Une température idéale et une hygrométrie élevée. Les carrières de pierre de Saint-Emilion, sans doute exploitées à l'origine par les Romains puis à plein régime au XVIII e siècle avant de servir de champignonnières au début du XX e siècle, font désormais vieillir une partie des productions vinicoles mondialement réputées.
Carrières, champignonnières puis aujourd'hui caves et lieux touristiques. Bâti sur une colline de calcaire, Saint-Emilion repose en réalité sur un véritable gruyère de 70 hectares de souterrains et de galeries. L'histoire ou la légende commencent au VIIIe siècle lorsqu'un moine breton, Emilion, se retire en ermite à un endroit proche de la rivière Dordogne alors appelé «Combes». Il y creuse un abri dans le rocher et se consacre à la contemplation. Sa renommée de saint va s'étendre et il donnera son nom à la ville. Ses habitants, partant sans doute d'une cavité naturelle, creuseront la roche pendant des siècles et lui consacreront la plus grande église monolithe d'Europe, visitée par 80.000 personnes chaque année.
Vieillissement plus lent
Le fait de creuser la roche a probablement pris son essor bien avant, sans doute à l'époque romaine. Mais l'exploitation des carrières a toutefois vraiment démarré au Moyen Age, avant de fonctionner à plein régime au XVIIIe siècle pour fournir par exemple les blocs de calcaire ayant servi à bâtir la caserne de Libourne ou le Grand Théâtre de Bordeaux. C'est alors une industrie qui perdure jusqu'au début du XXe siècle. Puis, jusque dans les années 1950, la centaine de kilomètres de galeries qu'on estime parcourir le sous-sol de la cité et ses alentours immédiats ont servi de champignonnières. En effet à 20 mètres sous terre, la température varie peu, entre 11 degrés l'hiver au minimum et 17 l'été au maximum et l'hygrométrie y est élevée. Après les champignons le vin. Aujourd'hui, une quinzaine de châteaux, les meilleurs crus de Saint-Emilion situés tout autour de la cité, les utilisent désormais comme cave. Le vin vieillit ainsi sous terre pendant quelques mois en barrique avant d'être mis en bouteille.
L'intérêt est triple. La température stable est idéale pour la conservation du vin et évite le recours à un coûteux système de climatisation. En outre, l'humidité élevée évite l'évaporation qui se produit à travers le bois de la barrique. « Ce phénomène qu'on appelle "la part des anges" diminue notablement sous terre. C'est autant de perte de vin en moins. En revanche, le vieillissement est plus lent et nous le laissons en barrique un peu plus longtemps », note Luc Pasqueron, le directeur technique de Château Villemaurine. D'autres propriétés utilisent ces carrières pour y stocker aussi les bouteilles non étiquetées, l'humidité étant en effet fatale au papier qui moisit. Les carrières présentent aussi l'avantage d'une sécurité plus facile à assurer pour des vins qui souvent coûtent très cher.
De coûteux investissements
Les carrières hébergent même une production atypique. Un vin effervescent fabriqué selon la méthode champenoise, le crémant de Bordeaux. « Ces carrières, c'est notre outil de production. Les conditions sont idéales pour la fermentation et le bon vieillissement des bouteilles », se réjouit Jean-Paul Cales, propriétaire depuis trois ans des Cordeliers, une entreprise qui produit depuis 1892 ce vin blanc effervescent. La société, qui n'a pas de vignoble, loue 3 kilomètres de galeries à la mairie de Saint-Emilion qui lui servent également à accueillir des réceptions et les visites des touristes.
A Château Villemaurine, où sous les 7 hectares de vignobles courent de multiples galeries, on a été beaucoup plus loin. La propriété a fait de la visite de ses souterrains un argument commercial. Propriétaire depuis 2007, le négociant belge Justin Onclin vient d'y investir 200.000 euros pour aménager un circuit touristique qui évoque l'histoire de la propriété, mais également celle des carrières et de la ville de Saint-Emilion. « Nous visons 10.000 visiteurs par an », espère Luc Pasqueron. Il a fallu ajouter 600.000 euros pour stabiliser le terrain et prévenir des éboulements qui surviennent régulièrement dans d'autres propriétés.
Franck Niedercorn
http://www.lesechos.fr/info/france/0207 ... rieres.htm