Valorisées en Bourse comme des acteurs du luxe il y a dix-huit mois, les maisons de champagne ont subi la crise de plein fouet. Malgré des niveaux de valorisation faibles, il est difficile aujourd'hui de conseiller de prendre position sur le secteur. La visibilité sur 2010 est des plus réduites et il faudra du temps aux producteurs de champagne pour retrouver les niveaux de rentabilité de 2007.
- 15 %, - 20 % ou - 25 %. Ces baisses ne reflètent pas l'évolution des cours des producteurs cotés en Bourse - les titres ont d'ailleurs bien rebondi après avoir touché des plus bas historiques en début d'année -, mais les promotions consenties sur les marques de certaines maisons de champagne.
A quelques exceptions près, ces dernières se livrent à une véritable guerre des prix en cette fin d'année. Le mois de décembre, qui représente 25 % des ventes annuelles, ne permettra sans doute pas de compenser l'effondrement des expéditions constaté sur les neuf premiers mois de l'année : les ventes se tiendront probablement en volume, mais les prix bradés vont fortement affecter la rentabilité des producteurs.
Cette période de fêtes est cependant plus que jamais cruciale pour permettre aux maisons les plus fragiles de reconstituer un peu de trésorerie et de soulager des situations financières tendues.
Un déstockage mondial qui a fait chuter les expéditions
Selon les dernières estimations communiquées par la profession, les expéditions de champagne devraient être comprises entre 280 et 290 millions de bouteilles en 2009, soit un repli limité à 13 % sur douze mois, ce qui est moins alarmant que ce qui avait été anticipé en début d'année. « Après avoir connu début 2009 des baisses de nos expéditions de l'ordre de 25 %, nous commençons à peine à enrayer la chute, avec des reculs de 10 % en cette fin d'année », explique Anne-Charlotte Amory, présidente du conseil d'aministration des maisons Piper & Charles Heidsieck.
On est loin des 339 millions de cols expédiés en 2007, une année record pour les producteurs de champagne en termes tant de ventes que de rentabilité. Un pic atteint grâce à la montée en puissance des plus belles marques de champagne, au développement des cuvées prestige et au dynamisme des exportations.
La question qui préoccupait alors la profession était de savoir comment satisfaire l'appétit des consommateurs pour ce produit de luxe alors que les capacités de production restent limitées. Les stocks importants (le niveau considéré comme normal dans la profession étant de trois ans ) constitués pour répondre à la demande croissante de champagne de qualité sont devenus aujourd'hui un poids majeur pour certains producteurs. Avec la baisse des expéditions, ces stocks représentent désormais près de cinq années de consommation ! Leur financement pèse sur les acteurs les moins solides, qui n'hésitent pas à déstocker les vins sur lattes et à mettre ainsi sur le marché des champagnes à bas prix, obligeant leurs concurrents à faire de même, quitte à remettre en cause la stratégie mise en oeuvre les années précédentes, à savoir des hausses régulières et massives des prix de vente.
L'exemple de Laurent-Perrier illustre bien le radical changement de situation. Après avoir considérablement relevé le prix de vente de ses marques, la maison d'Epernay a dû changer son fusil d'épaule et ressusciter des marques secondaires (Oudinot et Jeanmaire) pour ne pas rater les ventes de fin d'année.
Des marges sacrifiées
En proposant des bouteilles à moins de 10 euros, les champenois ne sont-ils pas en train de casser le marché et d'altérer l'image de produit de luxe que les grandes maisons ont tenté de construire ces dernières années ? Les plus confiants pensent que non, mais à ce prix-là , si l'image du produit ne se dégrade pas, les marges, quant à elles, vont se réduire dangereusement. Car le champagne vendu en 2009 a été élaboré avec du raisin acheté en 2007, avec un prix de revient supérieur à celui du prix de vente !
Dans une étude publiée début 2009, Aurel rappelle que durant la crise qu'a connue le secteur en 1991, et qui présente des similitudes avec la situation actuelle, les marges avaient été divisées par deux. Vignerons, coopératives et maisons de champagne, personne n'y échappera.
Le leader du secteur, LVMH, qui possède quelques-unes des plus belles marques de la région, devrait vendre, en 2009, 10 millions de cols de moins que l'an dernier.
Sur le premier semestre, le groupe, très exposé au marché américain, accusait une baisse de 28 % de ses volumes et une division par six du résultat opérationnel dégagé par la branche champagne et vin. Sa marge opérationnelle, estimée à 30 % environ les bonnes années, devrait donc être sérieusement entamée. Par ailleurs, le groupe a décalé sur le moyen terme un projet d'augmentation de ses capacités de stockage en champagne.
Parmi les acteurs cotés, Laurent-Perrier devrait être le plus affecté en termes de rentabilité. De nombreux analystes s'interrogent sur sa capacité à reconstituer ses marges, tandis que Vranken-Pommery Monopole et Boizel Chanoine Champagne devraient parvenir à limiter les dégâts. Un retour à la normale est-il envisageable en 2010 ? Rien n'est moins sûr. Le déstockage mondial devrait encore se poursuivre au cours du premier semestre.
L'historique de la Champagne montre que les crises ne durent guère plus de deux ans. « L'année 2010 sera un exercice de transition avec encore des volumes à écouler alors que la demande dépendra de la vigueur de la reprise, indique Arnaud Guérin, analyste chez Portzamparc. Aujourd'hui, la logique est de baisser les rendements (Ndlr : le rendement par hectare est fixé par le Comité interprofessionnel des vins de Champagne, CIVC, chaque année avant la vendange) pour mettre sur le marché moins de volumes dans quinze mois. Cette politique portera ses fruits en 2011. D'ici là , la situation restera problématique. »
Pour les cinq premières maisons de champagne, qui réalisent l'essentiel des ventes de champagne à l'international, le retour à une croissance plus soutenue dépendra de l'amélioration de la conjoncture sur les deux grands marchés d'exportation que sont le Royaume-Uni et les Etats-Unis, mais aussi au Japon.
DOSSIER RÉALISÉ PAR CATHERINE REKIK ET FRÉDÉRIC DURAND-BAZIN
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