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Le vin sort du bois

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mar 28 Oct 2008 06:57

L’usage de fûts de bois neuf pour élever les grands crus, généralisé à tous les vins il y a une trentaine d’années, a généré un goût mondialisé qui a fini par lasser. L’occasion pour les terroirs de saisir leur revanche.

Ce n’est pas tout à fait nouveau, mais la tendance se confirme et s’affirme : le goût boisé est en recul. Un peu partout au cours de notre périple dans les appellations, du Portugal au Val de Loire, nous avons entendu les mêmes propos : « Même les Américains ne veulent plus du bois neuf. Les sommeliers recherchent de la pureté, du fruit, pas du bois. Ils nous attendent pour autre chose. Ce sont les sommeliers et les cavistes qui ont changé. Les habitudes aussi. Avant, ils buvaient les vins à l’apéro, maintenant en mangeant », dit Daniel Cadot, du domaine Lamy-Pillot, à Chassagne-Montrachet, en Bourgogne.

« Les consommateurs américains, qui étaient les vrais passionnés du bois, n’en veulent plus, confirme Luis Lourenço, de la région du Dão (Portugal). Je le vois sur leurs chardonnays, il reste du bois mais beaucoup moins. Je pense que les consommateurs aiment les vins plus jeunes. Or le bois cache le fruit. Même dans les vins de tous les jours, c’est le fruit qui compte. J’ai des difficultés à faire connaître la diversité de mes cépages jaen, alfrocheiro, touriga... Si en plus je mets trop de bois, les gens vont voir la différence entre chêne américain et chêne français et non pas entre jaen et touriga. »

Est-ce réellement le goût des consommateurs qui change, s’affine, ou bien les producteurs qui pensent être allés trop loin dans l’usage du fût neuf pour élever le vin ?

Pour faire le point sur la question, nous avons demandé son avis à Denis Dubourdieu, producteur de vin dans les graves et premières côtes (Clos Floridène, Château Reynon) mais aussi professeur à la faculté d’oenologie de Bordeaux-II depuis 1987 et oenologue consultant auprès de propriétés prestigieuses à Bordeaux et ailleurs...

« Les grands vins sont élevés dans le bois neuf, j’élève du vin dans le bois neuf, donc ce vin est un grand vin ou du moins peut-il passer pour tel. » Ce sophisme, aussi simple qu’efficace, a certainement motivé, sous les encouragements de la critique et pour le plus grand bonheur de la tonnellerie française, l’utilisation croissante de barriques neuves dans le monde entier, pendant les trente dernières années du XXe siècle.

Aujourd’hui, nombre d’amateurs et quelques critiques (ou l’inverse) stigmatisent l’excès de bois dans les vins ; par voie de conséquence, certains producteurs, se prenant à douter des bienfaits systématiques du bois neuf, en modèrent l’emploi dans leurs cuvées.

Cependant, une hirondelle ne fait pas le printemps. Dans le même temps, les AOC françaises, sous la pression de leur base, autorisent l’emploi « ad libitum » des copeaux, staves [planches de chêne chauffées de 1 mètre sur 8 centimètres, qui sont placées dans les cuves : 3 staves par hectolitre, NDLR], douelles, granulats et autres agents de boisage. De sorte que tous les vins, même les plus modestes, puissent, à l’instar de leurs concurrents étrangers, acquérir le goût boisé des grands vins sans recourir aux dispendieuses barriques neuves. Associé à l’édulcoration, ce boisage industriel formate le fastwine mondialisé, toujours plus uniforme et toujours moins cher.

Pour comprendre et expliquer ces évolutions, il faut rappeler d’abord l’origine et le rôle du bois neuf dans l’élaboration des grands vins. La suprématie des fûts de chêne sur tout autre récipient vinaire date certainement de la fin de l’Empire romain. Ainsi, les robustes et maniables tonneaux gaulois remplacèrent-ils les fragiles dolia et amphores gréco-romaines pour l’élaboration et le transport des vins. Cependant, l’utilisation rationnelle des fûts pour élever des vins de garde est relativement récente. Datant du XVIIIe siècle, elle n’a été possible que par la découverte empirique du rôle bénéfique de l’anhydride sulfureux. Obtenu par la combustion du soufre (« allumette hollandaise »), celui-ci assure l’hygiène des fûts ; associé aux ouillages réguliers, il prévient la piqûre acétique et protège le vin des méfaits d’une oxydation exagérée.

L’utilisation systématique du bois neuf dans la production des grands crus fut initialement imposée par l’expédition lointaine des vins en fûts. Contenants de transport « non consignés », les fûts devaient être renouvelés chaque année. Logistiquement obligatoire, le fût neuf s’est aussi avéré oenologiquement préférable aux fûts usagés, cause fréquente de faux goûts et déviations diverses. Ainsi, même lorsque, plus tard, les grands crus furent expédiés en bouteilles, on resta attaché à l’élevage en bois neuf, du moins aux époques où leurs prix de vente l’autorisaient.

L’interprétation scientifique du rôle du bois neuf dans l’élaboration des vins date du début des années 90. L’élevage d’un vin en barriques neuves de chêne lui confère des arômes caractéristiques : vanillé, noix de coco, fumé, torréfié. Les composés-cédés par le bois-responsables de ce goût boisé ont été identifiés : vanilline, méthyloctalactone, eugénol, furfuryl mercaptan en sont respectivement les molécules clés. On sait comment ces arômes sont influencés par l’origine des merrains et les procédés de la tonnellerie, notamment la chauffe opérée lors du cintrage des douelles. Matériau perméable aux gaz, le bois de chêne permet une certaine pénétration d’oxygène dans le vin. En résulte une lente oxydation de certains constituants du vin, notamment les composés phénoliques et les arômes. Ces phénomènes se déroulent en grande partie dans le bois lui-même, interface entre le vin qui l’imprègne et l’atmosphère environnante.

Les vins rouges tanniques, colorés et fruités, comme les grands bordeaux, supportent et exigent l’emploi de bois neuf. L’apport odorant du bois ajoute à leur complexité aromatique sans la masquer ; l’oxydation ménagée de leurs tanins atténue leur astringence juvénile et participe à la stabilisation de leur couleur. Après quelques années de vieillissement en bouteille, la contribution olfactive du bois se fait totalement oublier. A tous égards, les grands cabernets supportent mieux que les merlots les proportions élevées de bois neuf. L’emploi de bois neuf doit toujours être plus modéré dans les vins blancs, beaucoup plus sensibles à l’oxydation que les vins rouges tanniques.

Ces rappels faits, on peut se demander pourquoi l’utilisation des barriques neuves, jadis réservée aux grands vins rouges tanniques et à quelques très grands blancs, s’est à ce point généralisée, il y a une trentaine d’années, à tous les vins. La réponse est simple : pour ressembler aux grands. Ce mouvement est venu des Etats-Unis dans les années 70. En 1976, année de la médiatique confrontation à l’aveugle des grands crus français et de vins californiens, ces derniers étaient tous très boisés. La critique a aimé, le public aussi. C’était parti pour trente ans de mode du bois neuf. Pour ne pas risquer de se faire mal juger dans une dégustation à l’aveugle, pour marquer son ambition et son souci de qualité, pour plaire aux amateurs de l’époque qui en redemandaient ! Toutes les régions du monde ont peu ou prou succombé à la tentation, si ce n’est à la dictature, du bois neuf. Certains producteurs utilisant 200 % de barriques neuves ont même connu une étonnante célébrité [200 % : en utilisant 2 fois des barriques neuves pour un seul vin, NDLR].

Alors pourquoi cet engouement faiblirait-il aujourd’hui ? Pourquoi le bois passe-t-il de mode et auprès de qui ? Parce que tout ce qui est trop évident finit par lasser. Et de l’ennui à l’aversion, inconsciente d’abord, obsessionnelle ensuite, le glissement peut être très rapide ! Dans le domaine des sensations et peut-être même des sentiments, la complexité est le seul antidote connu de l’ennui et de ce qui s’ensuit ! Or rien de plus évident que le bois, pour plaire mais aussi pour lasser ! De plus, le bois neuf s’est à ce point démocratisé, passant de l’élite des grands vins aux cuves de génériques, qu’il évoque beaucoup plus aujourd’hui certains vins de masse, dans lequel il domine, que les grands vins, où il passe finalement inaperçu. On assiste à un véritable renversement de représentation : jadis apanage des grands, le bois est devenu une caractéristique gustative des modestes.

Quels sont les premiers concernés par ce reflux du bois ? Ceux qui, producteurs, amateurs ou critiques, recherchent dans le vin le goût inimitable de son origine. Evidemment, les vins blancs et rosés, sensibles à l’oxydation, ont tout à perdre d’un excès de bois. Egalement les vins rouges fruités destinés à être bus jeunes. Mais aussi nombre de grands vins dont le caractère peut être banalisé, au moins dans leur jeunesse, par un caractère boisé trop prononcé.

Au fond, tout cela ne pourrait-il pas se résumer par la sentence mémorable et sans appel d’un de mes amis bourguignons, Jean-Marie Guffens : « Il n’y a pas de vins surboisés, il n’y a que des vins "sous-vinés" ! » ?

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Re: Le vin sort du bois

Messagepar Laurent Saura » Mar 28 Oct 2008 09:12

Il est bon ce Dupont!

Je crois qu'Emile Peynaud disait que le vin devait avoir le gout du fruit,parfois plus que le raisin lui-meme!

Ici,Jacques Dupont parle de revanche des terroirs.

Je crois qu'on peut méler les deux.Un grand terroir,de grands raisins et le bois ne dominera pas si le vigneron fait bien attention.
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Re: Le vin sort du bois

Messagepar Didier » Mar 28 Oct 2008 10:14

Belle analyse ; article très intéressant.
Quand il parle des grands vins boisés qui ont fini par ressembler à des vins plus modestes lorsqu'ils sont dans leur jeunesse, je ne peux m'empêcher de penser aux grands Bordeaux. Ces derniers ne sont (pour moi!) vraiment intéressants que lorsqu'ils ont fondu leur bois et ont et été marqués par le poids des ans afin que se révèle leur grace et la marque de leur terroir. Bus jeunes, j'ai toujours eu l'impression de consommer des vins au rapport qualité / prix désastreux, alors qu'attendus et aboutis ils ravissent mes sens.
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