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Le prof en liberté – Faut-il supprimer le vin ?

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 6 Fév 2020 12:56

CHRONIQUE. Sans ami, vivant dans une bulle aseptisée, un être humain n'est pas en bonne santé selon… l'OMS. Et Molière l'eut qualifié de misanthrope.

La phrase de Louis Pasteur selon laquelle le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons se trouve assortie à toutes les sauces lors de repas et à l' apéritif pour justifier l'acte de boire. Jusqu'à la fin des années 1800, s' hydrater avec du vin était pratique courante, l'eau étant rarement propre à la consommation . L'alcool et les tanins présents dans le vin, tous deux antiseptiques, représentaient un bienfait microbiologique et globalement un moindre méfait que l'ingestion d'une eau souillée.

Les publications médicales les plus récentes ont abattu un mythe, celui des deux ou trois bons petits verres de vin , que conseillait encore mon médecin de famille il y a trente , vingt et dix ans. Paix à son âme. Il ne m'avait pas induit en erreur, il professait la science de son temps. Gageons que ces lignes pourraient sembler naïves, idiotes ou totalement incongrues à qui les lira dans quelques lustres.

Inventaire
Il est à noter qu'une consommation faible de vin aide à prévenir certains troubles, notamment les maladies cardio-vasculaires ou la dysfonction érectile . Cela n'enlève rien au fait que la molécule d'éthanol occasionne d'autres troubles graves , comme des inflammations du foie ou du pancréas , des dysfonctions sévères de la mémoire , voire le syndrome de Korsakoff et certains cancers. À ce catalogue , il convient d'ajouter les accidents de la route qui ne sont pas des troubles au sens de pathologies, mais entrent en ligne de compte dans la comptabilité des accidents ou décès liés à la consommation d'éthanol.

La statistique donne une vision d' ensemble du tableau , certes peu réjouissante. Elle omet de préciser que l'individu n'est pas l'ensemble, nous ne sommes pas égaux face à la molécule ni face à la prolifération anarchique de cellules , qu'on nomme plus communément tumeur . Dans ce débat, il est un point qui passe silencieusement sous le radar, considérant qu'il est acquis, on pense à la définition même de ce qu'il est convenu d'appeler santé.

Bien-être physique , mental et social
Selon la constitution de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) promulguée en 1946, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Le triple état de bien-être (physique, mental et social) est important. Monsieur Duchemin peut vivre seul et sans ami ni pathogène, dans une bulle aseptisée, il n'est pas vraiment un être humain en bonne santé, en tout cas pas selon la constitution de l'OMS. Molière l'eut qualifié de misanthrope et se fut en outre payé sa tête.

Si le vin n'aide pas à combattre un pathogène ni à rétablir les humeurs telles que prévues par la théorie hippocratique, il aide à améliorer l' interaction sociale, à entrer en contact avec ses semblables, à profiter du temps qui passe . J'ai pour habitude d'exprimer à mes étudiants que notre passage sur terre est tout autant absurde que tragique ou comique. L'absurdité nous échappe quelque peu, mais il nous est possible de rendre le bref moment passé avec les deux pieds collés sur la croûte terrestre un peu plus drôle.

Un janvier sec ?
La question en filigrane de tout le débat est : faut-il supprimer le vin ? Réalisons une expérience de pensée, par un coup de baguette magique , qu'on supprima toute molécule d'éthanol propre à la consommation. Qu'on laissa quelques molécules survivre pour la désinfection des ustensiles chirurgicaux ou des plaies domestiques, même si d'autres produits nous fussent accessibles . Serions-nous plus heureux ? Les personnes croisées dans l' autobus ou le wagon du métropolitain auraient-elles passé une meilleure nuit ? Aurions-nous été plus souriants ? Plus attentifs à notre prochain ? Très précisément, aurions-nous consommé moins ou plus d'anxiolytiques, benzodiazépines et autres panacées ?

Le véritable problème , dans ce débat, est systémique. Soit il s'agit d'une question de santé de toute la population et les pouvoirs dits publics doivent prendre des mesures, en premier lieu en direction des populations à risque. Soit il s'agit d'une question de choix individuel, et dans ce cas il n'y a pas lieu de créer un climat anxiogène et de se caler dans une idéologie anglo-saxonne du défi (un mois de janvier sec , trente et un jours c'est quand même la mer à boire, sans mauvais jeu de mots), ou de culte à la performance (vous serez plus fringant au travail si vous arrêtiez de boire, certainement, mais au profit de qui ? de nos retraites ? ou du patron ?).

Ces poussières qui nous empoisonnent
La meilleure comparaison est le secteur automobile . En termes de maladies , les habitants des grands centres urbains et des moyens , ceux qui vivent sur le passage d'une route fréquentée ou travaillent en ville , réussissent un tour de force. Chaque seconde qui passe, qu'ils fassent quelque chose ou qu'ils ne fassent rien, s' amenuise leur espérance de vie , totalement à l'insu de leur plein gré. Les particules fines, les millis, les micros , les picos qu'on ne détecte presque pas, entrent subrepticement à travers les orifices buccaux et nasaux, direction la trachée, choix de l'embranchement gauche ou droit pour une bronche c'est selon, et puis arrivée dans l'organe du poumon vers les bronchioles et les alvéoles.

Le cheminement complet des poussières maléfiques se produit lors de chaque mouvement réflexe du diaphragme . La meilleure mesure de santé publique serait de réduire au maximum le nombre de voitures, leur échappement surtout, leur déjection . On peut nous expliquer qu'on y placera des filtres, qu'ils seront testés électroniquement et régulièrement, mais la malhonnêteté des constructeurs automobiles à ce propos précis a été dûment constatée. Bien entendu, ce n'est pas parce qu'un autre risque existe (celui de la pollution atmosphérique), qu'il ne faut pas s'intéresser au risque dont on discute (celui de la consommation d'éthanol).

Permis de boire
Cependant, il reste quelque chose d'inachevé et de pernicieux, une forme de reflux dystopique peu agréable. Quand sera dé-normalisée la consommation de vin pour la santé de Monsieur et Madame Duchemin, pour leur permettre de travailler tant et plus, ou inversement le travail étant la santé n'est-ce pas, que restera-t-il ? Dès qu'un citoyen, simple quidam, s'attable muni d'un ballon de rouge de taille réglementaire, il lui faudra plaider : je n'ai pas bu hier ni avant-hier, c'est ma première mesure d'éthanol, regardez sur mon carnet , c'est promis je ne boirai pas demain , d'ailleurs c'est mon seul verre , il a l'air grand mais c'est un effet d' optique.

Qu'on ne s'y méprenne pas. La prévention est une affaire sérieuse . Elle devrait être menée de manière indépendante et en l'absence de tout groupement d'intérêt . Elle ne doit cependant pas faire porter sur les individus un sac à dos rempli de toute la honte de leur consommation pinardière. Autrement , l'histoire s'écrira absurde et tragique. Demain, qu'il reste les pots d'échappement et les benzodiazépines, ne vous tracassez pas bonnes gens, les industries automobiles et pharmaceutiques ne se laisseront pas faire, elles ne toléreront pas leur dé-normalisation. C'est pour votre bien. Si on ose se plaindre, qu'on subsidie le masque à gaz.


Par Fabrizio Bucella
Le professeur Fabrizio Bucella est physicien, docteur en sciences et enseigne à l' université libre de Bruxelles . Sommelier et zythologue, il dirige l'école d'œnologie Inter Wine & Dine. Il professe également dans les masters 2 du droit de la vigne et du vin de l' université de Bordeaux et du droit du vin et des spiritueux de l'université de Reims Champagne-Ardenne . Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le vin et nous donne rendez-vous régulièrement au travers de sa rubrique « Le prof en liberté ».

Source : https://www.lepoint.fr/vin/le-prof-en-l ... tor=EPR-6-[newsletter-lepoint-vin]-20200206
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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