Cérémonie marquante hier à la Winery d'Arsac pour l'achat d'un vignoble par un conglomérat chinois fier de prendre pied dans le plus prestigieux vignoble de la planète
Ambiance des grands jours hier à la Winery d'Arsac dans le Médoc. Une délégation de Cofco, amenée par son vice-président Jingtao Chi, venait signer officiellement l'acte d'achat du château de Viaud (21 hectares en AOC Lalande-de-Pomerol). Une exploitation cédée par Philippe Raoux après trente mois de négociations. L'homme, 58 ans, est également propriétaire de la Winery, d'où le lieu de la signature, et du château d'Arsac (AOC Margaux).
L'information de la vente - pour 10 millions d'euros - était connue (« Sud Ouest » du 29 janvier) mais ce conglomérat d'État employant 110 000 personnes (agroalimentaire, finance, immobilier…) et faisant partie des 500 plus grandes entreprises mondiales, voulait une cérémonie marquant les esprits.
À voir l'ardeur mise à la tâche, le décorum soigné et la vingtaine de journalistes venus de l'empire du Milieu pour immortaliser en grande pompe l'événement, le pari est réussi et le symbole total. Des idéogrammes au pied des ceps de vigne, ça compte. Mais l'essentiel est peut-être dans la stratégie dévoilée par les cadres de Cofco.
En effet, ce n'est pas la première propriété acquise en Bordelais par des capitaux chinois ou hongkongais : depuis 2008, c'est même la sixième à notre connaissance et d'autres sont imminentes.
Mais pour la première fois, un acquéreur issu de la deuxième puissance économique mondiale, qui caracole à 10 % de croissance par an, est venu « montrer ses muscles » dans la capitale mondiale du vin.
Déjà présent au Chili
« Ce jour est historique pour toute la viticulture chinoise. Cofco développe une stratégie globale dans le monde du vin, de la production à la distribution. Nous sommes déjà , avec notre marque Great Wall, leader du marché en Chine. Il s'agit maintenant de prendre pied dans des vignobles étrangers. Nous sommes la seule entreprise du pays à miser sur cette stratégie » a précisé Jingtao Chi, manifestement ravi d'être à Bordeaux, comme un financier qui accrocherait enfin sa plaque devant un bureau tout neuf à Wall Street.
Être là où ça compte sur la planète viticole et le faire savoir dans un pays où la consommation de vin - une étrangeté il y a quelques années à peine - devient significative. D'après Cofco, il se boit en Chine 8,3 millions d'hectolitres de vin par an. À titre de comparaison, c'est un gros quart du marché français, le premier du monde.
Et Cofco, décidément confiant, ne s'arrête pas là . Alors que Philippe Raoux procède à la cérémonie obligée des échanges de cadeaux, nous apprenons que ce poids lourd basé à Pékin a acheté en septembre, pour 18 millions de dollars, une bodega de 350 ha de vigne dans la vallée de Colchagua, au Chili (Vina Bisquertt)
« Il y a l'ancien monde viticole mais aussi le nouveau… Nous voulons offrir tous les types de vins à nos clients restaurateurs, cavistes, supermarchés… », précise Fei Wu, responsable de la division vin et spiritueux de l'entreprise. Et déjà des jalons sont posés pour d'éventuelles emplettes aux États-Unis, en Australie ou en Afrique du Sud.
La marque Great Wall
C'est Great Wall (Grande Muraille), apparue il y a trente ans, qui est au cœur de la stratégie viticole de Cofco. Cette marque ombrelle, la plus connue en Chine, pèserait 1,4 milliard d'euros. Propriétaire de 10 000 ha de vigne dans son pays (5 sites de production), Cofco annonce y vendre 130 millions de bouteilles de Great Wall (différents cépages et provenances).
Un chiffre conséquent quand on sait qu'une des marques les plus volumineuses de la viticulture hexagonale (JP Chenet, produit par Grands Chais de France) est autour de 90 millions de cols. « Si une partie de la production du château de Viaud sera écoulée chez nous sous ce nom, une autre alimentera notre marque phare », précise Fei Wu, qui s'occupe aussi d'importer des vins autres pour le compte de son entreprise. « Pour un total de 8 millions d'euros annuels », précise-t-il, heureux d'avoir visité la veille les châteaux Margaux, Latour et Lafite-Rothschild.
Des vins importés par Cofco, venant à 50 % de France et parmi lesquels demain le château d'Arsac de Philippe Raoux. Car au-delà de l'achat du château de Viaud, c'est un accord plus global qui a été signé entre les parties. D'ailleurs, le fils de Philippe Raoux s'est envolé pour un an chez Cofco, à Pékin.
César Compadre
http://www.sudouest.fr/2011/02/17/la-ch ... 78-700.php