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A grand concours de vins…

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Sam 27 DĂ©c 2008 16:20

Parler d'un seul vin, de sa vie, de ses arômes, de son histoire peut durer de longues heures. Que dire alors en quelques lignes du plaisir des multiples vins, connus et inconnus, de la planète? Mieux vaudrait se taire et savourer. Mais risquons ce défi: quand il est tiré, il faut le boire!

Pendant le réveillon de Noël, lors d'un échange familial agrémenté de quelques vieilles bouteilles poussiéreuses, le concours lancé par des passionnés d'Obiwi et le site MesVignes me mit l'eau à la bouche. Je la rinçai consciencieusement, plusieurs fois, afin de faire germer la pureté de la langue. Elle se devait d'être ciselée, épurée, tournée sept fois à tout le moins avant d'évoquer le plaisir du vin. Sinon, ce fut en vain qu'elle en aurait parlé, sans âme, sans saveur, sans volubilité aucune pour exprimer, presser ce jus divin que le vigneron et la nature réalisent de concert, en liquide des plus subtils.

"Douze pieds de vigne en récompense", disait le règlement. C'était nettement suffisant. Il me vint illico en mémoire ce pied unique de mascara dont j'avais jadis savouré les arômes, aux marches du palais. Le nectar qu'il savait distiller chaque automne avait une générosité franche et la chaleur intense d'une plage algérienne: en se prélassant à l'ombre de mes papilles, il me contait la lumière sucrée du soleil de l'oranais, le binage à la houe d'un paysan berbère, autour du cep, et dessinait, long en bouche, le sourire d'Abd-El-Kader savourant l'instant, sous sa tente nomade, un verre teinté d'arabesques à la main.

"Douze pieds de vigne", alignés sur une terrasse, surplombant le Rhône. Les Romains, inspirés par le dieu Bacchus, l'avaient jugée fertile. Et ce vin possédait leur caractère trempé et charpenté. Un vin droit, qu'il fallait même couper d'un peu d'eau – hérésie, au dire des amateurs éclairés - pour en faire ressortir l'architecture en colonnades et apprécier les tannins dominants, parés d'une armure ardente au combat. Après un ou deux verres, on s'assoupissait dans la plaine, jusqu'à oublier le cliquetis violent des boucliers, tant l'euphorie montait vite à l'assaut du cerveau, vaincu par les effluves corsés d'un vin guerrier.

"Douze pieds", promesse d'alexandrin. Que n'ai-je été poète, ou inspiré par l'absinthe! Je goûterais volontiers aussi le plaisir de faire glisser la robe ambrée d'un muscat d'Alexandrie le long de quelques vers cristallins, accompagnés de l'accord langoureux de l'oud. Pour lui, j'aurais l'audace de composer un mets spécifique dont les mélomanes apprécieraient la portée, un mets délicat et soyeux, voire mélodieux, à même d'épouser cet antique breuvage de Méditerranée, jadis servi dans des amphores de terre cuite. Et ces épousailles seraient comme une fête de plusieurs jours, avec ce moscatel du terroir servi dans des calices de lotus, le long du Nil, pour faire découvrir aux convives l'attaque moelleuse de ses arômes sensuels.

"Douze ": je voyais aussi les apôtres, et le Maître, à flanc de montagne, prêchant qu'Il est la vigne, et nous autres les sarments. Je les devinais à la Cène, dans la chambre haute de Jérusalem, buvant à la coupe, l'un après l'autre, partageant l'inexprimable. Et je revoyais tous ces visages de vignerons, amoureux de leur création, invitant dans le chai les passants, soutirant d'une barrique en bois de châtaignier des gouttes précieusement recueillies telle une rosée du matin, partageant avec eux, dans un silence de cathédrale, les yeux pétillants de lumière, la limpidité du discours sur le fruit de leur vigne, humant tous ces symboles qui les nourrissaient. Et comme à Cana, ils gardaient toujours le meilleur pour la fin, pour un vin qui semblait soudain provenir d'un cépage céleste, merveille de la part des anges, laissant l'auditeur sans parole, après avoir été enseigné à goûter ce qui est proche de l'indicible.

"… ": plus rien à se mettre sous la dent, plus de sujet d'inspiration, le rêve prenait fin. La palme de ce concours, de circonstance, pourrait bien n'être qu'illusion, comme la boisson des dieux en donne à certains, surpris par une vapeur entêtante. Vanité que de songer, pour prix de ma tirade, à une médaille vinicole de couleur d'or, et à bâtir des châteaux-margaux en Espagne. Adieu grain, grappe, sarment, cep, vigne, cruchon, cuvée…
Resteront cependant, bien réels, le bronze des raisins asséchés et mûris jusqu'à la Saint-Jean d'hiver sur les coteaux de Jurançon, l'amitié joyeuse autour d'un flacon d'élégant beaujolais, la taille d'hiver des grenaches sur les terrasses escarpées dominant Collioure, le plaisir évocateur du décryptage des étiquettes, ou la douce musique des bulles jouant de la flûte de champagne, accompagnant le poète: "Le soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles".

http://www.obiwi.fr

J'ai tellement aimé que j'ai voulu vous le faire partager ...

jpierre
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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