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Les bouchons tirent le vin vers le haut

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 20 Mai 2010 09:38

Quatre coups de hache, secs, dans l'été brûlant. Ça se passe quelque part dans une forêt de chênes-liège, au fond de l'Alentejò, au sud de Lisbonne, Portugal. Un fermier taille soigneusement un rectangle sur le flanc du vieil arbre et découpe l'écorce. Le liège se détache en carapace légère, comme une planche qui gondole. Elle est empilée avec 1 million d'autres dans une usine de Ponte de Sor, repose pendant six mois, est nettoyée par « bouillure » d'eau à 95 degrés, séchée, sélectionnée, perforée en forme de tube, à la main.

Ses bouchons ainsi taillés sont retriés selon la taille, l'aspect, le poids, par lecture optique ; on les stabilise dans une eau purifiée à l'ozone, on les sèche en serre (8 % d'humidité) avant de les trier à la main. Ils sont livrés à Bordeaux, re-re-triés, marqués au nom du vigneron, enduis de paraffine et de silicone dans des grosses machines à tambour, dépoussiérés, conditionnés sous vide. Et un matin maussade du mois de mai, ils s'installent dans le goulot d'une bouteille de Pécharmant.

Un bouchon. Un vague morceau de bois mou, 2 centimètres au garrot. Qu'on réduisait à une bête bonde qui fait « plop ». Alors que sans lui, le vin, ce n'est rien. Histoire de filer la métaphore : une bouteille que l'on bouchonne, c'est un vigneron qui accouche. Régis Lansade a l'œil égrillard des témoins des premières fois. « Là, ce que tu vois, c'est le dernier geste sur le vin avant la consommation. » Le dernier paramètre qui peut ruiner le goût qu'il a donné à son vin. Vain ou divin, quoi.

Ce matin-là, à Pécharmant, donc : une grosse machine bizarre ronronne dans le camion garé devant le chai de Nicolas Altermatt, 30 ans (Château La Briasse, Bergerac). Tout un tapis roulant où tintinnabulent des bouteilles debout.

Trois ans de travail refermés
Un premier robot remplit le flacon, le second bouchonne : un gros saladier de bouchons, qui tombent un par un dans une sorte de mâchoire qui les compresse et les pousse dans la bouteille. Où ils se relâchent, hermétiques. Il se passe exactement 2 min 30 sec avant de coucher la bouteille et de l'emballer dans un carton.

Voilà le truc : le raisin à élever, le ciel qu'on scrute en priant qu'il ne mitraille pas la vigne, le vin pressé, rêvé, assemblé, goûté, élevé ; les mois de fût, les moments gênés où l'on puise à la cuve, et ce jour-là : bouteille + bouchon + étiquette et hop, avant de faire « plop ». Trois ans de travail inquiet qui se referment en trois minutes sur le petit cylindre qu'un fermier a taillé un an plus tôt sous le soleil portugais. Et qu'il ne retaillera pas avant neuf ans (le temps que le liège se reconstitue).

Nicolas a l'air épuisé sous sa casquette Coupe du monde 1998. « Tout se joue sur le bouchon. Si on met le mauvais, tout le travail est foutu. » Choisir celui qui a le moins de taches marron, le moins d'impuretés. « On n'a pas le droit à l'erreur », complète Régis, venu en voisin tutélaire chez Nicolas qui lui ressemble (vendanges à la main, presse de 1950). « On fait du vin pour une longue garde. Mon vin doit se garder quinze ans. Si je mets un bouchon en plastique ou de mauvaise qualité, ça ne tiendra pas. » Ses bouchons, il les achète entre 45 et 60 centimes l'unité, pour (environ) 10 000 bouteilles à serrer (un gros château, c'est 500 000). Le bon bouchon peut coûter 2,5 fois plus cher qu'un bondon bas-de-gamme. « C'est un gros investissement, mais il faut vraiment le faire. Dans le prix de revient d'une bouteille, c'est le plus élevé. » Nicolas aussi a choisi du haut-de-gamme. C'est sa première cuvée en solo (« Mémoire », millésime 2008), après cinq ans de vente en coopérative. Il regarde ses bouteilles prêtes à quitter le nid. Il dit, un peu papa perdu : « Ça fait bizarre, ça fait plaisir. » Il y a de l'espoir dans ces yeux-là. Il y a de la concentration dans ceux des trieuses de la société Amorim, à Bordeaux, imperturbables devant les milliers de bouchons qui roulent devant elles et dont elles traquent les défauts.

Régis, Nicolas et 5 000 autres vignerons achètent leurs bouchons là : Amorim, entreprise familiale portugaise née au début du XIXe, leader d'un marché hyperconcurrentiel (25 %, 3 milliards de bouchons), installée en France, à Bordeaux, depuis 1992.

Dans la peau des arbres de l'Alentejò, Amorim sélectionne 90 000 bouchons par jour. Dans l'usine, c'est un spectacle impressionnant. Des machines calibrent les bouchons (trop ovales, trop légers), analysent mécaniquement les « lenticelles » (les trous du liège). Le tout est aussi fait à l'œil nu par les trieuses imperturbables. Des sacs énormes de « déchets » repartent au Portugal pour être broyés en copeaux. À chaque étape du travail sur le bouchon, on vérifie la structure du liège, sa « classe ».

« Ce n'est pas un produit neutre », explique Jean-Philippe Allilaire, le directeur commercial. « C'est lui qui va maintenir la durée de vie, plus ou moins longue du vin. » Il y a ceux en pur liège pour les vins de garde ; des « colmatés » ou des agglomérés, pour doser l'échange entre l'air et la bouteille selon le vin voulu. C'est dire les rapportsentre le bouchonnier et le vigneron, parfois serrés : « Le bouchon fait peur. Parfois, un vigneron prend trois bouchonniers sur une même cuvée… On est le dernier maillon qui fait évoluer le vin, favorablement ou défavorablement. S'il y a un problème sur le vin, on nous désigne souvent en premier. À nous de les rassurer. » Voilà : comme des sages-femmes.

Émilie Drouinaud
http://www.sudouest.fr/2010/05/20/les-b ... 0-4625.php
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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