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L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Didier » Dim 23 Août 2009 10:21

Comme vous tous, dans ma tendre enfance et ma jeunesse j'ai été éduqué dans un milieu privilégiant certaines odeurs, des arômes (pour info mon grand-père était ébéniste et j'ai baigné dans les essences nobles de bois).
Enfant de la campagne j'ai pratiqué les fleurs et les fruits noirs et rouges sauvages ...
Très souvent les dégustations me ramènent en enfance et je retrouve ces parfums de myrtille, de mûre, de chèvrefeuille, de violette ou d'acacia... Comparativement, certains autres compte-rendus ne reflètent pas ce que j'ai éprouvé, pourtant je suis certain que les autres dégustateurs ont évidemment ressenti ce qu'ils disent et écrivent.
Sommes-nous donc influencés à ce point par notre connaissance et notre éducation empiriques des sens?
Dernière édition par Didier le Dim 23 Août 2009 14:03, édité 3 fois au total.
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Christian Rausis » Dim 23 Août 2009 15:47

Et personne ne ne goûte comme l'autre, paraît-il ! (on devrait demander aux jumelles et jumeaux)

http://vinquebec.com/node/1218
17 décembre 2005 — Marc André Gagnon
J'ai déjà parlé de cet aspect, mais j'y reviens parce que je considère que c'est très important et que c'est une des plus grandes découvertes faites dans le monde de la dégustation cette dernière année.

Le goût du vin n'existe pas comme tel. Il est plutôt le résultat de l'interaction entre les molécules contenues dans le vin et nos récepteurs sensoriels, gustatifs ou olfactifs. Ces récepteurs diffèrent énormément d'une personne à l'autre. C'est ce qui nous apprend une étude de l'INRA qui nous dit que «cette constatation a pour conséquence que le goût et l'odeur perçus sont fonction de notre équipement personnel en récepteurs sensoriels. Cet équipement, génétiquement déterminé, varie d'une personne à l'autre. Son activation engendrera donc des signaux différents suivant les individus, y compris les dégustateurs les plus avertis.»

Le goût du vin varie selon le contexte
L'INRA, l'Institut national de la recherche agronomique de France, en collaboration avec la Faculté d'œnologie de Bordeaux a mené des études sur la perception des saveurs dans le vin. On y apprend que la perception de ces saveurs est due aux émotions du dégustateur et au contexte.

Buveurs d'étiquettes
On y apprend aussi qu'on se laisse grandement impressionner par l'étiquette. On va décrire le vin en fonction de l'étiquette. Si on met un autre vin dans la même bouteille, on se laissera prendre et on décrira le vin qui est supposé être dans la bouteille et non celui qui y est effectivement.

Voilà encore une autre bonne raison de déguster à l'aveugle si on veut prétendre à une description le moindrement objective.

Voici ce qu'ont fait les chercheurs de l'Inra. «...en proposant à un groupe de 57 étudiants en œnologie la dégustation d'un même vin sous deux conditionnements différents. Ici, seul le contexte changeait et les dégustateurs, bien entendu, n'en savaient rien.

Le même vin a donc été proposé dans une bouteille d'un grand cru classé, vin prestigieux et connu de tous les dégustateurs puis, quinze jours plus tard, dans une bouteille étiquetée sous l'appellation 'vin de table'. Sur les 57 étudiants, six ont deviné la supercherie. Parmi les 51 restants, 50 ont noté plus sévèrement le 'vin de table' [moyennes 8/20] que le 'grand cru' [moyenne 13.2/20].

Le comportement des dégustateurs vis-à-vis des deux vins apparaît très différent dans leurs commentaires. Alors que le 'petit vin' est jugé sans retenue, le 'grand vin' est traité avec égards et systématiquement excusé.»

Le goût de boisé dans un vin non boisé!
«Dans leur grande majorité, les dégustateurs ont signalé la présence de bois dans le grand cru et ont décrit le type de boisé qu'ils y ont perçu. Le vin utilisé pour l'expérience n'avait pourtant jamais été mis en contact avec le bois.

Aucun dégustateur n'a signalé la présence d'un caractère boisé dans le vin de table. Cette illusion de la présence du caractère boisé dans le grand cru résulte typiquement d'une construction cognitive. Le dégustateur étant persuadé de la présence de bois dans le vin qu'il goûte, crée une représentation de ce vin contenant le goût de boisé.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il est vraisemblable que dans le contexte ainsi créé, tous les dégustateurs ayant accepté l'idée qu'ils goûtaient un grand cru ont effectivement perçu un goût de boisé.»

Influencé par les autres
L'étude nous rappelle aussi ce qu'on a observé depuis longtemps dans les groupes de dégustation: on est très influencé par ce que disent les collègues. «On observe le même phénomène quand au cours d'une dégustation, un des participants signale, par exemple, la présence d'un arôme de cassis dans le vin. Généralement, cet arôme devient très rapidement apparent pour l'ensemble des dégustateurs.»

Olfactif: 347 gènes, vision:4 gènes
Le neurobiologiste français Patrick Mac Leod affirme de plus que «personne ne sent de la même manière que son voisin». Il dit que la vision, le toucher et l'ouïe sont à peu près semblables d'une personne à l'autre. Mais que ce n'est pas du tout le cas au niveau du goût. Il dit que le génome de chaque individu est doté de 347 gènes olfactifs, alors qu'il y en a 4 pour la vision.

Il en conclut que «l'expérience olfactive ainsi que celle du goût restent uniques. Chacun a la sienne et, en même temps, il est très difficile de les décrire donc de transmettre un savoir à leur propos.» Il ajoute que l'éducation joue aussi un rôle important dans la perception des saveurs.

Quoi conclure de tout cela?
Vous avez souvent entendu l'adage disant que les goûts ne se discutent pas. Il semble bien que la sagesse populaire de nos ancêtres a perçu ce mystère bien avant les hommes de sciences du 21e siècle.

On comprend maintenant mieux pourquoi la description des vins varient tellement d'un individu à l'autre. J'ai souvent vu lors de dégustation de groupe des gens s'obstiner en disant que tel vin avait ou n'avait pas telle saveur. Je crois qu'avec ce qu'on sait maintenant à la suite de ces études que notre attitude va changer dans ces cas.

Cependant, cela pose tout un problème aux chroniqueurs et journalistes du vin qui veulent décrire les produits dégustés. On se doit d'être bien conscient que l'autre ne goûtera pas nécessairement la même chose que nous.


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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Christian Rausis » Dim 23 Août 2009 15:50

Encore trouvé ça :

La couleur influence le commentaire olfactif

Plus étonnant et peut-être plus inquiétant quant à nos capacités olfactives, les chercheurs de l'INRA ont récemment mis en évidence l'existence d'une illusion perceptive dans ce domaine. En traitant par l'analyse lexicale les commentaires de dégustation de professionnels du vin, ils ont constaté que les auteurs de ces commentaires utilisaient des mots différents pour décrire les odeurs des vins blancs et des vins rouges. Ce résultat est d'autant plus surprenant que quand on demande à des sujets de distinguer un vin blanc d'un vin rouge sans l'aide de la vue, l'expérience étant réalisée en utilisant des verres noirs, on observe qu'ils se trompent en moyenne trois fois sur dix. En regardant d'un peu plus près les mots utilisés pour décrire les odeurs des vins blancs et des vins rouges, les chercheurs ont réalisé que les descripteurs d'odeurs avaient, pour chaque vin, la couleur du vin. Les odeurs des vins rouges étaient représentées par des objets rouges (fruit rouge, cassis, framboise, cerise, etc.) et celles des vins blancs par des objets clairs (miel, abricot, pomme, banane, etc.).
Un vin a-t-il réellement l'odeur d'objets de même couleur que ce vin ou bien les sujets, croyant parler de l'odeur du vin, traitent-ils en réalité de sa couleur ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont réuni 54 étudiants en œnologie pour une dégustation comparative entre un vin blanc et un vin rouge. En fait, un vin apparemment rouge puisqu'il s'agissait du vin blanc artificiellement coloré en rouge avec des anthocyanes (colorants naturels du vin rouge). Les étudiants avaient donc pour tâche de décrire, sans le savoir, le même vin, à la couleur près. Les résultats montrent que les descripteurs olfactifs choisis par les dégustateurs pour un vin ont effectivement la couleur de ce vin. Il suffit donc de modifier la couleur d'un vin pour en modifier la perception des arômes. Le vin blanc qui sentait le beurre et l'ananas sent maintenant la fraise et la mûre uniquement parce qu'il est devenu rouge !
http://www.inra.fr/presse/le_gout_du_vin_dans_nos_tetes

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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Didier » Dim 23 Août 2009 16:10

Je pense simplement que les goûts sont multiples car les références sensorielles de chacun sont différentes et qu'il n'y a pas une vérité à ce titre. Cela bat forcément en brèche cette illusion planétaire qu'un goût aussi "pointu" soit-il puisse devenir une référence incontournable, orientant en cela des milliers de vignerons pour la définition de leurs vins et des centaines de milliers d'amateurs pour leurs achats. Comme pour la biodiversité naturelle, la biodiversité gustative me semble être une chance qu'il faut impérativement préserver.

Merci Christion pour cette très intéressante intervention.
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Christian Rausis » Dim 23 Août 2009 16:14

A ton service !

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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Vincent R. » Dim 23 Août 2009 19:26

j'ai baigné dans les essences nobles de bois


Et moi qui me demandais d'où venait ton amour pour les vins de Bordeaux...
Magrez est ton homme, Perse ton gourou :jesors:

A quand un vin aux parfums de bitume et de cambouis qu'enfin je maitrise mon sujet :mrgreen:
BAREME DE NOTATION 19+ À 20:MYTHIQUE 18+ À 19:EXCEPTIONNEL 17+ À 18:TRÈS GRAND VIN 16+ À 17:GRAND VIN 15+ À 16:TRÈS BON VIN 13+ À 15:BON VIN 11+À 13:MOYEN 10 À 11:FAIBLE <10:DÉFECTUEUX
en dessous de 16, je n'achète pas! il y a si bon ailleurs!
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Didier » Dim 23 Août 2009 20:00

Vincent,

je vais te donner un scoop ; sur CLERMONT-Fd, MICHELIN replante un vignoble oublié ; comme cela tu pourras bientôt déguster du vin aux senteurs de "Burn-Out"...

Mais non! Je blague bien sur ... :cheers:

Le bois noble pour moi se consomme avec modération ; c'est la raison pour laquelle je ne détiens aucun flacon en cave des vignerons que tu cites. Mais je sais que toi tu adules "les Grands Chênes". :tubois: :jesors:

:tchin:
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar chtibb » Lun 24 Août 2009 19:26

Bonjour à tous,

Sur le même sujet un article derniérement dans le figaro "L'odorat n'a pas fini de dévoiler ses mystères" :

" Autre découverte étonnante, les deux narines ont un certain degré d'autonomie. Si une des narines est exposée à l'odeur de butadène ou de rose et que, peu après, celle-ci est présentée une nouvelle fois à la même narine, l'individu ne la sent plus ou presque plus en raison d'un phénomène d'adaptation bien connu des spécialistes. En revanche, si le même flacon de parfum est placé sous l'autre narine, la personne y est cette fois beaucoup plus sensible. "

l' adresse pour article complet :

http://www.lefigaro.fr/sciences/2009/08/21/01008-20090821ARTFIG00428-l-odorat-n-a-pas-fini-de-devoiler-ses-mysteres-.php

bruno le chtibb.
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Christian Rausis » Mer 26 Août 2009 18:01

Interesting. Je ne connaissais que la sourde oreille.

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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Sebastien » Dim 31 Mai 2015 21:52

13 personnes/15 préfèrent une solution à base d'arome artificiel de fraise à celle d'un arôme naturel à base de jus de fraise bio à pleinematurité écrasées.

Edifiante réussite des firmes mondiale qui rendent captif nos goûts et préférences.
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar EricC » Lun 1 Juin 2015 16:26

Ca serait pas mal de mettre un lien, histoire qu'on puisse aller la publi à la source


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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Sebastien » Lun 1 Juin 2015 22:13

Source Capital M6. sondage réalisé dans le cadre d'un sujet sur les " arômes" et le metier d'aromatiseur. Comparatif entre le goût artificiel et naturel.
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar EricC » Mar 2 Juin 2015 09:17

Ah, OK. Crédibilité moyenne, donc.
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Sebastien » Mar 2 Juin 2015 10:30

Effectivement, crédibilité moyenne ++, voir bonne crédibilité selon ma lecture du documentaire. On est jamais à l'abri néanmoins, y compris sur des études indépendantes américaines ou canadiennes à forte crédibilité.
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar EricC » Mar 2 Juin 2015 10:42

Nota : si l'on était si captifs des productions des majors agro-alimentaires, pourquoi s'évertueraient-elles à développer les arômes naturels ?
(BTW, se méfier de la distinction naturel/artificiel quand on parle d'arômes ... à la fin, c'est souvent la même (combinaison de) molécule(s) qui s'exprime)
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Re: L'influence du vécu sensitif sur la dégustation du vin

Messagepar Greg V » Mar 2 Juin 2015 12:00

pourquoi s'évertueraient-elles à développer les arômes naturels ?


Parce qu'il reste un marché de niche à exploiter, celui des consommateurs qui gardent un peu de goût.
Pour bien vieillir il faut ingurgiter 5 vins et fromages par jour
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