De la pharmacie à la gastronomie, le vin aigre a traversé les époques et les frontières
Tous les historiens de la gastronomie s'entendent pour dire que l'origine du vin aigre, ou vinaigre, est liée aux origines du vin. Pourtant, c'est Christiaan Hendrik Persoon qui attribua l'intervention d'Acetobacter suboxydans au phénomène d'oxydation de l'alcool et qui résulte de l'acétification. Mais en fait, c'est Pasteur, en 1865, qui donna le nom à la bactérie acétobacer, qui par la suite portera le nom de mycoderma acéti, Pasteur croyant à l'époque qu'il s'agissait d'un champignon.
Le vinaigre, un médicaliment
Si on trouve dans des écrits datant de 5000 ans des traces de vin aigre en Mésopotamie et en Égypte comme breuvage traditionnel agrémenté de fruits, d'herbes ou encore de fleurs, on découvre aussi très vite les propriétés thérapeutiques reliées au vinaigre. On va s'en servir lors des grandes épidémies de peste ou encore pour désinfecter, à défaut d'alcool, les blessures de guerre. Par la suite, on reconnaît au vinaigre d'énormes propriétés aseptiques, bonnes pour la santé, qui demeurent encore bien présentes à ce jour, notamment en ce qui concerne le vinaigre de cidre.
Le vinaigre n'a pourtant pas toujours eu la cote qu'il a aujourd'hui, grâce en partie à la gastronomie qui lui trouve beaucoup de vertus. Les vignerons craignent toujours qu'un fût aigre en passe de devenir vinaigre ne contamine les autres fûts sains dans une cave.
Faire son vinaigre est une opération relativement facile. À cet effet, on trouve des vinaigriers constitués de bois, de grès ou de céramique qui peuvent permettre le développement de la «mère à vinaigre». Il suffit d'alimenter en alcool (vin) la mère, qui va le transformer en acide acétique. En passant, les gens se trompent souvent en pensant que le pourcentage indiqué sur les bouteilles de vinaigre correspond au pourcentage d'alcool recueilli. En fait, il s'agit du pourcentage d'acide acétique, qui peut varier de 2 % à 8 % en acidité selon le vinaigre utilisé.
La profession de vinaigrier moutardier a été officiellement fondée en 1394, mais elle ne fut reconnue par le roi de France qu'en 1594. Deux méthodes se distinguent: la méthode traditionnelle, dite d'Orléans, faite à partir de vin (Orléans a longtemps été la capitale mondiale du vinaigre, qui comptait au VIIIe siècle pas moins de 300 producteurs), et la méthode dite allemande, faite à partir d'alcool, auquel on ajoute des copeaux de hêtre et de l'acide acétique. L'ensemencement étant assuré par ce que l'on nomme communément la mouche à vinaigre (drosophile), le soutirage du vinaigre d'alcool, une fois prêt, s'effectue par le bas.
S'il subsiste encore quelques vinaigriers à Orléans, le vinaigre est devenu international et tous les jours on redécouvre un vinaigre oublié.
La grande mode du vinaigre balsamique a quelque peu changé les règles, au point où les vinaigriers de Modène, en Italie, ont dû se doter d'une DOP (dénomination d'origine protégée) et d'une IGP (indication géographique protégée) pour contrer les copieurs qui ajoutent le plus souvent du sucre ou du caramel à l'intérieur de leur produit, qui n'a rien de comparable avec le vrai vinaigre traditionnel de Modène.
Parmi les grands vinaigres du monde, il y a le fameux vinaigre de Yéma, vieilli dans des fûts de whisky et considéré comme le meilleur vinaigre de xérès qui soit. On trouve aussi, outre les vinaigres de vin rouge ou blanc, les vinaigres de cidre, de riz, de malt, d'hydromel, ou encore à l'érable, comme celui absolument merveilleux que fabrique dans les Cantons-de-l'Est la Cabane du Pic Bois.
Au-delà des modes, le vinaigre garde son utilité tant dans la gastronomie, pour relever les vinaigrettes, par exemple, que pour les vertus thérapeutiques que les spécialistes de la santé lui attribuent.
Les pièges de l'étiquette
Il est facile, pour un consommateur non avisé, de se faire avoir avec une jolie bouteille et une définition floue en matière d'étiquetage.
Vinaigre balsamique blanc: on a ici affaire à une mode commerciale qui n'a rien à voir avec le vinaigre d'origine balsamique traditionnel, tant pour ce qui est du goût que pour ce qui est du prix.
Lisez bien l'étiquette des vinaigres balsamiques de tous les jours: sucre ajouté, moût de raisin ajouté ou sucre.
Assurez-vous que les vinaigres achetés indiquent, comme pour l'huile d'olive, l'origine ou la signature d'une maison.
Les vinaigres de fruits peuvent souvent prêter à confusion. Par exemple, un vinaigre aux framboises peut être fait à partir d'un alcool de framboises ou encore des framboises peuvent avoir été simplement ajoutées dans un vinaigre d'alcool ou de vin.
Tout le monde connaît bien le vinaigre blanc d'alcool, que l'on utilise le plus souvent pour le nettoyage. Ce dernier n'a rien à voir avec un bon vinaigre de vin qu'on emploie pour acidifier une sauce, une vinaigrette ou encore une mayonnaise.
Les grands vinaigres
On les retrouve le plus souvent dans les magasins spécialisés. Il y a les vinaigres de vin spécifique avec mention. Par exemple, le vinaigre de Chianti, ou de Bordeaux, le vinaigre de canne à sucre, le vinaigre de Yéma et le vinaigre de fruits en provenance d'Autriche sont parmi les meilleurs au monde. À découvrir: le vinaigre de tomate. De bons vinaigres de cidre, comme ceux que fabrique M. Jodoin au Québec, sont intéressants autant pour la cuisine que pour la santé.
Philippe Mollé
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