Avec Fiona Morrison MW, Jacques Lurton a organisé le Symposium des Masters of Wine (24-27 juin 2010, Bordeaux). En plein Bordeaux Fête le Vin, les experts du célèbre Institut britannique se sont retrouvés à Bordeaux avec d’autres professionnels du monde du vin, pour Forger des Liens (c’était le thème du Symposium). Jacques Lurton dresse le bilan de l’événement, livre quelques morceaux choisis et appelle aux liens… vers l’avenir.
Quel bilan dressez-vous du Symposium des Masters of Wine qui s’est déroulé du 24 au 27 juin à Bordeaux ?
A tous points de vue et compte-tenu des messages de félicitations que nous avons reçus, tant pour l’organisation et la présentation du Symposium, que pour la qualité des débats, je puis dire, sans arrogance mais avec une vraie fierté, que ce fut un succès. Ce succès revient à l’ensemble de l’équipe qui l’a rendu possible, certainement pas seulement à Fiona Morrison et à moi-même mais il nous va droit au cœur.
C’est le bilan d’une équipe et de ses réseaux. Car le thème du Symposium était « Forging Links » et nous l’avons inscrit dans notre façon même d’en mettre en œuvre le programme : les modérateurs avaient la charge de sélectionner et de contacter les orateurs, pour que chaque session soit motivante, captivante. Le résultat é été au delà de nos espérances : chacun a sollicité son groupe et à l’arrivée il n’y a pas eu une session moins captivante qu’une autre.
Le Symposium a pu, grâce à la volonté de son sponsor, le CIVB, et à l’engagement de la ville de Bordeaux, créer un lien bordelais. Tout a commencé par le choix du site : la Cité Mondiale du Vin.
Il nous a permis de faire le lien avec Bordeaux Fête le Vin. Nous n’en étions pas partie prenante, mais nos déjeuners se déroulaient au bord de l’eau et du Port de la Lune et nous le traversions en sortant le soir, profitant de cette ambiance extrêmement festive, délicieuse.
Enfin, ce qui a scellé la réussite, au-delà de la qualité des interventions de la journée, fut sans doute les soirées. La première était organisée par l’Union des Grands Crus de Bordeaux et Bordeaux Grands Evénements, avec le soutien de la mairie de Bordeaux. Elle a rassemblé 150 à 170 propriétaires de grands crus, nos 300 participants et 200 invités de la ville. Un grand chef étoilé du Québec et trois chefs de Bordeaux nous ont concocté un menu bluffant en présence d’Alain Juppé. Tout cela accompagné de plus de 100 grands vins offer au buffet.
Le deuxième soir, nous avons eu une très grande soirée organisée par le CIVB, face à la place Bourse, avec les Bordeaux plus quotidiens : 130 vins de sept régions différentes de Bordeaux étaient présentés. Ce fut la soirée de tous les Bordeaux, avec un magnifique buffet assorti, au dessus de la rivière, qui s’est terminé sur un superbe feu d’artifice.
Le dernier soir a marqué une apothéose au Château Pontet Canet, avec les Grands Crus Classés de 1855. Les organisateurs nous ont habitués à beaucoup de faste et d’opulence au cours de mythiques Fêtes de La Fleur… Là , ils se sont surpassés. Les vins servis étaient extraordinaires : on nous a proposé trois vins, à l’aveugle : Lafite, Latour et Mouton du milieu des années 80. Ils étaient suivis d’un Pontet-Canet 1959 sur les fromages et d’un Yquem 96 avec le dessert… J’ai vu un certain nombre de Fêtes de la Fleur et quelques autres événements extraordinaires à Bordeaux et je peux vous dire que nous avons laissé là le souvenir de quelque chose que même les Bordelais ont rarement vécu. Cette réception a eu un impact fabuleux et elle a été suivi d’une soirée dansante qui nous a même permis de sortir de la relation traditionnelle et un brin empruntée qui sied à ces moments : en tout, ce fut une réussite mémorable.
Enfin, et parce qu’il n’est pas question de les oublier, les Maison de négoce de Bordeaux nous ont offert, le dernier jour un brunch et une très belle dégustation décontractée sur une terrasse au bord de l’eau.
Y a-t-il une session qui vous a plus marqué qu’une autre ?
Toutes les sessions étaient intéressantes, je retiens notamment que, conformément à notre souhait et à nos recommandations, aucune n’était trop pointue ni trop spécialisée. Nous sommes restés sur des thèmes généraux de la vie du monde du vin et sur le rôle des réseaux en leur sein, ce qui a donné lieu à des conversations passionnantes.
La session la plus émouvante fut peut-être celle du dimanche matin, au cours de laquelle quatre très grands winemakers : Paul Pontalier (Château Margaux), Alvaro Palacios (Bodegas Palacios, Priorat), Peter Gago (Penfold’s Grange, Australie) et Paul Draper (Ridge Vineyard, Californie) nous ont présenté leur parcours avec une vraie émotion personnelle. Personne n’a cherché à se mettre en avant, ces hommes hors du commun nous ont livré leur parcours sans chercher à prouver quoi que ce soit. Nous les avons écoutés, dans un silence presque religieux, nous dire comment ils sont devenus ce qu’ils sont.
Le Symposium était-il l’occasion de réconcilier avec Bordeaux un public anglo-saxon qu’on dit fâché par les prix du millésime 2009 ?
Il n’était pas question d’inviter la polémique au Symposium, ni sur les prix du millésime 2009, ni sur d’autres sujets qui peuvent fâcher. Nous voulions lui imprimer une image familiale et rester dans la communion du monde du vin. Du reste, la question ne s’est pas réellement posée, en dehors de quelques réflexions, toujours sur un ton humoristique. A de rares exceptions près, les producteurs n’étaient pas dans la salle, il y avait d’ailleurs peu de Bordelais : beaucoup n’ont mesuré que trop tard la portée de l’événement et ont appelé en catastrophe une fois les inscriptions complètes et closes.
Mais j’ai encore en mémoire des félicitations adressées par une Britannique, Master of Wine, qui a donc été reçue à mainte reprise par les Grands Crus Classés de 1855 au cours de sa formation. Or elle a dit : « Vous nous avez enfin montré Bordeaux sous un autre jour que celui sous lequel on nous le montre trop exclusivement, à savoir celui des Grands Crus Classés. » Car si on souhaite voir Bordeaux uniquement à travers ce prisme, on le peut et on peut même avoir l’impression que c’est tout Bordeaux, alors que les Grands Crus sont le tout petit bout de la face exposée de Bordeaux. Ils sont incontournables, mais notre réussite a été, avec le soutien de notre sponsor principal, le CIVB, de parler de Bordeaux et de tous les Bordeaux. Et notamment d’un Bordeaux festif, joyeux, même en Grand Cru Classé, puisque ces derniers nous ont fait danser !
Le Symposium a-t-il permis d’illustrer aussi une nouvelle image du Master of Wine ?
Le Symposium a en effet été l’occasion de montrer que l’Institut des Masters of Wine est aujourd’hui aux antipodes de l’image qui correspondait à sa réalité dans les années 70 : un club très fermé, masculin et britannique.
Or depuis, les femmes ont fait leur entrée et se sont fait un nom, comme Jancis Robinson Elles sont aujourd’hui nombreuses, diplômées et au sein de la formation et du conseil. Le diplome s’est également ouvert à d’autres nationalités, premier entrant Michael Hillsmith en 1990. Il y a aujourd’hui des Masters of Wine français (4), espagnol (un seul pour l’instant), mais aussi, nord américains, asiatiques, Allemand ou Scandinaves. Le président actuel est autrichien, la présidente qui va lui succéder dans quelques mois est sud-africaine. A l’image de cette ouverture, qui ravit tout le monde, le Symposium a vu 17 pays représentés parmi les orateurs et 31 dans la salle.
En outre, parmi nos visiteurs, seul un bon tiers était des Masters of Wine diplômés (environ quatre-vingts) ou aspirants (une quarantaine), les autres étaient des acteurs classiques de la filière.
A l’arrivée, ces échanges entre des gens si différents représentent un vrai changement en bien : tout le monde y est extrêmement favorable.
Decanter a rapporté l’intervention de John Hegarty, grand professionnel de la communication et du marketing, qui a recommandé une simplification de la communication autour du vin, notamment en le déconnectant des accords mets-vin et de la table. Son intervention ne traduit-elle pas le fossé qui existe entre la conception anglo-saxonne de la consommation de vin et une conception plus latine ?
John Hegarty n’est pas un professionnel du vin, même s’il a récemment acquis une propriété dans le Languedoc. Il découvre la complexité et la difficulté de communiquer sur le vin et du choix du message que l’on veut transmettre avec ce dernier.
Si on voit le vin comme un produit purement industriel, infiniment reproductible, comme la bière ou le prêt à porter, on arrive à la communication qu’il décrit. C’est une position intéressante : il y a une place sur le marché pour des vins produits dans cet esprit, par de grandes marques à très large distribution. On ne peut pas en permanence associer le bas et le haut, il est cohérent de dissocier la communication qu’on pratique sur le vin de consommation quotidienne et/ou très large, à associer, en toute simplicité à des moments de la vie de tous les jours et les vins plus complexes qui donneront encore plus de plaisir au connaisseur sur certains mets.
On peut cependant aussi les réconcilier, comme ce fut le cas avec Bordeaux Fête le Vin, qui fait d’un produit, très rattaché au nom de la ville de Bordeaux, un synonyme de détente, de convivialité, qui peut être bu à l’apéro, le soir en rentrant chez soi et sans oublier au cours d’un repas. Je pense pour ma part qu’il ne faut pas détacher le vin de la nourriture, mais sans diktat : buvez le vin sur ce qui vous plait. Ainsi je bois très souvent du vin rouge avec du poisson, je fais volontiers un repas entier au vin blanc ou au champagne. Il y a un mi-chemin ouvert et convivial entre nos traditions gastronomiques et la vision plus démocratique des Anglo-Saxons. Elle est bénéfique pour la consommation de vin : en Australie on vous propose un verre de vin pour vous désaltérer après une journée de travail et/ou à l’apéritif. C’est rarissime en France où on vous propose un verre d’eau avant un apéritif aux alcools ou au Champagne.
Simplifier la communication autour du vin sans en faire un produit banalisé passe-partout reste la complexité de notre message. Même les vins du Nouveau-Monde communiquent aujourd’hui sur leurs terroirs et leurs traditions, leur histoire vinicole, même si parfois les vignes sont récentes, c’est une quête de légitimité, qui, dans le monde du vin, appelle à l’histoire et à l’antériorité. Elle traduit quelque chose de très humain autour du vin, partout où il est produit dans le monde.
La réflexion de John Hegarty appelle un autre questionnement : comment unifier notre message quant on est tellement diversifiés, atomisés ? J’étais la semaine dernière dans la Loire, ce fleuve magnifique qui unit tant de terroirs différents et où les efforts de communication commune se heurtent à la difficulté de parler d’une seule voix quand chacun y va de sa propre identité. Les gens du vin doivent parvenir à discerner, qu’au départ on fait tous du vin, et derrière, peut-être, le vin d’une région, d’un village, d’un terroir en particulier.
A l’échelle de la famille Lurton, c’est ce que j’ai voulu faire avec deux de mes cousines en réunissant les treize Lurton qui produisent du vin à Bordeaux et sur bien d’autres terroirs à travers le monde
Le Symposium a-t-il permis de préciser les enjeux à venir pour le monde du vin ?
Je retiens sur cet aspect une de nos sessions les plus marquantes : celle qui avait trait à l’évolution du marché du vin dans les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Elle était animée par quatre intervenants impressionnants de maîtrise de leur sujet, avec un niveau d’humour inégalé. L’intervenant indien, Magandeep Singh, est une vraie bête de scène.
Tous nous ont permis de constater que les consommateurs dans ces pays n’ont vraiment aucune notion de la consommation de vin avec de la nourriture. On est sur des créneaux de marketing et de communication complètement différents. Or ces consommateurs représentent un futur pour le monde du vin, puisqu’ils rassemblent un tiers de la population de consommateurs potentiels de la planète.
Nos orateurs nous ont également rappelé que ces pays sont des pays producteurs en devenir, des concurrents en puissance et pas seulement des marchés d’export. L’avenir du monde du vin réside aussi dans l’équilibre qu’ils vont définir entre leur niveau de consommation et leur capacité à produire une partie de leur consommation. Ces pays ont des politiques de plantation subventionnées par leurs Etats, appelées à peser sur cet équilibre et sur leur capacité à exporter. Cela nous paraît impossible aujourd’hui, on se dit qu’ils n’ont ni les sols, ni le climat, ni le savoir faire, qu’ils ne feront jamais « du vrai vin », de la même manière qu’il y 15 ans on a déconsidéré la production du Chili, de l’Argentine, de l’Australie, de l’Afrique du Sud. On voit ce qu’il en est aujourd’hui et je suis persuadé que dans quinze ou vingt ans, les BRIC seront des producteurs reconnus.
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