents, notamment en Asie, vont nous permettre de rebondir.»
En attendant, cette baisse de consommation a un effet boule de neige sur toute la filière. En Angleterre et aux États-Unis, les deux principaux marchés du champagne après la France, les distributeurs se retrouvent avec des caisses sur les bras. «Il y en aurait pour 45 millions de bouteilles, estime Yves Dumont, qui dirige l'observatoire économique monté par le Comité interprofessionnel des vins de Champagne pour évaluer les impacts de la crise dans la région. Ce phénomène de déstockage sera terminé fin 2010.»
Sortie de crise dans trois ans
Autre souci : confrontés à la crise financière, de nombreux clients réduisent leurs stocks. «Aux États-Unis, les distributeurs avaient l'équivalent de six à huit mois de vente en stock, explique Paul-François Vranken, le patron de Vranken Pommery, le deuxième producteur de champagne. S'ils décident de travailler avec seulement deux ou trois mois d'avance, les exportations ralentissent.» Certains sont plus critiques sur la gestion de la filière champagne. «Depuis 2004, les niveaux de récolte ont surtout pris en compte les besoins des grandes marques qui anticipaient un fort développement, regrette Dominique Pierre, patron de Nicolas Feuillate. Du coup, le prix du raisin a augmenté.» Pis. Quelques vignerons ont gardé des bouteilles, puisqu'ils n'avaient pas besoin de vendre toute leur récolte. Et certains négociants ont constitué des stocks pour les revendre à des concurrents.
«Résultat : il y a 333 millions de bouteilles en stock en trop en Champagne», évalue Jocelyne Dravigny, présidente de la Fédération des coopératives. Avant les dernières vendanges, les stocks s'élevaient à 1,2 milliard de bouteilles. Alors que les prévisions de vente s'établissent à 270 millions de bouteilles pour 2009, cela représente l'équivalent de quatre ans et demi de stock. «Vu le vieillissement nécessaire pour le brut non millésimé, nous n'avons besoin qu'entre 3,2 et 3,5 ans» , assure Paul-François Vranken. «La tempête est là , nous adaptons la voilure» , assure Dominique Pierre. Nicolas Feuillate, la première coopérative de Champagne, a très nettement ralenti ses investissements, mis fin aux contrats d'intérim et ne reconduit pas les CDD.
«Il faudra trois ou quatre ans pour revenir au niveau des ventes de 2007, estime Lionel Breton. D'ici là , il ne faut pas troubler les repères des consommateurs par un bouleversement de notre marketing ou de notre politique de prix. Notre objectif est d'entretenir leur désir pour nos marques, même s'ils ne les consomment pas maintenant.» LVMH adopte la même stratégie. Chez Moët & Chandon, on rappelle que le Dom Pérignon reste sept ans en cave . Il peut y passer quelques mois de plus.
Ivan Letessier
http://www.lefigaro.fr/vins/2009/05/23/ ... pagne-.php