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Coteaux d'Aix-en-Provence, les prospecteurs du bio

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Ven 14 Mai 2010 19:41

Que l’esprit de RenĂ© le Bon, dernier comte de Provence, qui, au XVe siĂšcle, outre ses talents de poĂšte, peintre et musicien, gagna le surnom de
“roi vigneron”, repose en paix ! De dignes successeurs prennent soin de sa terre calcaire et de ses vignes en coteaux. Au nord, la Durance, les chaĂźnes des CĂŽtes et de la TrĂ©varesse ; au sud, la Touloubre et les coteaux d’Eguilles ; Ă  l’ouest, Salon-de-Provence ; Ă  l’est, Aix-en-Provence ; l’ensemble, maillĂ© de canaux, vit au rythme de l’imprĂ©visible mistral.

Ce terroir se singularise : il ne dĂ©pend pas de la l’AOC CĂŽtes-de-Provence, mais de celle, mĂ©connue, des Coteaux-d’Aix-en-Provence. OĂč des vignerons atypiques produisent de grands crus, que l’on dĂ©couvre sous le label “vin issu de raisins de l’agriculture biologique”. L’expĂ©rience de la dĂ©gustation dĂ©clenchant Ă  la fois Ă©tonnement et plaisir des papilles, deux questions s’imposent :
comment autant d’explorations rĂ©ussies de la culture “bio” se sont-elles rĂ©unies ?
Qui sont les hommes et les femmes Ă  l’origine de la mĂ©tamorphose des coteaux-d’aix ?

En suivant son instinct gustatif, une partie de la mythique RN7, puis un entrelacs de dĂ©partementales bordĂ©es de platanes, on se retrouve dans le village escarpĂ© de Jouques. Tout prĂšs, Ă  La RĂ©altiĂšre, vit Peter Fischer, qui, les pieds bien plantĂ©s dans sa terre, a le regard qui porte au-delĂ  des limites de sa belle demeure du XVIIe siĂšcle et de ses 24 ha de vignes cultivĂ©s en bio. Il dĂ©cide trĂšs tĂŽt de quitter son Allemagne natale pour Ă©tudier la viticulture dans la Napa Valley, en Californie. ƒnologue confirmĂ© Ă  25 ans, il officie en Bourgogne, puis lĂąche une carriĂšre prometteuse afin de mettre ses convictions Ă  l’épreuve : il ne peut y avoir de grand vin sans grands raisins et sans l’homme Ă  l’écoute de la terre. “Ma tĂȘte et mon Ăąme sont en bio, affirme-t-il. Mais pendant longtemps j’ai rejetĂ© ce qualificatif alors que je n’ai jamais utilisĂ© d’engrais ou de pesticides. Ce label m’agace parce que les gens ne savent pas ce qu’il signifie : selon le cahier des charges, toute la partie culture est bio, mais en cave beaucoup de choses sont encore permises !”

L’étendard du bio pur et dur recouvre la dĂ©finition lambda – du coup, la mention “vin issu de
” est relĂ©guĂ©e en minuscule sur les Ă©tiquettes. “Il ne faut rien corriger Ă  la terre, et observer l’influence des micro-organismes, des insectes, des vers de terre, ne pas arroser, vendanger Ă  la main
 rester Ă  l’écoute de la vigne afin que mĂ»rissent de beaux raisins.”
Peter Fischer se rĂ©vĂšle intarissable sur l’art de la vinification, insistant sur l’idĂ©e que le vigneron ne doit pas cĂ©der Ă  la ten­tation de faire un vin parfait – la “recette” serait trompeuse –, il se doit seulement d’Ɠuvrer Ă  l’élaboration d’un vin repré­sentatif d’une terre vivante, de “capter en bouteille le terroir dans son Ă©tat pur”. Une philosophie qui transparaĂźt dans le vin, et adoptĂ©e par les restaurateurs Ă©toilĂ©s ayant inscrit le nom RĂ©velette sur leur carte.

“Le sol est une boĂźte noire d’une complexitĂ© inouĂŻe qu’on n’a pas fini de comprendre”, assĂšne Philippe Pouchin, gĂ©rant de ChĂąteau Bas, Ă  VernĂšgues. En reprenant l’exploitation de la propriĂ©tĂ©, en 1996, il se convainc, lui aussi, que le travail commence par l’observation. “J’avais appris la viticulture conventionnelle ; j’ai tout dĂ©sappris parce que je voulais savoir ce qui ne marchait pas : j’ai dĂ©montĂ© l’horloge, puis l’ai remontĂ©e petit Ă  petit.” Le constat : rompre avec les pratiques antĂ©rieures pour respecter la matiĂšre brute et
 passer en bio ? “C’est un prĂ©requis, glisse-t-il avec un sourire indulgent, si l’on veut produire longtemps en pariant que les vins seront meilleurs”.
A ChĂąteau Bas la question du bio est dĂ©passĂ©e depuis belle lurette ; on rĂ©flĂ©chit et l’on intervient le moins possible, selon le principe taoĂŻste du “ne rien faire et tout faire”. “Plus il y a de biodiversitĂ©, plus le systĂšme est stable ; Ă  nous d’ĂȘtre garants de son bon fonctionnement. C’est la raison pour laquelle le travail du vin se fait dans la vigne.” La nuit s’avance tandis que Philippe Pouchin continue d’expliquer sa vision de la vi­ticulture. L’homme semble en osmose avec ses vignes : il n’a plus besoin de labourer pour qu’elles s’enracinent loin dans la terre afin d’y trouver les substances nutritives. Alors que le sol calcaire est trĂšs sec, il n’a pas besoin d’eau pour obtenir de beaux raisins, il pratique l’enherbement, une mĂ©thode qui consiste Ă  semer certaines plantes entre les ceps, lesquelles crĂ©ent une irrigation naturelle et barrent la route aux maladies.

“Si la spore de mildiou arrive sur la vigne, elle trouve des haies, des herbes : elle tombe dans le Bronx, et ne rĂ©siste pas.” Sur le vignoble, Philippe Pouchin a tout lu, tout analysĂ©. Du reste, l’Agro de Paris lui a demandĂ© d’intervenir devant ses Ă©tudiants. Et maintenant ? “Je commence Ă  faire du vin”, rĂ©pond-il ma­licieusement. Ce chercheur qui n’en finit pas de “dĂ©buter” produit des vins Ă  son image : hors du commun. DĂšs lors, rien de surprenant Ă  ce que cette posture soit adoptĂ©e par une nouvelle gĂ©nĂ©ration de vignerons constituĂ©e de trentenaires diplĂŽmĂ©s, souvent formĂ©s dans d’autres rĂ©gions, voire d’autres pays.

Ainsi en est-il dans les 20 ha du ChĂąteau Paradis convertis en bio depuis trois ans, et oĂč François ­Tissot, le chef de cultures tombĂ© dans “le rĂȘve de faire du vin” de­puis sa Lorraine natale, se rĂ©clame de la philosophie de Philippe Pouchin. “La dĂ©marche environnementale a montrĂ© qu’il fallait faire confiance au terroir, c’est la seule façon d’obtenir des vins expressifs.” Le domaine trouve une rĂ©elle dynamique lorsqu’un couple de Lillois Ă  peine plus ĂągĂ©s que leur vigneron le rachĂšte en 2003 : restauration des bĂątiments, culture raisonnĂ©e, puis alternative, puis bio ; organisation de concerts, d’expositions
 Un immense travail qui prend son sens dans la poursuite de la qualitĂ©, de “l’émotion” que l’on doit retrouver dans le vin. Comme par hasard, une cuvĂ©e se pare d’une note de 95/100 attribuĂ©e par le pape de la critique, Robert Parker.

Depuis plus de dix ans, un Ă©lan similaire anime le vignoble de ChĂąteau Beaulieu qui a dĂ©diĂ© 22 ha baptisĂ©s Clos des 3 sources Ă  la culture biologique. RĂ©habilitĂ© par un industriel tombĂ© amoureux du chĂąteau du XVIe siĂšcle entourĂ© de vignes, le domaine est conduit par la fille du propriĂ©taire, BĂ©rengĂšre GuĂ©nant, assistĂ©e de l’Ɠnologue Jean-Patrice Margnat. A peine 60 ans Ă  eux deux. L’une a hĂ©ritĂ© de la passion de son pĂšre et veille Ă  la restauration du chĂąteau et de son parc en vue d’y crĂ©er un lieu dĂ©diĂ© Ă  l’Ɠnotourisme, tandis que l’autre arpente la vigne, se rĂ©jouissant de la prĂ©sence d’herbes, de papillons, de coccinelles
 “En cave, mon objectif est d’éviter toute maltraitance du produit brut, de toucher les vins le moins possible.” Le leitmotiv est rĂ©affirmĂ©, c’est la seule dĂ©marche pertinente pour offrir la rĂ©elle personnalitĂ© du vin au consommateur. Le Marseillais s’inquiĂšte nĂ©anmoins du changement climatique : “On vendange de plus en plus tĂŽt : depuis 2003, le raisin se ramasse avec un mois d’avance.”

Qu’en pense Gabriel, issu de la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration des Tobias, qui, avec ses frĂšres, exploite les terres de La CadeniĂšre Ă  proximitĂ© de la mer ? Le rĂ©chauffement le confronte Ă  un dilemme : “Les vins deviennent trop alcoolisĂ©s, or on ne veut pas perdre les arĂŽmes en ramassant des raisins moins mĂ»rs.” Pour ce vigneron qui prend ses distances avec le mot “bio” – “on l’a toujours Ă©tĂ© sans mĂȘme le savoir, on a toujours vu des herbes et des nids d’oiseaux dans les sarments” –, la solution passe par l’adaptation. Ainsi, chez les Tobias, on vendange au chant du coq pour que les raisins s’imprĂšgnent de fraĂźcheur. Le domaine est l’exemple d’une conversion en culture biologique obtenue Ă  la force du poignet, grĂące au grand-pĂšre alsacien qui, fuyant l’occupation de sa rĂ©gion par l’Allemagne en 1940, a prĂ©fĂ©rĂ© dĂšs cette Ă©poque labourer le sol caillouteux du Midi et dé­poser des engrais organiques au pied des vignes.

L ’un des piliers de la culture en bio rĂšgne Ă  cinq minutes de Lambesc, qui, hormis de s’enorgueillir de son surnom de Versailles aixois au XVIIIe siĂšcle, ne compte pas moins de six domaines ou caves sur ses terres. Le Domaine des BĂ©ates bĂ©nĂ©ficie d’une situation gĂ©ologique exceptionnelle et a Ă©tĂ© cultivĂ© selon les mĂ©thodes biodynamiques par la famille Terrat dĂšs les annĂ©es 1980. Homme jovial, Pierre-François se moque un peu des “bobios” qui recherchent le fameux label sur l’étiquette – “C’est trop culturel, je prĂ©fĂšre ‘vin de terroir’”–, et s’impatiente de voir arriver des normes strictes concernant la vinification. Pour lui aussi tout se fait dans sur des “sols vivants”, car “avec notre mĂ©thode si le raisin est joli, on ne peut pas faire de mauvais vin”. “Notre richesse, c’est de donner ; chaque millĂ©sime ressemble Ă  une nouvelle naissance”. Il considĂšre avec sĂ©vĂ©ritĂ© les productions conventionnelles : “En tuant les micro-organismes et en utilisant des engrais chimiques on extrait du vin de sols morts. On ne sait plus ce qu’on boit, d’ailleurs certains vins rĂ©putĂ©s ont toujours le mĂȘme goĂ»t.” On boit “une recette”, ponctuerait Peter Fischer.

Aux confins Est de l’appellation, surgit une histoire emblĂ©matique de ce parcours. Le jeune exploitant de La RĂ©altiĂšre, Pierre Michelland, raconte qu’il se destinait Ă  l’aquaculture en Bretagne ou en Nouvelle-CalĂ©donie, terre de son enfance, tout en venant parfois humer le vignoble paternel. Mais un jour de l’annĂ©e 2002, sa vie bascule : son pĂšre dĂ©cĂšde des suites d’un accident de tracteur. Le jeune homme, qui se sent “paysan dans l’ñme”, se met “en rage pour travailler comme un fou” dans le vignoble – certifiĂ© en agriculture biologique l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Autour de lui se lĂšve alors une armĂ©e d’hommes et de femmes qui envahissent ses vignes : “Ils Ă©taient partout ; en une journĂ©e, ils ont abattu deux mois de travail.” Cette solidaritĂ© extraordinaire a donnĂ© plus que des bĂ©nĂ©fices humains : Pierre Michelland, qui accompagne sa vigne en “suivant le rythme de la vie de la terre”, n’arrose jamais, travaille Ă  la main avec “beaucoup d’affectif et d’émotion”, produit Ă  400 mĂštres d’altitude des vins auxquels des critiques attribuent volontiers leur “coup de cƓur”.

Lui et ses compagnons des coteaux se sont attelĂ©s Ă  la rĂ©alisation d’un rĂȘve, aboutissement de leur art : obtenir des vins “nature”, “purs”, sans aucune adjonction ou manipulation, nĂ©s de la seule mais constante attention de l’homme, riches des arĂŽmes et des goĂ»ts d’une terre libĂ©rĂ©e.

Elisa B.
http://www.lemonde.fr/voyage/article/20 ... _3546.html
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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