La grande distribution s'occupe-t-elle des vins produits en agriculture biologique ? Tout ce qui se vend l'intéresse et le bio plus que tout…
Par Jacques Dupont
Quand on a un doute sur un chiffre concernant le vin, on appelle Frédéric Guyard. Cet excellent confrère connaît tout de ce qui se vend en bouteille ou en bag in box*. Journaliste économique, il est l'un des piliers de Rayon Boissons, une revue ignorée du grand public, mais qu'aucun acteur du négoce du vin ou de la filière « liquide » de la GD (grande distribution) ne peut se passer. Rayon Boissons sait tout avant tout le monde de la vente du magasin Casino de Castelnaudary à un adhérent Leclerc comme de l'arrivée d'une nouvelle directrice à la tête de tel fabricant de liqueur aveyronnaise… Chaque année, cette revue organise « Les Ateliers du vin » où défilent tous les grands acheteurs des différentes enseignes comme leurs fournisseurs négociants. Une journée bourrée de chiffres, de statistiques et où se dessinent les grandes tendances du marché de demain. Frédéric Guyard nous donne ici son sentiment sur l'appréhension par la grande distribution des vins bios et leur avenir probable dans ce circuit de vente.
Le Point : Les Ateliers du vin se sont tenus en février dernier. Toutes les enseignes de la grande distribution – entre autres – y sont chaque fois représentées. A-t-on parlé un peu, beaucoup, passionnément des vins bio ?
Frédéric Guyard : Passionnément, et ce durant un après-midi entier ! Et pour cause, alors que les ventes de vins tranquilles reculent sensiblement, en fond de rayon comme en foire aux vins, le temps consacré au segment des vins bios a permis de redonner le sourire aux participants des Ateliers du Vin 2019. En 2018, les ventes de vin bio se sont élevées à 30 millions de bouteilles d'après le panéliste IRI, en hausse de près de + 20 %. Fournisseurs et distributeurs tentent bien évidemment de s'inscrire dans cette dynamique avec toutes les questions que cela génère. Approvisionnements, prix, valorisation de l'offre en magasins, besoins des généralistes (Carrefour, Leclerc…) et des spécialistes (Biocoop, Naturalia…), nous avons abordé tous les sujets !
Pour les stratèges de la grande distribution, le vin bio est-il un marché d'avenir ? On a le sentiment que les consommateurs au minimum s'interrogent, que le vieux cliché vin bio vin pas bon et hors de prix commence à avoir fait long feu, mais que pour autant l'offre demeure confuse et peu lisible.
Le bio en général, et le vin bio en particulier, est incontestablement un marché d'avenir pour la grande distribution. Ceci pour la simple et bonne raison que ce circuit est pour l'instant très largement sous-vendeur de bouteilles certifiées AB par rapport aux autres réseaux de distribution que sont les chaînes de spécialistes, les cavistes ou la vente directe. Les enseignes sont conscientes de leur retard et elles tentent de le combler, à l'instar de Carrefour qui a fait du bio un élément phare de son projet baptisé « Act for food ». Cela se caractérise d'ores et déjà par des « shop in shop » dans les hypermarchés qui donnent au bio une visibilité très forte. Casino en fait de même tandis que d'autres ouvrent des magasins spécialisés comme « Le marché bio de Leclerc » ou « Auchan Bio ». Par ailleurs, Naturalia est enseigne du groupe Casino, Intermarché a des parts dans Les Comptoirs de la Bio et So Bio a été racheté par Carrefour. De manière affichée ou masquée, les enseignes investissent massivement le bio et le vin va forcément en bénéficier. Pour autant, vous avez raison sur la confusion de l'offre actuelle. Le manque de disponibilités est un véritable problème pour les distributeurs dont les besoins en volumes sont importants. Il n'est pas simple de trouver plusieurs centaines de milliers de bouteilles de belle qualité pour alimenter une seule référence. Les prix sont également très variables selon les appellations, ce qui ne facilite pas la lecture de l'offre.
S'ajoute aussi peut-être une certaine méfiance vis-à -vis de la sincérité des distributeurs. Un vin bio portant une marque de distributeur, est-ce crédible ?
Que les distributeurs soient là pour faire du commerce, c'est leur raison d'être, tout comme le primeur ou le caviste de quartier. À chacun son jugement sur la sincérité des différents commerçants que je trouve dommage d'opposer. Ce que je sais, c'est que les distributeurs sont d'excellents dégustateurs et qu'ils font leur possible pour proposer les meilleurs vins bio en rayons. Lors des Ateliers du vin 2019, nous avons réalisé un banc d'essai des vins bios à marques de distributeurs. Nous avons été bluffés par le niveau qualitatif de cette dégustation et je ne peux qu'encourager les consommateurs à franchir le pas. Le côtes-du-rhône de Système U, le bordeaux de Leclerc ou encore le côtes-de-provence d'Intermarché valent vraiment le détour.
Pourtant, on a l'impression que les vins bios, vraiment bios avec certification, sont assez peu représentés dans les rayons des supermarchés.
Encore une fois, tout est question de disponibilités. Si les enseignes pouvaient disposer des volumes suffisants pour alimenter leurs rayons, elles le feraient bien volontiers. En attendant, il est vrai qu'elles explorent toutes les pistes à vocation environnementale. Un exemple concret : celui d'Auchan, qui préfère se passer de certaines références stratégiques plutôt que de proposer des vins bios pour lesquels le suivi qualitatif est parfois aléatoire. Pour autant, Auchan a été la première enseigne à vendre à sa marque une gamme de vins sans soufre. La certification Haute Valeur environnementale prend aussi du poids avec, cette fois-ci, des volumes importants à disposition des enseignes. Intermarché et Système U vont d'ailleurs proposer très prochainement des vins à marques de distributeurs estampillés du logo HVE. Il est vrai que ces différentes approches peuvent semer le trouble. Mais dès que la grande distribution pourra disposer de « vrais » vins bios, vous allez vite les retrouver en magasin.
* marque enregistrée dont le titulaire exclisif est la société Smurfit Kappa Bag in Box.
Source : https://www.lepoint.fr/vin/le-vin-et-le ... 71_581.php