par Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 26 FĂ©v 2009 15:15
Divorce consacré
Depuis quarante ans, « une forme de divorce a lieu entre la classe politique et le vin » analyse Didier Saverot. Un divorce qu’illustre à la perfection le président Nicolas Sarkozy, qui préfère se montrer en tenue de jogging plutôt qu’un verre de vin à la main, « fût-il rempli de Château Yquem » ! Aujourd’hui afficher son goût pour les plaisirs est jugé incompatible avec la politique. Cela l'est beaucoup moins avec le monde des affaires et du show business, remarque Denis Saverot : « tandis que l'élite riche et éduquée se délecte au contact du divin breuvage, associé au luxe et à la civilisation, la tradition du vin populaire s’étiole sous les coups de boutoir d’une morale qui a oublié ses fondements ». Il y a effectivement deux poids, deux mesures. Pour le grand public, le message est clair : le vin corrompt le peuple, il favorise les accidents de la route, la violence conjugale, les cancers. En revanche, pour le gratin de la société, le même produit est synonyme de culture et de civilisation. « Pour certaines classes, le vin devient pratiquement un objet culturel, voire une œuvre », note Claude Fischler, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) 1. Ce qui explique que « les Rolls Royce du vin se portent très bien et se vendent très cher, tels certains domaines ou châteaux de la valle du Rhône et le bordeaux », souligne Alain Marty, auteur de l’ouvrage Ils vont tuer le vin français 2.
Le président du Wine an Business Club note que pour ces vins, « la qualité ne rentre plus en ligne de compte puisqu’il s’agit de produits de luxe». «Déguster un Romanée-Conti, c’est frotter ses lèvres à l’Histoire. On est soudain à table avec Louis XIV, à Versailles. On devient l’ami de Louis-François de Bourbon, prince de Conti », écrit Bernard Pivot dans son Dictionnaire amoureux du vin. Encore faut-il y mettre le prix : soit 6000 euros pour un cru 2000 – ce qui reste 3000 euros de moins qu’un cru 1990 ! Invités par Bernard Arnault à l’inauguration de sa dernière acquisition, le prestigieux Château d’Yquem, un petit millier de convives triés sur le volet ont pu se délecter de cinq des plus belles marques du Médoc, dont le fameux millésime l982 de Château Mouton Rothschild. Avec au total une bonne douzaine de très grands vins servis dans leurs meilleurs millésimes - dont le fameux château Yquem -, le taux légal d'alcool ne pouvait qu'être largement dépassé par ces invités d'honneur. Pourtant ils ont pris le volant pour rentrer chez eux, escortés par des gendarmes… « presque en rang d’honneur pour ouvrir la route à cette cohorte de privilégiés grisés », comme le commente Denis Saverot.
« Le vin s'est embourgeoisé », note le Credoc. « Sa présence sur la table familiale n'est ni certaine, ni nécessaire : elle n'est indispensable qu'en présence d’hôtes ou dans des circonstances sortant de l’ordinaire. Aujourd’hui les ouvriers consomment peu de vin et ce sont les segments les plus aisés : artisans, commerçant et cadres, qui sont les plus gros consommateurs de ces vins ennoblis », analyse l'étude, De boisson populaire quotidienne, la Dive bouteille est devenue, au mieux, un produit d'agrément lors des repas entre amis ou d'événements festifs. La consommation de vins de table ordinaires -qui peuvent largement concurrencer en qualité gustative certains AOC- a dramatiquement chuté, passant de 44 millions d'hectolitres en 1979 à moins de 7 millions en 2005. « 38% des Français ne boivent pas de vin, notamment parmi les : 18-25 ans, estime Alain Marty.
1. Discours prononcé lors du colloque « Vin, santé et alimentation », organisé par le Sénat le 6 novembre 2002.
2. Alain Marty, Ils vont tuer le vin français, Editions Ramsay, 2004.
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )