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La biodiversité en péril

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mar 28 Oct 2008 07:03

Des cépages disparaissent. Aux yeux du public, ce ne sont que des producteurs de piquette. Mais pour les scientifiques et les écologistes, pour une fois d'accord, c'est une tragédie.

C'est l'histoire d'un petit cépage oublié, le genouillet du Berry. Acide, aux sarments coudés comme une articulation (d'où son nom), mais excellent pour les vins de garde. C'est pour cette raison qu'autrefois le genouillet avait les honneurs des vignes berrichonnes ; mais il y a quinze ans, il n'en restait plus que quelques vieux pieds, près d'Issoudun, dans l'Indre. Et le genouillet aurait complètement disparu sans la ténacité de passionnés locaux, réunis dans une association, l'Union pour la préservation et la valorisation des ressources génétiques du Berry (URGB), qui lutte aujourd'hui pour avoir le droit de le replanter. « Lutter » n'est pas un vain mot : il aura fallu seize ans pour obtenir des autorités le droit de faire revivre le genouillet ! Car, pour son malheur, notre modeste berrichon est justement très berrichon, c'est-à-dire inconnu ailleurs, et donc inconnu du catalogue national des clones, qui recense les ceps autorisés à la plantation. Hors de cette liste, point de salut : la plantation est interdite. « Les autorités de tutelle ont considéré qu'il était invraisemblable, à l'époque, de laisser partir dans la nature un cépage non reconnu, ce que les spécialistes appelaient une "impureté"-voyez combien le terme est connoté. Mais en quoi cela aurait-il gêné le vignoble français qu'on nous laisse replanter dans quelques vignes paysannes ce genouillet ? », questionne Jacques Aubourg, économiste de formation et Berrichon de coeur, responsable de l'URGB.

Chardonnay-cabernet, la sainte alliance

Les chercheurs travaillant pour l'Inra le reconnaissent : l'Etat français a éradiqué les hybrides, ces créations du XIXe siècle visant à assurer des rendements phénoménaux avec des vignes issues de souches sauvages aux arômes bizarres, voire, pour certaines, toxiques comme le célèbre noah qui parfois survit encore dans les treilles des vignerons du dimanche. De cette longue bataille contre les hybrides il reste un fond de méfiance administrative envers tout ce qui n'est pas recensé au catalogue. Et puis, ajoutent les écologistes, sauver des cépages oubliés n'intéresse personne. Ni les autorités ni les poids lourds du vignoble français que sont les grandes régions viticoles et le négoce et qui vivent de la sainte famille cabernet-chardonnay. De fait, les pépiniéristes, les seuls à pouvoir sauver les cépages, ne sont pas incités à le faire, au contraire. Et pendant qu'on plante à tour de bras du chardonnay, le genouillet et d'autres cépages oubliés disparaissent.

Pourtant, aujourd'hui, il y a urgence à sauver ce qui peut encore l'être. Car les maladies du bois, cette vaste famille de microbes, bactéries et champignons, se répandent aujourd'hui dans tous les vignobles et tuent les ceps à petit feu. Or elles sont actuellement incurables. « Les vignes d'aujourd'hui ne durent plus un ou deux siècles, souligne ainsi Guy Kastler, ancien vigneron en Languedoc et délégué général du réseau Semences paysannes, proche de la mouvance anti-OGM. Elles montrent un dépérissement beaucoup plus rapide qu'autrefois. Les méthodes de viticulture y sont certes pour quelque chose, la machine à vendanger, le matraquage chimique des sols aussi. Mais la non-durabilité des plants vendus aujourd'hui est elle aussi incontestable. »

Là encore, scientifiques et écologistes s'accordent. « On a effectivement perdu en diversité, donc on a perdu des individus plus aptes que d'autres à résister à certaines maladies », confirme Jean-Philippe Roby, enseignant-chercheur à l'Enita de Bordeaux, une école d'ingénieurs-agronomes reconnue. Les maladies du bois, conjuguées au changement climatique, imposent donc de piocher sans cesse dans le matériel génétique disponible pour croiser et mettre au point de nouvelles variétés. Mais ce stock de gènes s'appauvrit quand les vignes s'uniformisent. Alors, les chercheurs, les premiers sensibilisés à l'ampleur des dégâts, ont créé des conservatoires de vignes.

Les conservatoires, mémoire du vignoble

La France peut s'enorgueillir de posséder le plus ancien et le plus vaste de tous : le Domaine de Vassal, 25 hectares plantés sur le cordon de dunes à Marseillan, près de Montpellier, car le sable est l'ennemi des vecteurs des maladies de la vigne, à commencer par le phylloxéra. Depuis maintenant un siècle, des générations de chercheurs ont planté quelque 7 300 représentants de toutes les variétés possibles, comme certaines curiosités rapportées d'Iran ou d'Afghanistan ! Sur cet effectif, seulement 305 sont des cépages inscrits au catalogue, les autres sont des porte-greffes, des hybrides, des vignes sauvages ou des variétés non inscrites.

Alors, sauvée, la biodiversité ? Le Domaine de Vassal est situé au bord de la mer et le bail arrivera à son terme fin 2009... Aux dernières nouvelles, un nouveau bail de trente ans est en discussion avec le propriétaire du terrain, le producteur de vins Listel. Le pire sera évité, promettent les négociateurs, à savoir le déménagement des vignes, une entreprise aussi aisée que de promener des pommiers d'un verger à un autre.

Le Domaine de Vassal a donc gagné trente ans de répit, mais les menaces sur la biodiversité de nos vignes demeurent. Aujourd'hui, quand on va chez le pépiniériste, on n'a en effet le choix, au mieux, qu'entre dix ou vingt clones d'un même cépage. Mais qui dit clone dit pied de vigne parfaitement semblable à son voisin. Et ce sur des milliers d'hectares. « La sélection clonale a vu sa popularité assurée par son aspect sanitaire, puisque les plants qui en sont issus sont garantis indemnes de tout virus grave », explique Jean-Philippe Roby, qui regrette qu'on ait ainsi remisé au folklore la sélection massale. Celle-ci s'opérait à l'oeil, celui du spécialiste ou du vigneron aguerri, qui repérait les pieds de vigne intéressants, les bouturait, les greffait et perpétuait ainsi une nébuleuse de pieds différents et complémentaires. Mais, aujourd'hui, il est interdit pour un pépiniériste de vous vendre un plant issu de massale, sauf si celui-ci vient de vos propres vignes et que vous le lui avez demandé. D'où une uniformisation génétique de nos vignobles. « Le marché s'est trop focalisé sur certains cépages et sur certains clones », reconnaît Jean-Michel Boursiquot, enseignant-chercheur et responsable du Domaine de Vassal, qui tempère : « Depuis une dizaine d'années, les pouvoirs publics essaient de faire passer le message, celui d'une gamme suffisante de variétés, dans chaque cépage. » Mais l'exemple du genouillet prouve que, sur le terrain, les beaux discours ont du mal à se concrétiser.

Restent les conservatoires, mais ne sont-ils pas une pieuse excuse ? « Si c'est pour faire un musée de momies ou de fossiles, ça ne va pas loin. La biodiversité ne se conserve pas en bocaux. Elle ne se conserve que si elle se renouvelle, que si elle évolue », commente Guy Kastler. Alors, écolos comme scientifiques réclament le droit à faire à nouveau de la sélection massale. Comme le déclare solennellement M. Roby : « Je demande à chaque appellation de protéger la biodiversité en s'imposant de consacrer 5 % de sa surface aux sélections massales, pour que ce soient des vignes conservatoires, mais tenues dans les mêmes conditions de production que les autres, afin que cela ne pèse pas financièrement sur les viticulteurs. » Jusqu'ici, il avoue ne pas avoir été entendu...

Or si la biodiversité s'appauvrit, c'est une tragédie, et pas seulement parce qu'on perd des gènes précieux : on perd aussi des goûts d'autrefois, ce qui navre Jacques Aubourg, le Berrichon. « L'appauvrissement de la biodiversité est aussi un appauvrissement humain. On pense toujours à l'environnement, mais c'est nous-mêmes qui nous appauvrissons. Nous ne perdons pas que des gènes : nous perdons aussi notre aptitude à goûter le monde. »

Jacques Dupont http://www.lepoint.fr
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Re: La biodiversité en péril

Messagepar Didier » Mar 28 Oct 2008 10:25

Toujours plus de nivellement par le bas ; le goût qui se standardise, les références gustatives qui s'appauvrissent, la "banque de données" gustative qui perd de sa diversité... :notgood:
Et pourtant lorsqu'on sort des sentiers battus on peut avoir de belles surprises ; je pense par exemple à ce superbe champagne élaboré par Michel DRAPPIER et qui est constitué en grande partie de cépages champenois oubliés. Lorsque je l'avais goutté au salon de la RVF j'avais été à la fois dérouté et charmé par une palette aromatique originale. Au final cela constitue indéniablement un superbe vin effervescent dont son géniteur peut être fier (dans la démarche entreprise qui tend à valoriser des cépages oubliés et quant au résultat gustatif final) :cdc:
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Re: La biodiversité en péril

Messagepar Torschutz » Mar 28 Oct 2008 12:44

Le législateur et ses bras articulés que sont les commissions d'agrément fantoches ont une lourde responsabilité dans ce domaine. Demandez à Marcel Richaud, à Mark Angeli, au regretté Didier Dagueneau (pour ne citer qu'eux) ce qu'il en pensent !
Au nom de quel principe, et pour quelle(s) raison(s) n'est-il pas permis de cultiver ce que l'on veut oĂą l'on veut ?
Le législateur préfèrera sans doute légaliser le transgénique sous la pression des industriels.
:cry:
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