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Les vins supportent-ils bien l'alcool ?

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Sam 4 Juin 2011 13:27

Le dĂ©bat fait rage aux États-Unis Ă  propos du taux d'alcool dans les vins.

C’est l’un des sujets les plus dĂ©battus chez les amateurs de vin Ă  l’heure actuelle: l’excĂšs d’alcool dans le vin. De toute Ă©vidence, le vin ne serait pas du vin sans alcool et le petit Ă©tourdissement qu’il procure fait partie intĂ©grante du plaisir de la dĂ©gustation. Toutefois, les niveaux d’alcool ne cessent d’augmenter, au grand regret de certains Ɠnophiles, qui trouvent que les vins trĂšs alcoolisĂ©s sont trop forts et fatigants Ă  boire.

J’approuve: je ne suis pas fan des cabernets et des syrahs sirupeux qui vous font regretter de ne pas avoir apportĂ© un oreiller Ă  table. Je crois toutefois que le dĂ©bat est sujet Ă  beaucoup trop de dogmatisme et de vitupĂ©rations. Le goĂ»t est une affaire personnelle, certains vins supportent mieux l’alcool que d’autres et il y a assez de choix pour satisfaire tous les palais. Alors, comment expliquer ces dĂ©bats si passionnĂ©s?

Plus il y a de sucre, plus le taux d'alcool est élevé

Tout part du processus de fermentation, qui transforme le sucre en alcool. La teneur en sucre du raisin dĂ©pend de sa maturitĂ©. Plus il y a de sucre, plus le vin sera alcoolisĂ©. Outre le fait qu’il fasse tourner les tĂȘtes, l’alcool donne du corps, de la texture et une certaine douceur au vin. Plus il y a d’alcool, plus ces caractĂ©ristiques augmentent.

Les cĂ©pages tels que le zinfandel ou le grenache donnent naturellement des vins Ă  la teneur en alcool assez Ă©levĂ©e, de mĂȘme que les rĂ©gions chaudes comme le sud de la vallĂ©e du RhĂŽne ou la Barossa Valley. Le problĂšme est que le degrĂ© d’alcool n’augmente pas que dans une seule rĂ©gion. Des Ɠnologues ont rĂ©cemment dĂ©clarĂ© dans le magazine britannique Decanter que l’augmentation des teneurs en alcool reprĂ©sentait une menace pour le caractĂšre mĂȘme des vins de Bordeaux. Et des voix s’élĂšvent ailleurs pour formuler des prĂ©occupations similaires.

Un taux d'alcool particuliÚrement élevé aujourd'hui

Mais c’est surtout de la Californie qu’il est question lors des dĂ©bats. Il suffit de se rendre chez un caviste pour en comprendre la raison: les Ă©tagĂšres dĂ©bordent de vins californiens Ă  14%, voire 15%, et les Ă©tiquettes sont sans doute en dessous de la vĂ©ritĂ©. Selon la loi amĂ©ricaine, les vins Ă  14% ou moins ont droit Ă  une marge d’erreur de 1,5% par rapport au taux indiquĂ© sur l’étiquette (tant que le pourcentage rĂ©el ne dĂ©passe pas 14%) et ceux de plus de 14% Ă  une marge d’erreur de 1%.

La Californie a toujours produit des vins forts en alcool, mais les cabernets et les merlots de la Napa Valley n’étaient pas si corsĂ©s autrefois. Une Ă©tude rĂ©cente (PDF) du professeur Julian Alston, de l’UniversitĂ© de Californie, a dĂ©montrĂ© que le taux de sucre des cĂ©pages californiens Ă©tait aujourd’hui plus Ă©levĂ© de 9% qu’en 1980.

L'effet Robert Parker

Quelle est la raison de cette augmentation? Le rĂ©chauffement climatique est souvent mentionnĂ©, et il est vrai qu’il peut jouer un rĂŽle dans d’autres rĂ©gions, mais Alston et ses collĂšgues pensent plutĂŽt que cette augmentation du taux de sucre est Ă  mettre au compte des pratiques agricoles. Selon eux, l’utilisation de rhizomes diffĂ©rents et de nouveaux systĂšmes de plantation aurait pu jouer un rĂŽle, mais ils Ă©voquent Ă©galement l’hypothĂšse de producteurs rĂ©coltant des fruits plus mĂ»rs afin de produire des vins plus Ă  mĂȘme de sĂ©duire les critiques, notamment Robert Parker.

Les scientifiques ont, en effet, remarquĂ© que c’est dans les cĂ©pages les plus apprĂ©ciĂ©s (cabernet, merlot, chardonnay) et les rĂ©gions les plus cĂ©lĂšbres (Napa et Sonoma) que le taux de sucre a le plus augmentĂ©. Selon eux, cela pourrait ĂȘtre «dĂ» Ă  un “effet Parker”, [
] les vignerons cherchant, pour rĂ©pondre Ă  la demande du marchĂ©, Ă  produire des vins aux arĂŽmes plus mĂ»rs et plus intenses».

Un homme d'influence

Robert Parker jouit d’une influence extraordinaire et les notes qu’il attribue aux vins californiens attestent depuis longtemps de son goĂ»t pour les vins trĂšs mĂ»rs (c'est-Ă -dire riches en alcool). Ses mots en tĂ©moignent Ă©galement: en 1999, puis Ă  nouveau en 2000, il a descendu en flammes Tim Mondavi, le fils de Robert, lui reprochant de faire des vins trop lĂ©gers et discrets.

Il l’a notamment accusĂ© d’aller «à l’encontre de ce que mĂšre Nature a donnĂ© Ă  la Californie» avant d’affirmer que la force des vins californiens rĂ©sidait «dans la puissance, l’exubĂ©rance et des arĂŽmes admirablement mĂ»rs». En 2007, il a lancĂ© une attaque tout aussi cinglante contre le vigneron californien Steve Edmunds: «Il semble que Steve tente dĂ©libĂ©rĂ©ment de copier le style français. Mais si l’on veut faire des vins français, il faut les faire en France». Compte tenu de l’influence de Parker, il n’est pas difficile de comprendre que nombre de vignerons se mettent Ă  produire des vins susceptibles de lui plaire afin d’éviter ce type de critique acerbe.

Pas de comparaison Californie / Bourgogne

Le goĂ»t de Robert Parker pour les «bombes de fruits», comme il les appelle, s’étend jusqu’au pinot noir. En Bourgogne, oĂč le pinot est le principal cĂ©page rouge, la fraĂźcheur du climat limite la maturitĂ©, ce qui donne des vins assez lĂ©gers en alcool, qui privilĂ©gient l’élĂ©gance Ă  la puissance. Mais sous l’influence de Parker, le pinot californien a Ă©voluĂ© dans une tout autre direction, donnant des vins souvent trĂšs mĂ»rs et luxuriants, qui s’approchent, voire atteignent, les 15% d’alcool. Reprenant les termes de Parker, les adeptes de ce style affirment que c’est lĂ  l’expression naturelle de ce terroir inondĂ© de soleil qu’est la Californie et que les comparaisons avec la Bourgogne sont donc absurdes. Cela revient, selon eux, Ă  comparer des oranges Ă  des pommes.

Pourtant, la Californie peut aussi faire du pinot noir de maniĂšre plus lĂ©gĂšre et dĂ©licate, et ces derniĂšres annĂ©es ont vu une augmentation du nombre de vins traduisant un esprit plus bourguignon. Certains sont produits par des vignerons ayant renoncĂ© Ă  l’approche «bombe de fruits». D’autres, tels que les incroyables pinots de Rhys Vineyards, proviennent de vignobles dont les raisins ont une teneur en sucre limitĂ©e.

La popularitĂ© grandissante de ce dernier style est, selon moi, des plus encourageantes, car elle rĂ©fute l’idĂ©e selon laquelle la production de vins corsĂ©s serait inĂ©vitable ou, en quelque sorte, plus authentiquement californienne. En outre, Parker ayant dĂ©cidĂ© de ne plus couvrir la Californie, pour la laisser Ă  son associĂ© Antonio Galloni, ce mouvement vers la finesse risque bien de s’accĂ©lĂ©rer. Un nouveau chapitre, particuliĂšrement intĂ©ressant, pourrait bien ĂȘtre en train de s’écrire pour le pinot californien.

La bataille fait toujours rage

Pourtant, la bataille autour du pinot et de l’alcool fait toujours rage. Paradoxalement, alors mĂȘme que Parker quitte la scĂšne, l’intolĂ©rance dont ce dernier avait fait preuve envers les vins de Mondavi et d’Edmunds semble avoir contaminĂ© l’autre camp. Un auteur s’est ainsi rĂ©cemment attaquĂ© aux «pinots californiens couleur prune qui prennent des goĂ»ts de syrahs lourds et surboisĂ©s», qu’il a qualifiĂ©s de «crimes contre le vin». Un autre a dĂ©clarĂ© que «le rĂšgne dĂ©bridé» du pinot arrivait Ă  sa fin et qu’il n’y aurait plus de «dĂ©-pinotage du pinot», le «pinot se donnant des airs de zinfandel ayant Ă©tĂ© proprement remisé». Enfin, un vigneron de la Central Coast a qualifiĂ© les cĂ©pages utilisĂ©s pour produire des pinots forts en alcool de «pourriture». À en croire la rhĂ©torique utilisĂ©e, on croirait presque que les pinots californiens Ă©taient utilisĂ©s pour euthanasier les personnes ĂągĂ©es et empoisonner les enfants.

La diversité est une bonne chose

Je n’ai rien contre le fait que l’on dĂ©molisse un vin que l’on n’aime pas (je le fais tout le temps moi-mĂȘme, et mĂȘme souvent avec plaisir), je ne vois pas l’intĂ©rĂȘt qu’il y a Ă  dĂ©crĂ©dibiliser un style particulier. Le choix et la diversitĂ© ne sont-ils pas de bonnes choses? Le pinot californien en est encore au stade des essais et des erreurs. Il n’y a pas de rĂ©ponse juste, il n’y a que des prĂ©fĂ©rences, et rien n’empĂȘche les pinots d’inspiration bourguignonne de cohabiter avec des vins plus puissants. En outre, la question de l’alcool n’est pas aussi simple Ă  rĂ©gler que ne le laisse penser tout ce tintamarre.

Les opposants aux vins fort alcoolisĂ©s ont tendance Ă  rĂ©duire le problĂšme Ă  une question d’équilibre, suggĂ©rant qu’au-dessus d’un certain seuil, le vin ne prĂ©sente plus aucun intĂ©rĂȘt. Le problĂšme est que l’équilibre est un concept hautement subjectif (certains diraient mĂȘme amorphe); l’alcool n’est que l’un des Ă©lĂ©ments participant Ă  la sensation d’équilibre, ou de manque d’équilibre. Imposer des limites arbitraires, comme l’ont fait certains sommeliers et au moins un distributeur, me semble particuliĂšrement peu judicieux.

Le monde du pinot noir

Ce dernier point a Ă©tĂ© bien expliquĂ© lors d’une manifestation en mars baptisĂ©e World of Pinot Noir (le monde du pinot noir). Ce rassemblement, qui s’est tenu sur tout un week-end, comprenait un dĂ©bat au sujet de l’alcool et de l’équilibre, auquel participait le vigneron Adam Lee, de Siduri Wines, qui produit des pinots en Californie et dans l’Oregon, ainsi que Rajat Parr, un sommelier de San Francisco qui a dĂ©cidĂ© de ne pas servir de pinots au-dessus de 14% dans l’un de ses restaurants. À l’insu des autres participants, Lee avait inversĂ© les Ă©tiquettes de deux vins qu’il avait proposĂ©s Ă  la dĂ©gustation.

L’un faisait 13,6% d’alcool et l’autre Ă©tait Ă  15,2%. Vous voyez la chose venir: Parr, excellent dĂ©gustateur, a tellement apprĂ©ciĂ© l’un des vins dĂ©gustĂ©s qu’il a demandĂ© Ă  en acheter. Et, bien entendu, il s’agissait du vin Ă  15,2%. Parr a bien acceptĂ© la ruse de Lee, qui, je pense, a bien dĂ©montrĂ© les limites des avis trop tranchĂ©s en matiĂšre d’alcool.

Le vin, un bon ingrédient de cocktails

Il y a un dernier point Ă  prendre en compte, qui a largement Ă©tĂ© ignorĂ© lors de tous ces dĂ©bats autour du niveau d’alcool: beaucoup de gens aiment les vins bien charpentĂ©s. L’un des reproches les plus frĂ©quemment adressĂ©s aux vins corsĂ©s est qu’il est difficile de trouver des plats avec lesquels les marier, ce qui est vrai: les vins trĂšs alcoolisĂ©s n’ont pas cette aciditĂ© qui permet de «nettoyer» le palais.

Mais cela ne pose visiblement pas de problĂšme aux consommateurs: une Ă©tude rĂ©cente a en effet montrĂ© que la majeure partie du vin consommĂ© aux États-Unis est bue en dehors des repas, notamment en tant qu’ingrĂ©dient de cocktails. Ce rĂ©sultat a, semble-t-il, choquĂ© certains Ɠnophiles, mais je pense qu’il confirme une chose: la diversitĂ© a du bon. Nous sortons tout juste d’une pĂ©riode durant laquelle les vignerons ont fait l’objet de pressions Ă©normes les incitant Ă  se conformer Ă  une certaine esthĂ©tique. Robert Parker ayant dĂ©cidĂ© d’abandonner la Californie, nous allons pouvoir assister Ă  l’éclosion de nombreux styles diffĂ©rents.

Mike Steinberger
Traduit par Yann Champion

Source : http://www.slate.fr/story/38557/vin-alcool-etats-unis
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Re: Les vins supportent-ils bien l'alcool ?

Messagepar Laurent Saura » Sam 4 Juin 2011 19:41

Article trÚs intéressant,faisant écho aux quelques messages récents dans la rubrique Beaucastel....
Quoiqu'il en soit,Parker aura contribuĂ© Ă  uniformiser les vins,tout en incitant Ă  amĂ©liorer leurs qualitĂ©s d'ensemble...Vivement qu'il arrĂȘte aussi Ă  Bordeaux et dans le RhĂŽne...ce n'est que mon avis ;)
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Re: Les vins supportent-ils bien l'alcool ?

Messagepar Didier » Mar 7 Juin 2011 22:53

Laurent Saura a écrit:Article trÚs intéressant,faisant écho aux quelques messages récents dans la rubrique Beaucastel....
Quoiqu'il en soit,Parker aura contribuĂ© Ă  uniformiser les vins,tout en incitant Ă  amĂ©liorer leurs qualitĂ©s d'ensemble...Vivement qu'il arrĂȘte aussi Ă  Bordeaux et dans le RhĂŽne...ce n'est que mon avis ;)



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