Les crus bourgeois du Médoc vont retrouver leurs lettres de noblesse. Cette distinction, annulée par la cour d'appel administrative de Bordeaux en 2007, va réapparaître en 2010 sous une autre forme après deux années de vide juridique. Innovation, c'est à la suite d'une dégustation à l'aveugle de chaque millésime, effectuée par un jury indépendant sous l'oeil du bureau de contrôle Veritas, que sera accordée cette reconnaissance désormais annale !
Tel est le stratagème imaginé par l'Alliance des crus bourgeois du Médoc, présidée par Thierry Gardinier (Phélan Ségur) et les pouvoirs publics, pour relancer une distinction devenue obsolète. La première liste des crus bourgeois - divisés en crus bourgeois supérieurs exceptionnels, crus bourgeois supérieurs et crus bourgeois - datait de 1932. Pléthorique, elle ne comptait pas moins de 444 domaines. La révision contestée, intervenue en 2003, ne concernait plus que 247 crus. D'où l'inévitable querelle des évincés qui ont eu gain de cause devant les tribunaux.
La révision annuelle des crus bourgeois ne constituera donc plus un étalonnage collectif de la notoriété, mais une "reconnaissance" temporaire. Ce nouveau dispositif sera-t-il plus valorisant que l'attribution d'une médaille ou la notation du dégustateur américain Robert Parker ? Déjà , les huit domaines autoproclamés "exceptionnels", en 2003, ont décidé de mettre en commun leur communication.
Brouiller le message
Le monde viticole est en ébullition depuis que la réforme de l'INAO (Institut national de l'origine et de la qualité) a été entreprise, au début des années 2000, sous la pression de la surproduction mondiale, de la réglementation européenne et de l'obsession administrative de simplifier les étiquettes.
Depuis le 1er août 2009, la classification nationale des vins a été alignée sur les règles communautaires, tirant un trait sur un système en vigueur depuis soixante-quinze ans. Les AOC (appellations d'origine contrôlée) sont devenues des AOP (appellations d'origine protégée). Les vins de pays relèvent de l'IGP (indication géographique protégée), tandis que les vins de table ne peuvent se prévaloir d'aucune indication géographique d'origine. Ces mesures accompagnent une redéfinition des rôles de l'INAO avec l'apparition des ODG (organismes de gestion) et de nouveaux outils de contrôle de la qualité.
Cette réforme pourrait se comprendre si une disposition essentielle ne venait brouiller le message : les vins de table sans indication géographique pourront désormais mentionner sur l'étiquette le millésime et/ou le cépage dominant (85 %) du vin. C'est-à -dire qu'un vigneron du Languedoc pourra planter un cépage riesling et en faire mention explicite, sans préciser la région où pousse la vigne. De même, on pourra assembler un sauvignon de Loire et de n'importe quelle autre région viticole, sans précision d'origine, au mépris de toute notion de terroir. Un consommateur achetant un riesling - mention bien lisible sur l'étiquette - croira se procurer un vin d'Alsace, tandis que l'acheteur d'un pinot cultivé dans le Var pensera acheter un bourgogne, région de monocépage du pinot noir.
Les vins de table ne faisant l'objet d'aucune contrainte de production, d'aucune limite de rendement (nombre d'hectos à l'hectare) ni de règles en matière de vinification, les vignerons pourront agir selon leur fantaisie. Ces mesures sont à l'évidence destinées à valoriser les vins d'entrée de gamme, afin d'écouler le gros de la production anonyme. On peut craindre que certains producteurs délaissent même les indications géographiques au profit de cette nouvelle catégorie de vins de table soumise à moins de contraintes. Ces dispositions ne peuvent que tirer la production vers le bas, altérer l'image des vins de table et rendre un peu plus opaque la lecture des étiquettes, au lieu de la simplifier.
Jean-Claude Ribaut
http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/artic ... _3238.html