Une élégante bâtisse près de Libourne, en AOC Pomerol (750 hectares). Une propriété de 12 hectares de vigne et, sur la table de la salle de réception, deux bouteilles contenant les derniers-nés de la fratrie : les « bébés » 2008 (premier et second vin). Bienvenue au Château La Conseillante, l'une des propriétés les plus haut de gamme du Bordelais, appartenant à la famille Nicolas depuis 1871.
Pendant cette semaine des primeurs, point fort de la vie en Bordelais, où l'on fait découvrir aux acheteurs et journalistes le millésime 2008, les propriétaires ont préparé avec soin des échantillons, fruits de mois d'efforts. En quelques secondes, à travers des palais experts, le travail d'une équipe sera jugé via ces contenus.
« Les échantillons présentés en cette fin mars sont le résultat de multiples choix techniques ; de nombreux paramètres sont entrés en ligne de compte », explique Jean-Michel Laporte, directeur du château depuis 2004. « Tout commence à la vigne, où nous avons identifié 18 parcelles aux profils distincts (sols, cépages, âge des vignes, maturité...). Les raisins récoltés sont vinifiés dans 11 cuves, mais nous projetons la construction d'un nouveau chai avec 22 cuves. » Une échéance repoussée par la crise et dont l'un des objectifs sera de pouvoir vinifier séparément toutes les parcelles.
Les vins obtenus sont alors autant d'instruments d'un orchestre qu'il s'agira plus tard de coordonner pour obtenir la meilleure symphonie possible. À l'heure de la recherche qualitative maximale, impensable de vinifier tout le raisin en « vrac », dans de grandes cuves, avec un résultat ne pouvant être que moyen. Les sélections parcellaires constituent l'une des belles avancées techniques récentes.
Assemblage le 6 mars
« L'accouchement du 2008 a été compliqué, avec du mauvais temps au printemps et en été. On ne pouvait plus rentrer le tracteur dans les vignes. Heureusement, l'arrière-saison a permis d'obtenir un bon millésime, avec les vendanges les plus tardives de la décennie à La Conseillante, du 26 septembre au 7 octobre », rappelle celui qui s'est parfois réveillé en sursaut, doutant des consignes à propos de traitements contre les maladies.
Après les vinifications - 34 hectolitres par hectare en moyenne, soit de petits rendements - est apparu un double choix sur les assemblages entre cépages et la frontière entre premier et second vin. « Sur environ 20 % de la propriété, le choix entre premier et second vin se fait au moment de la dégustation des cuves. Pour le reste, nous savons si telle parcelle ira dans le vin top ou pas. Sur le 2008, 10 % des volumes vont au second vin. C'était 17 % sur le 2007, date de notre première mouture d'un second vin (Duo), car auparavant, ces volumes partaient sur le marché du vrac », précise Jean-Michel Laporte, qui fait les choix avec les propriétaires, et Gilles Pauquet, l'oenologue conseil.
Après des premiers tests de dégustation début février, l'assemblage final a été arrêté le 6 mars, soit trois semaines avant les dégustations des primeurs. « C'est un minimum afin que les vins prélevés dans les différentes cuves s'homogénéisent. » Une dizaine de barriques contenant ces assemblages (pour les deux vins) sont préparées.
Si le Château La Conseillante 2008 intègre 86 % de merlot et 14 % de cabernet franc, les propriétaires envisagent de planter davantage de ce dernier pour atteindre des proportions autour de 25 à 30 %.
Les enjeux financiers
Cette phase des assemblages de cuves pour donner vie au vin de l'année est donc la plus délicate du printemps suivant la récolte. « Un lot peut être intrinsèquement moins bon mais, assemblé, il peut s'avérer bonificateur pour l'ensemble, le rendant par exemple moins massif et plus long en bouche. Cela peut être aussi le cas des vins de presse, avec un intérêt qualitatif certain qui apporte du gras ou de la mâche », assure le technicien.
Autant de choix techniques mais aussi économiques, le premier vin étant vendu bien plus cher que le second et l'objectif loyal étant que les échantillons soient représentatifs d'un tout mis sur le marché ultérieurement. Sous peine de décevoir. Sachant, bien sûr, que pour le monde des grands vins, on ne goûte ces jours-ci en primeur qu'un « bébé » ayant 3 à 4 mois d'élevage en barrique alors qu'il doit y rester encore un an pour n'être livré au client que fin 2010. Un exercice d'équilibriste...
Restera enfin, pour compléter l'acte de naissance du petit dernier, à fixer un prix. A priori début juin, après le « retour » des dégustations et une analyse de la conjoncture. À La Conseillante, les prix (professionnels sur la place de négoce) sont passés de 76 euros (millésime 2000) à 65 (2005) puis 49 (2007), en passant par 30 (2002 et 2004) et 60 (2006). Ces dernières années, le jour de sortie en primeur, la production (environ 50 000 bouteilles) a été écoulée en quelques heures, à 80 % à l'exportation.
En France, le particulier devra débourser environ 90 euros TTC pour s'offrir un 2007 de cette pépite.
César Compadre
http://www.sudouest.com